samedi 11 mai 2019

"L'Imaginaire": "Aus den sieben Tagen" de Stockhausen: corps-respon-danse.....


Samedi 11 mai 2019, 20h30
Musique et performance
-En partenariat avec L’Ecole de Théâtre Physique I Strasbourg-

Karlheinz Stockhausen « Aus den sieben Tagen »

"Inlassablement depuis des années
je l'ai dit et parfois écrit:
je ne fais pas MA musique, mais
je transmets les vibrations que je capte,
fonctionne comme un traducteur,
suis un poste de radio. (…)"
(Extrait de "Litanie", Aus den Sieben Tagen)

"Pour cette aventure inouïe, nous avons cherché à expérimenter l'état d'esprit proposé par Stockhausen en 1968, avec toutes les possibilités techniques que nous avons aujourd'hui en 2019.
Avec un peu d'installation dans nos instruments,
l'instrument se met à sonner sans qu'on y souffle,
une autre note est à chercher dans l'air...
L'acteur capte "nos sons" dans l'air et les fait sonner...
Nos instruments et les corps des acteurs deviennent ainsi les canaux qui transmettent les vibrations dans l'air, dans l'univers.
C'est bien énigmatique, tout ça."

Belle aventure que cette rencontre entre des artistes très "physiques", musiciens du vent et du souffle et danseur de la peau et de la respiration
A eux tous ensemble, ils font corps et graphie dans l'espace sonore imaginé par Stockhausen pour une musique entre écriture et aléas, ressenti et interprétation.
Oeuvre courte et dense qui s'applique à déjouer les pièges de l'improvisation en tissant des liens avec les volutes de la musique qui se fabrique devant nous Deux musiciens, un maitre de cérémonie acoustique, Jan Gubser et douze danseurs du "Théâtre physique" dirigé par Katiouschka Kuhn, pour donner corps à cet "objet musical" hybride, très étonnant qui fait appel à la présence physique très fortement.
Dix tableaux se succèdent dans le noir, l'ombre ou la lumière, selon l'intensité, le volume sonore ou les silences.Saxophone et flûte comme des poumons qui respirent, inspirent et expirent, accompagnés par les corps dansant qui structurent un espace frontal, sagital à la Laban. Des marches, courses, par petits groupes compactés ou en échappée belle, en solitaire ou duo. Des sauts, des trajets bien réglés comme sur une partition corporelle. Un beau duo de femmes, léger, altier à la Trisha Brown, quelques enluminures baroques le long des épaules, du bout des doigts. Des ondulations désaxées, des "manières" qui s'accumulent pour , sur la pointe des pieds, correspondre à l'émission des sons des interprètes des "vents". De longues tenues en sirène pour flûte et saxo, des motifs qui se répètent, s'étirent, s'intensifient, s'emballent. Rythme et tonalité au diapason de la musicalité, lente et profonde de la danse.
Danse contact, qui relie les corps en écheveau, fibre d'une étoffe sensuelle et tendue, fluide aussi dans de beaux déroulés. Magie du son qui se propage, résonne en larsen, de quoi étonner d'entendre sourdre de nulle part des sonorités dans l'éther alors qu'aucune source ne les délivre!
C'est la prestidigitation visuelle des gestes de Keiko Murakami qui se joue de cette illusion et manipule dans l'air son instrument ....Alors que les danseurs déambulent, lucioles en main ou soliloquent dans un langage gestuel rigide, droit directionnel et frontal.
Les corps s’entraînent au sol, se repoussent, s'attrapent dans de beaux tiré-poussé, front sur front, poids et gravité en dernier ressort pour mieux impacter l'énergie de la mouvance.
Les entrelacs entre musique et danse ouvrent et referment les espaces de ces abandons corporels, au sol: la proximité musiciens-danseurs opérant pour cette osmose , de plein pieds, de plain-pieds!
Plan, lignes, point: on est aussi au coeur des compositions picturales toniques d'un Kandinsky: des basculés en roulades, des spirales en suspension aussi pour révéler la densité, la matière musicale diffractée.Quand le saxophone de Philippe Koerper se donne à fond, les corps s'envolent, s'emparent de l'espace dans des courses folles et contagieuses. Puis c'est le silence de trois danseurs, de front, statiques qui donnent à voir l'accalmie, l'apaisement. Combat, lutte, passages furtifs reprennent le dessus, rémanence de la musique à voir!
Et quand le souffle émis par la respiration essoufflée de l'une d'entre eux se fait musique, l'oeuvre a gagné son pari d'être vivante, source de circulation, de trajets, de voyages.
Le corps est cet instrument, médium multiple, musique, mouvement, sons et la danse trouve sa place au sein de cet opus atypique: visuel, respiré,inspiré!
Le pari de défier les embûches d'une pièce complexe de par son côté aléatoire et joueur, hasardeux et périlleux, est gagné et le public très nombreux ce soir là reste presque sur sa "fin" tant l'intensité porte à croire que la magie est vraie, le spectacle encore présent à nos yeux, nos oreilles et notre émotion.
Abstraite au sens d'une composition en état de facture, dans l'instant, charnelle dans le souffle qui l'anime du début à la fin: la respiration collective !




