lundi 8 avril 2019

"Pasionaria" : la Véronal : Marcos Mauro déstructuré !


"Depuis quelques années, le chorégraphe espagnol Marcos Morau et sa compagnie La Veronal sont en train de vivre une consécration internationale. La Veronal soutient d’amples méditations sur de fortes thématiques humaines. Ses pièces dansées sont de grandes compositions richement imagées, très visuelles et incarnées. D’un baroque parfois volcanique, sulfureux. Les personnages de Marcos Morau débordent depuis un patrimoine qui puise à la peinture, la sculpture ou au cinéma, de haute lignée européenne. Présentant Pasionaria, le chorégraphe évoque un gigantesque bas-relief néo-antique visible à Bruxelles, traitant des Passions humaines. Même de marbre, son chaos sensuel a dû rester tout un siècle masqué aux regards par un mur, qu’érigèrent les tenants d’un ordre tiède. La passion inspire des sentiments ambivalents. Elle soulève et rend plus grand, authentique, au péril de s’assimiler parfois à la démence. Dans une vision christique, à l’inverse, elle peut donner à percevoir un comble d’abandon à la passivité d’une souffrance infligée. Mais alors qu’en est-il, lorsque les mutations sensibles laissent envisager qu’une part d’humanité puisse être bientôt transférée à des robots ? Où donc approcher la plus profonde source des passions humaines ?"

Dans un univers gris, un décor d'escalier à la Mallet Stevens, des cambrioleurs, des hommes en gris cagoulés s’immiscent subrepticement. Ambiance garantie d'emblée pour cette pièce OVNI, absurde où un landau vient faire obstacle à ces gestes désarticulés, disloqués qui façonnent l'oeuvre tout du long.Sur une musique très "urbaine" et dans un cadre de scène bordé de néons.Des pantins sur la balustrade apparaissent, des va et vient sur cet escalier central qui devient un personnage à part entière, on est chez Hitchcock, Beckett ou Ionesco sans doute! Des corps en pièces détachées dans des costumes dessinés très strict, grisonnants et nous voici dans un univers de BD ou à la Max Klinger ;d'énormes monstres ronds surgissent,, des surveillants de musée avec lampe de poche, des vigiles de sécurité de pacotille s'affairent le temps très bref de petites apparitions perlées: pendant qu'en fond de scène, il pleut des étoiles, la lune surdimensionnée fait des clins d'oeil, et que Mélies veille au grain sur cette fenêtre ouverte sur la nuit et ses mystères.On y déclenche des mécanismes d'enfer qui manipulent ces huit personnages sortis d'une légende surréaliste, d'un film de sous sols infernaux où ce petit peuple vit et s’agite à l'envi.Comme dans une salle d'attente d'un aéroport fictif, les styles de danse se confondent: hip-hop, volutes classiques, duo sur canapé acrobatique, emmêlé, brochette de danseurs de cabaret assis aux gestes à l'unisson.
C'est burlesque, désopilant, étrange et en toute liberté, le chorégraphe façonne, édifie un univers en huis clos, énigmatique et singulier.Un technicien de surface avec sa cireuse revient régulièrement, nettoyer ces faits et gestes. Les uniformes gris d'employés d'aéroport font mouche et épousent cette gestuelle mécanique, robotique qui s'empare des uns et des autres. Un solo contorsionniste, du comique et absurde à la Blanca Li ou Tati et voilà pour l'univers tracé de cette famille désœuvrée, livrée à ses fantasmes et autres absurdités.
Pisteurs d'étoile, laveurs de vitres, scène très onirique, les employés s'amusent, s'attrapent, en chaînon, en maillage, ils font cabaret assis; une femme enceinte, un ballon lumineux comme ventre passe, des siamoises...On est chez Kubrick, dans Orange Mécanique ou l'Odysée de l'Espace...Des citations musicales pour musique de film, et le tout est joué, emballé et fait mouche!
Un spectacle très intriguant qui fait voyager à vingt mille lieux sous les mers avec beaucoup d'élégance, de doigté et de préciosité dans la gestuelle tectonique, fracassée, sublimée par une narration des corps qui seuls content un comique décalé digne d'un cinéma d'animation sophistiqué à souhait

Au Théâtre National de la danse Chaillot, jusqu'au- 6 Avril






mercredi 3 avril 2019

"Nueva Refutacion del tiempo": Lovemusic : une navigation au long cours, du souffle argentin, du bec, de la hanche à l'archet!


