mercredi 29 novembre 2023

"Good boy" (le film): une bonne é-toile....good for, mauvais genre en tout genre....La danse sur sa défensive.

 

Good Boy, histoire d’un solo


Réalisé par Marie-Hélène Rebois (2020, 74 minutes)

 L’histoire du célèbre solo d’Alain Buffard « Good Boy », qui a marqué l’histoire de la danse et du sida en France dans les années 1990. Juste après l’arrivée des traitements par trithérapie, alors qu’il a arrêté la danse depuis 7 ans, Alain Buffard décide de se rendre auprès d’Anna Halprin, en Californie, pour suivre les stages de dance-thérapie qu’elle a mis en place à destination des malades du cancer et du sida. Là, en pleine nature, sous le regard d’Anna Halprin, Alain Buffard va trouver la force de se reconstruire et de remettre son corps au travail.

 Dans « Good Boy », Alain Buffard met en scène la reconquête de son corps. Comment retourner vers la vie, la verticalité malgré et surtout avec la maladie. Le déséquilibre est constant, mais parfaitement maîtrisé.
En projetant la captation de la pièce sur des fibres de bois, la réalisatrice met en exergue la manière dont Alain Buffard fait de son corps un matériau brut, au travail. Le moindre geste compte.
Comme le dit Matthieu Doze, qui reprend aujourd’hui le solo mythique, « Good Boy tient dans une valise » ». Une économie de moyens extrêmement percutante pour comprendre la grande solitude de l’individu mais aussi d’une génération face à la maladie. Marie-Hélène Rebois met au centre de son film différentes générations de danseurs mais aussi des proches d’Alain Buffard, et fait ainsi dialoguer l’intime importance du retour à la danse pour le chorégraphe et la force symbolique de ce solo pour toute une génération marquée par le Sida.


Un corps filmé dans le respect total du silence, de la distance: celui d'Alain Buffard au coeur, au creux de sa peau , sans "défense" contre la maladie hormis ce cube de boites de médicaments empilés comme une sculpture de Carl André, au sol sans socle. La visibilité est celle d'une position plastique et la stature architecturée d'Alain Buffard est très esthétique, canonique. Aucune traces ou pistes visuelles du mal sidérant dont il est atteint. Anna Halprin est passée par là pour reconstruire ce corps meurtri de l'intérieur qui n'a de cesse de trouver l'expression de sa solitude dans un solo "good boy" . Des images en noir et blanc, très pudiques comme les mouvements du danseur-auteur-choré-graphe de sa propre capacité physique. Corps qui se reconstruit, se découvre, poids et appui à l'appui! Si cela oscille, c'est du au déséquilibre de ces talons hauts de fortune qui le rendent encore plus "beau". Le film tricote l'histoire de ce solo, légende d'une époque où la danse bascule, évolue grâce à des auteurs-chorégraphes singuliers.Matthieu Doze expose le substrat de la passation de ce solo par son géniteur d'origine, son créateur. Le voir se raser le crâne, ranger son "costume", ses slips bien pliés pour rentrer dans une valise est de toute émotion. Une touche d'humour, de détente dans ce climat où flotte le spectre de la faucheuse, camarde des "danses macabres" d'antan. Pour une autonomie retrouvée du corps empêché.

 


Puis c'est la quatuor de "good boy" qu'on a le plaisir de découvrir: l'un des danseurs expose que la dimension personnelle dramatique du jeu doit s'effacer au profit de la danse Demeurent ces quatre corps en "couche-culotte", enfants ou vieillards soumis à la loi du fléau, de l'épidémie ravageuse. Le ton du film de Marie Hélène Rebois est sobre, en empathie avec le milieu de l'art vivant, en symbiose discrète et pudique: témoin de son temps qu'elle remonte et nous fait découvrir. Avec subtilité sans pathos à l'image de la posture des danseurs de l'époque; droit debouts, honnêtes passeurs d'une expression urgente, d'une tentative de résurrection, d'érection à la verticale pour quitter l'horizontalité fatale du gisant.  Et le texte d'Alain Ménil de ponctuer les images et séquences d'interviews diverses passionnantes. Un document rare et précieux sur le parcours incessant de la danse en marche, en marge.