Keiko Murakami, flûte
Philippe Koerper, saxophone
Jan Gubser, électronique
Et les étudiant(e)s du cours On stage I L’Ecole de Théâtre physique I Direction Katiouschka Kuhn.

Jazzdor "Animal Image" et "All Set": zen attitude au désert et trublions de bonnes "nouvelles" !


"𝗔𝗡𝗜𝗠𝗔𝗟 𝗜𝗠𝗔𝗚𝗘" Si ce projet est né de la création d’une bande-son improvisée pour le film documentaire « Animal Image » de l’artiste visuel finlandais Perttu Saksa, la musique existe seule et évoque tour à tour les paysages glacés et anciens de la forêt finlandaise, la quête humaine et animale d’un monde partagé en symbiose, une recherche d’infini, de pureté. .
On ne s'en doute pas au premier coup de gong, à la première poussée de souffle de la trompette, mais le morceau sera intégral et sans interruption une demie heure durant avec toutes sortes de variations, de modulation: des frôlements, effleurement du bout du manchon sur les deux gongs, amoureusement caressé par le musicien, crane rasé et logue barbe de celte druide, très inspiré par des vibrations mystiques et spirituelles proche de la méditation zen! Ambiance spatiale de lointains paysages, raclures de la trompette dans un joyeux monastère résonnant où le son s"amplifie, intense, sourd, peu à peu, passant de l'intime au partage volubile généreux de sonorités inouïes.Percussion et vent en osmose pour ce duo de charme insinuatif: comme une scie musicale ou un jeu de verres de cristal, le son est "zen" et méditatif: quelques petits éclats de souffle, des percussions de bois pour quitter le gong omniprésent: des ondulations sonores portées par l'électronique qui oeuvre en écho et borde les mélodies fugaces. La trompette s'y questionne et se répond en réverbération simultanée en réaction au pré-enregistré en live!
son de rouage, de chaine, comme dans une mécanique grippée, au ralenti. Reprise et renaissance des flux de musique à l'envi pour cette aubade, ode turbulente aux deux sources musicales qui se mêlent se fondent et ne se distinguent plus. Un mystère plane, très délicat, feutré, alors que les percussions se font plus métalliques, plus froides. Les espaces sonores se démultiplient, s'accumulent, se heurtent ou s'entuilent en entrelacs savants dans une interprétation et une composition virtuose. l Les effets de volume portent les modulations et contrastes: puis tout se rétrécit, s'amenuise pour une petite mort, douce agonie des sons qui échouent sur les horizons sonores: comme une plaine qui s'assombrit, une mer qui se retire après le déploiement de ses vagues.
Des contrées s’effacent au profit su silence: une très belle pièce enivrante et hypnotique, une navigation au long court émouvante et troublante. Mika Kallio et Verneri Pohjola au mieux d'une forme d'écoute et d'inventivité, sensuelle, charnelle, très présente dans cet opus aux parfums du grand large.