Flûte - Emiliano Gavito / Clarinette - Adam Starkie / Violoncelle - Lola Malique 

Nouvelle réfutation du temps est le titre d’un essai de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, écrit en 1946. Il avance l’idée que la continuité du temps est une illusion et que le temps existe sans succession. Chaque moment contient toute l’éternité, ce qui nie la notion de “nouveauté”. Ce programme de musique argentine “nouvelle” questionne notre notion de temps - le temps objectif peut être accéléré ou ralenti selon la construction musicale. En collaboration avec le festival Arsmondo de l’Opéra National du Rhin, lovemusic explore la diversité de la création argentine avec trois générations de compositeurs : Ginastera - figure emblématique de la musique argentine, des compositeurs argentins désormais bien établis internationalement, et enfin des compositeurs de la jeune génération. lovemusic collabore avec Nicolás Medero Larrosa, actuellement étudiant dans la classe de Daniel D’Adamo à la Haute École des Arts du Rhin, sur une nouvelle pièce commandé par le collectif pour ce projet.

Musique de

Alberto Ginastera. "Puenena n° 2 Opus 45"
Musique pour violoncelle, seu: léger, intime, le morceau se distille dans l'espace, l'archet respire, geint, se love ou se tend au gré du jeu de l'interprète, toute féminine, gracieuse, tenue en alerte par le charme opérationnel de l'oeuvre. Les cordes pincées grondent: d'une extrême finesse, la musique résonne, latine et une identité culturelle s'y profile, délicate, suggérée. Des traversées sonores, rythmées, comme de la rage pour créer tonalités et ambiances changeantes comme un inventaire de styles.

La pièce de Ezequiel Netri  "Calamo Curente" succède: un duo complice entre flûte et clarinette (création française), où excellent les talents d'interprètes des deux protagonistes
En rebondissements alertes en touches joyeuses, ils nous entraînent dans une course poursuite vive et haletante. Leurs talents , affichent une virtuosité assumée sans que rien n'y paraisse!

Sandra Elisabeth Gonzales nous offre ensuite son "Brizas de Noviembre" pour flûte alto
Le musicien y explore l'instrument, sinueux, expirant, respirant, vecteur autant de souffle que de percussions. Des sons étranges en émanent, comme des pas et traces d'animaux, le vent s'y glisse, s'y engouffre. Un motif mélodique revient, puis explose, chuinte, chuchote. Volume et amplitude se meurent lentement, en contraste et modulations vertigineuses.

En entremets, quelques bribes de poème, une voix qui nous berce et nous interpelle.

Santiago Diez-Fischer avec "Solo veras ahora" pour flûte et violoncelle offre la vision d'un face à face étonnant.
Des grincements identifiés par des frottement de l'archet sur une boite en plastique, rivée à l'épaule de Lola Malique pour la découverte de la source de ces bruitages inédits devenus musique. On en vient à ne plus pouvoir identifier l'origine sonore des notes et sons: corne de brume, voix de personnages fictifs en résonance. C'est surprenant et séduisant, inédit et drôle.
Comme pour un jeu concours, une compétition, les deux interprètes œuvrent pour créer des effets étranges, bizarres et surenchérissent à l'envi.
 Comme deux gamins qui s'amusent, rivalisent, très organiques dans leurs sonorités burlesques: ça se corse, se débat, se heurte avec des sons domestiques du quotidien désopilants. Leurs regards se croisent, attentifs, complice pour ce jeu de miroir déformant, inédit.

Luis Naón, avec "Ausente  2", pièce pour clarinette contrebasse et sons fixes se borde de sons aquatiques, des bruits d'eau, de siphons pour créer des résonances lointaines et une atmosphère envoûtante, curieuse et inquiétante. L'interprète, concentré sur la matière sonore à restituer pour engendrer une ambiance suspecte et originale.