Interprète(s): Matthieu Doze, Pierre Lauret, Elizabeth Lebovici, Jacqueline Caux, Eve Couturier, Jean Jacques Palix, Fanny de Chaillé, Olivier Normand Production : Daphnie-production


Ce film raconte l’histoire du célèbre solo d’Alain Buffard, Good Boy, solo qui a marqué l’histoire de la danse et du sida en France à la fin des années 1990.
Juste après l’arrivée des traitements par trithérapie, alors qu’il a arrêté la danse depuis sept ans, Alain Buffard décide de se rendre auprès d’Anna Halprin, en Californie, pour suivre les stages de «danse-thérapie» qu’elle a mis en place à destination des malades du cancer et du sida.
Là, en pleine nature, sous le regard d’Anna Halprin, Alain Buffard va trouver la force de se reconstruire et de remettre son corps au travail, il va renaître: « … je choisis de nouveau la danse, aujourd’hui je choisis la vie et je reprends à mon compte la proposition de Doris Humphrey : «La danse est un axe tendu entre deux morts».
À son retour en France, il crée son solo historique, Good Boy, qu’il interprétera lui-même pendant plusieurs années avant d’en faire la matrice de ses chorégraphies suivantes. Il y aura d’abord Good For pour quatre danseurs puis Mauvais Genre pour vingt danseurs. La gestuelle de Good Boy, empreinte du corps du chorégraphe, marqueur de ce que le sida a fait à la danse, a été dupliquée, déclinée, redistribuée par Alain Buffard lui-même pendant presque une décennie.
Cet écho chorégraphique d’une épidémie planétaire (qui résonne encore dans les imaginaires corporels de notre époque) est le sujet principal du film.

Marie-Hélène Rebois

Au MAMCS le mercredi 29 NOVEMBRE  avec le Lieu documentaire dans le cadre de l'exposition "aux temps du SIDA" et Ciné Corps


 

mardi 28 novembre 2023

"Le Voyage dans l'Est": un non lieu impossible...Le tandem Angot-Nordey opère une chirurgie charnelle de toute grandeur.

 


CRÉATION AU TNS

Avec Le Voyage dans l’Est, Christine Angot revient sur l’inceste, cette catastrophe familiale, psychique, anthropologique. L’écriture est le véhicule qui permet de retrouver quelque chose de soi, malgré tout, en posant l’enjeu de voir au plus près ce qu’il s’est passé et vécu sous l’emprise de ce père qui a soumis sa fille de quatorze ans à l’inceste. Revoir, avec le courage de la vérité : revenir sur les faits, les actes, les mots, les points de vue. La scène doit pouvoir faire entendre la tension de cette rétrospection.

Décor lisse, intransigeant, tantôt arène où se déroulent les aveux, le récit de Christine Angot, les "rebondissements" d'une tragédie humaine qui fait l'objet de déni, de trou noir, d'abime où se jettent les personnages à corps perdu. "Cinéma" en fond comme le récit mis en scène qui va se dérouler face à nous. Une narration, un "scénario" d'après une histoire vraie....L'écran sera la toile où la "voyageuse" parcourt le monde, image récurent d'un visage inquiété, meurtri. Ecran où va lui succéder le visage de l'enfance, celui de Christine en gros plan qui conte en direct les abus et leur long cheminement. Le drame vécu par cette jeune fille, sa "rencontre" avec son père sont simplement bouleversants et incarné par Carla Audebaud que l'on voit également sur écran géant simultanément. Visage tantôt joyeux, crédule, naïf, ou débité, désabusée, trahie par les événements qui s'enchainent. La dépendance de "l'enfant" à son père, les actes décrits abruptement touchent, impactent et dépassent l'entendement. Le verbe, la syntaxe s'enflamment et le personnage de Christine incarné par Cécile Brune portent ces paroles, ses écrits avec rudesse, délicatesse ou emportement. Le corps en miette d'une femme blessée se déstructure, se brise en mille morceaux inconsolables.Le "non-lieu" qu'elle fustige et bannit de sa vie comme attitude et posture est credo qui fait mouche. Le père qui navigue la tête haute ,interprété par Pierre François Garel, "séduit" par la crédibilité de son jeu, lointain, évanescent, poreux, toxique à souhait.Christine adulte jouée par Charline Grand semble "restaurée", "réparée" mais le mal est fait et l'irréparable persiste.


Les situations portées par chacun s'enchainent et dévoilent un univers glacé, hypocrite et pervers à souhait. La mère, Julie Moreau, attentive et faussement impliquée dans ce jeu de dupes est crédible et tendre complice . Claude, Claude Duparfait, excelle dans la sobriété, le tact et le déni. Un personnage sur la corde raide, celui qui sait mais ne fait rien...Car dans cette famille de "bonne famille" les relations sont filtrées à demi-mots et portent le secret de l'humiliation, de la déconstruction de l'autre à volonté. Tragédie plus que théâtre de mœurs, cette adaptation des écrits de Christine Angot sont habilement mis en scène par Stanislas Nordey, pudiquement mais férocement.  Chacun y trouve sa place et l'intensité de ce qui y est raconté est sidérante. Les décors signés Emmanuel Clolus, la lumière signée Stéphanie Daniel contribuent à cette atmosphère glacée constante.La musique, notes de piano égrenées au rythme de l'action se fait univers froid et plombé. On en ressort bouleversé, secoué, au pied d'un mur qui aujourd'hui semble s'entrouvrir au sujet de la reconnaissance humaine et juridiques des "dégâts" causés par l'inceste sur les victimes "non consentantes". Un bout de chemin lucide que ce "Voyage dans l'Est" qui parcourt les contrées du drame, de Strasbourg à Reims, de chambres d’hôtel et rencontres familiales. Quand des lèvres de Christine les mots ne parviennent pas à sourdre, l'empathie est forte et quasi constante. "Arrêtez, arrêtons, arrête"...criaient et dansaient en corps Mathilde Monnier et Christine Angot...