𝙁𝙞𝙣𝙡𝙖𝙣𝙙𝙚 - 𝙈𝙞𝙠𝙖 𝙆𝙖𝙡𝙡𝙞𝙤, 𝙗𝙖𝙩𝙩𝙚𝙧𝙞𝙚, 𝙜𝙤𝙣𝙜𝙨 / 𝙑𝙚𝙧𝙣𝙚𝙧𝙞 𝙋𝙤𝙝𝙟𝙤𝙡𝙖, 𝙩𝙧𝙤𝙢𝙥𝙚𝙩𝙩𝙚, 𝙚́𝙡𝙚𝙘𝙩𝙧𝙤𝙣𝙞𝙦𝙪𝙚
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"𝗔𝗟𝗟 𝗦𝗘𝗧"
"Si les deux saxophonistes se guettent respectivement depuis une quinzaine d’années, il aura fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour que cette rencontre ait lieu. Le prétexte musical à l’œuvre n’est pas des moindres et nous renvoie en 1957 quand le George Russell et Günther Schuller Orchestra featuring Bill Evans (le disque se nomme Bill Evans and Orchestra !) « crée » la pièce « All Set » du compositeur Milton Babbitt pour un combo de jazz. Nous sommes en pleine naissance du « 3e courant » et les frontières entre jazz et musique contemporaine trouvent déjà des démolisseurs patentés. Si cette œuvre est écrite pour octet de jazz, elle sera évoquée et prolongée ici en quartet seulement, comme un work in progress tenu sur le feu par quatre voix uniques du jazz actuel, un jazz à l’écoute de l’autre et des multiples courants apparus au cours des soixante dernières années."
C'est un trèfle à quatre feuilles, porte bonheur de l'instrumentation fertile en idées et recherches, frappant fort sur le plan de la musicalité: sous forme de petites oeuvres, nouvelles, coup de poing à l'écriture jazzique, très resserrée, tonique, compacte et convaincante.La fébrilité ascendante, très libre, free, dans la saturation des espaces sonores du premier morceau, atteste de cette signature dense et éclatante du quatuor et de ses deux auteurs-compositeurs saxophonistes. Suivent quelques pièces de la même étoffe, tissues de mouvements de trame et chaine qui concoctent du pétulant, du vif dans cet écheveau de navettes La troisième oeuvre, batterie et contrebasse en renfort, vibre étrangement, ponctuée d'un rythme interne répétitif de percussion intrusive: fluide et variée, la musique va bon train, avec quelques belles envolées et échappées de saxophone. En brèves tonalités, sèches et vives comme des salves détonantes.
Un métronome fictif, une horloge, maitre du rythme, du tempo , virtuelle mais si présente dans le son, comme autant d'interventions réduites pour la pièce suivante qui entraîne dans des univers de science fiction. Des silences aussi, de la discrétion feutrée pour les entrées et tenues de chacun des protagonistes. Chacun s’immisce dans les intervalles, fentes ou interstices de la composition avec de belles et franches nuances et contrastes.
Un monde de sirènes répétitives, en zébrures et zig zag, allées et venues de gyrophare musical lancinant pour la suite du programme chamarré et bigarré. Étincelantes résonances des deux saxos qui s'embrouillent, s’emmêlent, dissonants Ca  s'emballe au grand galop, scandé, martelé, musical et virtuose!
La symbiose entre saxophones et contrebasse s’amplifie, mimétisme et miroir sonore de cette distributions de sons inédits. Des tonalités dynamiques, du tonus , de la verve musicale à souhait pour cet ensemble réuni pour le meilleur de chacun: dans une altérité et identité des timbres, des hauteurs et autres facéties inventives pour tordre le cou aux conventions de l'écriture jazz. Un train de musique alerte, régulier, entraînant, où tout s’emboîte, se répond pour un bel amalgame résonant!
Une musique éclatante s'en échappe, brève, fulgurante, foisonnante et débridée, libre et joyeuse.
Émancipée, en détails précis et méticuleux aussi, identitaire pour chacun des instrument porté par des corps vibrants très inspirés et mouvants
Vivante et actuelle musique enchantante pour cette mêlée acrobatique et performante, périlleuse et séduisante opération de charme décalé.
Un bis et un re-bis où tout le talent de la dformation éclate en brèves touches humoristiques sans égal!



