CRÉATION AU TNS
Avec Le Voyage dans l’Est, Christine Angot revient sur l’inceste, cette catastrophe familiale, psychique, anthropologique. L’écriture est le véhicule qui permet de retrouver quelque chose de soi, malgré tout, en posant l’enjeu de voir au plus près ce qu’il s’est passé et vécu sous l’emprise de ce père qui a soumis sa fille de quatorze ans à l’inceste. Revoir, avec le courage de la vérité : revenir sur les faits, les actes, les mots, les points de vue. La scène doit pouvoir faire entendre la tension de cette rétrospection.
Décor lisse, intransigeant, tantôt arène où se déroulent les aveux, le récit de Christine Angot, les "rebondissements" d'une tragédie humaine qui fait l'objet de déni, de trou noir, d'abime où se jettent les personnages à corps perdu. "Cinéma" en fond comme le récit mis en scène qui va se dérouler face à nous. Une narration, un "scénario" d'après une histoire vraie....L'écran sera la toile où la "voyageuse" parcourt le monde, image récurent d'un visage inquiété, meurtri. Ecran où va lui succéder le visage de l'enfance, celui de Christine en gros plan qui conte en direct les abus et leur long cheminement. Le drame vécu par cette jeune fille, sa "rencontre" avec son père sont simplement bouleversants et incarné par Carla Audebaud que l'on voit également sur écran géant simultanément. Visage tantôt joyeux, crédule, naïf, ou débité, désabusée, trahie par les événements qui s'enchainent. La dépendance de "l'enfant" à son père, les actes décrits abruptement touchent, impactent et dépassent l'entendement. Le verbe, la syntaxe s'enflamment et le personnage de Christine incarné par Cécile Brune portent ces paroles, ses écrits avec rudesse, délicatesse ou emportement. Le corps en miette d'une femme blessée se déstructure, se brise en mille morceaux inconsolables.Le "non-lieu" qu'elle fustige et bannit de sa vie comme attitude et posture est credo qui fait mouche. Le père qui navigue la tête haute ,interprété par Pierre François Garel, "séduit" par la crédibilité de son jeu, lointain, évanescent, poreux, toxique à souhait.Christine adulte jouée par Charline Grand semble "restaurée", "réparée" mais le mal est fait et l'irréparable persiste.
Les situations portées par chacun s'enchainent et dévoilent un univers glacé, hypocrite et pervers à souhait. La mère, Julie Moreau, attentive et faussement impliquée dans ce jeu de dupes est crédible et tendre complice . Claude, Claude Duparfait, excelle dans la sobriété, le tact et le déni. Un personnage sur la corde raide, celui qui sait mais ne fait rien...Car dans cette famille de "bonne famille" les relations sont filtrées à demi-mots et portent le secret de l'humiliation, de la déconstruction de l'autre à volonté. Tragédie plus que théâtre de mœurs, cette adaptation des écrits de Christine Angot sont habilement mis en scène par Stanislas Nordey, pudiquement mais férocement. Chacun y trouve sa place et l'intensité de ce qui y est raconté est sidérante. Les décors signés Emmanuel Clolus, la lumière signée Stéphanie Daniel contribuent à cette atmosphère glacée constante.La musique, notes de piano égrenées au rythme de l'action se fait univers froid et plombé. On en ressort bouleversé, secoué, au pied d'un mur qui aujourd'hui semble s'entrouvrir au sujet de la reconnaissance humaine et juridiques des "dégâts" causés par l'inceste sur les victimes "non consentantes". Un bout de chemin lucide que ce "Voyage dans l'Est" qui parcourt les contrées du drame, de Strasbourg à Reims, de chambres d’hôtel et rencontres familiales. Quand des lèvres de Christine les mots ne parviennent pas à sourdre, l'empathie est forte et quasi constante. "Arrêtez, arrêtons, arrête"...criaient et dansaient en corps Mathilde Monnier et Christine Angot...
Stanislas Nordey, dans sa radicalité théâtrale, cherchera à révéler la précision clinique et l’intransigeance critique de cette langue dont la quête forcenée, d’une humanité implacable, trouble et ravage le sens commun. Stanislas Nordey, acteur et metteur en scène, a dirigé le Théâtre National de Strasbourg de 2014 à 2023. Il a créé, durant ces années, des textes de Christophe Pellet, Édouard Louis, Claudine Galea, Marie NDiaye et Léonora Miano.
Au TNS jusqu'au 8 Décembre
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