Stanislas Nordey, dans sa radicalité théâtrale, cherchera à révéler la précision clinique et l’intransigeance critique de cette langue dont la quête forcenée, d’une humanité implacable, trouble et ravage le sens commun. Stanislas Nordey, acteur et metteur en scène, a dirigé le Théâtre National de Strasbourg de 2014 à 2023. Il a créé, durant ces années, des textes de Christophe Pellet, Édouard Louis, Claudine Galea, Marie NDiaye et Léonora Miano. 

Au TNS jusqu'au 8 Décembre

jeudi 23 novembre 2023

"En attendant Théo : ich wart uf de Theo". Théo-phile, j'aime...Freyburger touche et bouleverse en Seppi le magnifique.

 

"Mais quand dans la vie on veut faire deux fois la même chose ça ne marche jamais."


« Des fois il arrive Théo et demande, avant même de dire salut « T’as lu mon sms ? ». « Non, tu crois que je vais mettre mes lunettes toutes les cinq minutes pour voir si tu m’as envoyé un sms. Pas la peine de perdre du temps pour m’écrire un sms que tu arrives. Tu viens et fini. » Et tout ça je lui dis en français. Alors il me dit que mon téléphone fait brrr quand il m’envoie un sms. Alors je lui dis : « Mais tu sais donc que ma machine dans l’oreille se dérègle toujours. Tu viens et fini. »

 


Assis sur le banc devant le Sup’rU, le vieux Sepp remonte le fil de son passé : sa jeunesse avec son meilleur ami tombé en Algérie, la rencontre avec son épouse décédée il y a bien longtemps, l’enfance de son neveu qu’il aimait comme un fils et le fit se lancer dans une rocambolesque tentative de séduction via un site de rencontre… Du comique au tragique, dans cet entre-deux qui caractérise la joyeuse écriture de l’auteur, il égrène ses souvenirs en attendant Théo, son petit neveu, le seul être cher que la vie lui a laissé.


Et c'est très touchant d'emblée: un personnage se profile dans la pénombre, à peine visible: seule sa voix nous indique son existence . Le texte se fait monologue confidentiel et nous voilà embarqués dans l'histoire d'une grande solitude faite de souvenirs, d'attente, de patience. Crédule à souhait notre bonhomme, ce "ravi de la crèche" à qui l'on fait croire que l'on viendra alors que le suspens est vite dévoilé. Théo sera l'Arlésienne, figure onirique, spectre qui hante notre anti héros et qui le gruge de sms prometteurs: "j'arrive": ce qui signifie souvent que l'on s'en va ...pour revenir. Mais ce soir "j 'attends Madeleine"...mais elle ne viendra pas. Prétexte alors aux souvenirs, aux salutations auprès d'un voisin, d'une voisine dont on finira par connaitre la vie à travers la procuration de Seppi. "Sepp" pour qui préfère. Un bonhomme plein de gentillesse qui évolue sur le parking du grand magasin avec une voix douce qui porte. Francis Freyburger plein de délicatesse, de tempérance, qui ne se fâche jamais et nous embarque en empathie avec son triste sort. Théo absent toujours de la scène. Alors que des paysages mentaux sont projetés sur une longue toile: torrents de rivière, forêts découpées de silhouettes très "Kirchner" signées du talentueux Chtistophe Werhung. Une idée de mise en espace virtuel du metteur en scène Olivier Chapelet doublé d'une scénographie sobre et bienvenue de Emmanuelle Bischoff. La musique d'Olivier Fuchs se fait paysage sonore et l'on quitte ce parking aux lampadaires jaunes pour décoller dans l'univers de Seppi avec grâce et volupté. Rien n'est triste ou sombre dans ce destin si bien mis en mots par Pierre Kretz, ici observateur et serviteur des petites gens sans dédain ni, condescendance. En langue alsacienne, c'est encore plus charmant et ravissant. Alors laissez vous "ravir" par ce personnage si commun, mais attachant. Venez au rendez-vous de Seppi: il vous attend, ne le décevez pas. Car poser un lapin à une proie si docile n'est pas civique ni civile.


 

Après les tribulations de Thérèse, la beesi Frau de la saison dernière, Pierre Kretz, Olivier Chapelet et Francis Freyburger tirent le portrait d’un autre villageois. Autre destinée silencieuse ravivant ses zones grises et ses myriades de couleurs sous le pinceau complice de l’artiste Christophe Wehrung qui peint les paysages d’une existence simple, car la vie ordinaire c’est ce qui reste quand tout fout le camp.

Au TAPS Scala jusqu'au 25 Novembre