𝙁𝙧𝙖𝙣𝙘𝙚 - 𝙀𝙩𝙖𝙩𝙨-𝙐𝙣𝙞𝙨 - 𝙄𝙣𝙜𝙧𝙞𝙙 𝙇𝙖𝙪𝙗𝙧𝙤𝙘𝙠, 𝙨𝙖𝙭𝙤𝙥𝙝𝙤𝙣𝙚 / 𝙎𝙩𝙚́𝙥𝙝𝙖𝙣𝙚 𝙋𝙖𝙮𝙚𝙣, 𝙨𝙖𝙭𝙤𝙥𝙝𝙤𝙣𝙚 / 𝘾𝙝𝙧𝙞𝙨 𝙏𝙤𝙧𝙙𝙞𝙣𝙞, 𝙘𝙤𝙣𝙩𝙧𝙚𝙗𝙖𝙨𝙨𝙚 / 𝙏𝙤𝙢 𝙍𝙖𝙞𝙣𝙚𝙮, 𝙗𝙖𝙩𝙩𝙚𝙧𝙞𝙚
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jeudi 9 mai 2019

"Mnémozyne" de Joseph Nadj :performance de l'image



Plusieurs fois accueilli à La Filature en tant que chorégraphe et
danseur, Josef Nadj est également plasticien et photographe.
Aujourd’hui, 30 ans après sa première pièce, il puise dans sa
propre mémoire pour élargir, une nouvelle fois, son horizon
créatif et présente « Mnémosyne », une oeuvre globale associant
projet photographique et performance scénique : chaque
action, chaque instant résonne avec son parcours, personnel
et artistique, transfiguré dans une épure emprunté à Beckett.
Mnémosyne
Projet photographique et performatif



Mnémosyne pour dire la mémoire d’un monde : celui du chorégraphe et plasticien Josef Nadj. Trente ans après la création de sa première pièce, il nous offre une œuvre globale, associant projet photographique et performance scénique. Tout au long de son parcours, l’artiste formé aux Beaux-Arts de Budapest n’a jamais cessé de photographier. En se réappropriant cette pratique menée en parallèle, Josef Nadj puise dans sa propre mémoire pour élargir, une nouvelle fois, son horizon créatif. Virage artistique ou retour aux sources ? Pour Mnémosyne, il a conçu une vaste exposition photographique, un véritable écrin constellé d’images au sein duquel il se met en scène – entre jeu, danse et performance – au plus près de son public.

Soit un petit espace clos et sombre, une camera oscura en attente. Le visiteur y devient spectateur voire regardeur. Dans l’intimité de ce cabinet où s’animent quelques curiosités, Josef Nadj livre une brève performance d’une rare densité : chaque mouvement, chaque action, chaque instant résonne avec son parcours, personnel et artistique, transfiguré dans une épure empruntée à Beckett. Et l’on songe alors que, dans le titre « Mnémosyne », on entend le mot « Ménines »… A l’instar du chef-d’œuvre de Vélasquez, Mnémosyne contient une multiplicité de regards qui ne cessent de se nourrir.

Autour de ce dispositif activé le temps de la performance, Josef Nadj a conçu une exposition photographique foisonnante. Chacun des clichés accrochés aux abords de la boîte raconte une histoire, à appréhender comme un spectacle suspendu. Chaque image recèle une mémoire en soi, connue de l’artiste seul : s’y côtoient des objets trouvés retenus pour leur puissance suggestive, des références patrimoniales qui ne cessent de l’inspirer et toutes sortes de souvenirs. Ces clichés suggèrent, parallèlement à la brièveté de la performance, un rapport au temps qui s’étire sur plusieurs années, de la recherche des formes à la composition des images, du choix de la technique à la prise de vue effective.

Hommage personnel et transversal à l’Atlas demeuré inachevé de l’historien d’art allemand Aby Warburg, Mnémosyne s’apparente à une œuvre d’art totale, à la fois installation, performance et exposition, dont il reste pour chacun une image, ultime, qui interroge à la fois notre regard et notre mémoire : qu’avons-nous vu ?