Daniel d’Adamo, offre ensuite avec "Breath" pour clarinette basse et violoncelle, un bel échantillon de sa créativité. Un duo très virulent, combat, affrontement des deux instruments: un très beau jeu corporel s'empare de la violoncelliste, langoureux, conflictuel et confidentiel. La musique semble lui échapper, elle fuit, se faufile, elle la poursuit, l'imite, la devance, la double. De concert, en concurrence avec son partenaire, à l’affût, très attentif. Sur la sellette, ils nous offrent ainsi un voyage haletant, dans le temps et la matière, dans le souffle et l'apnée.
On y flotte entre deux eaux, baignés d'ondes sonores troublantes.A peine parfois audibles tant la subtilité des volumes engendre une écoute sur le fil de la perception sensitive, sensuelle.
 .
Nicolás Medero Larrosa (commande/création), nous offre son "Lignt Trail" pour flûte basse, clarinette basse et violoncelle:un souffle sur du papier d'argent tendu sur un pupitre et voici douceur et lenteur en prologue, prélude  planant, léger, ténu
Les sons s'étirent et fusent, en vibrations à peine audibles, indicibles filets de sons, de mugissements.Attention extrême, concentration de l'auditoire autant que des magiciens interprètes de ce joyaux rare et discret. Sur le fil tendu du son à réinventer toujours: quelques coups d'éclats virulents et l'oeuvre s'achève sur un souffle agonisant.

Un programme inédit, bâti, construit par ce quatuor, le trio d'interprète et Nicolas Medero Larossa, complice et architecte sonore de ce programme surprenant, inédit, sur les traces de la musique argentine d'aujourd'hui.

A la BNU le 2 Avril dans le cadre du festival  Arsmondo Argentine initié par l'Opéra du Rhin

mardi 2 avril 2019

"Forecasting" Giuseppe Chico et Barbara Matijevic : corps-raccords.


"Tels deux ethnologues de la toile, à partir d’un recueil de vidéos amateurs puisées sur YouTube, Barbara Matijevic et Giuseppe Chico ont conçu Forecasting. Avec ses troublantes jonctions entre le monde bidimensionnel de l’image et le corps de l’interprète, cette performance ouvre une nouvelle surface de jeu. Le jeune tandem artistique y glisse les récits un brin surréalistes qu’ils ont imaginés et qu’ils déploient sur scène en une mosaïque de fictions intimes." I.F.
Un ordinateur, seul sur scène, télécommandé..
Une voix en sort qui nous cause bricolage; une jeune femme apparaît, animatrice de la soirée.
Surprise, cet ordinateur sera le terrain de jeu, le décor unique, objet de ses fantasmes et inventions corporelles à tout bout de champ.
Les images qui y défilent correspondent exactement à la mesure de son corps qui en prolonge les formes: un pêle-mêle, méli-mélo fait de fausse perspectives, de trompe l’œil, à foison.Raccords-corps-images millimétrés, précis quasi "magiques" qui fonctionnent sur le leurre , entre charnel et virtuel, la frontière de l'écran s’efface et l'on plonge avec délice dans ce bain , immergé ; par thématique, les concordances s’effectuent à l'emporte pièce: un pénis devient douille de pâtissier, une séance de rasage succède à des œufs montés en neige..
L'illusion est bluffante, tout s'ajuste, se cadre, les échelles de grandeur varient, l'image se déforme et l'humour surgit, à l'aise dans ce petit format d'écran étriqué.Boxe, zombie, organes factices, tout est passé en revue dans cet inventaire de recettes internet.
Elle peut .même changer de sexe, d'axe à l'envi!
Son corps pour s'adapter aux images ne cesse de revêtir toutes sortes de poses, attitudes, postures.
Les animaux y sont tout un chapitre, comique décalé à souhait; un revolver est prétexte à des collages surréalistes, pertinents et opérationnels. Corps-décor qui la traque, qui l'inféode au rythme, synchrone en diable avec les images et le timing de leur défilement
Au final, un peu de relaxation avec le bruit de son foehn virtuel, histoire de ne pas oublier ce gadget ...Et l'origine du monde est orifice des cordes vocales, ou tête de bébé sorti de l'argile boueux: on façonne le monde dans cette pièce où les deux partenaires, femme et écran, vivent conjointement des aventures picturales et sensorielles, entre artifice et réalité.Son chef d'oeuvre sera cette vanité, crâne défiant la vie, et on se quittera à la lueur d'un feu de cheminée...sur écran!
Belle performance, jouée, articulée par un corps en symbiose rythmique hallucinante avec la dynamique du montage-images.

Au TJP petite scène le 2 Avril
dans le cadre du festival extradanse, initié par Pole Sud