mercredi 8 novembre 2023

WARÉ MONO de Kaori Ito : surface de réparation: on s'y colle!

 


Deux personnages jouent ensemble. Tantôt ils s’imitent et s’entraînent l’un l’autre, tantôt ils fusionnent jusqu’à former une seule et même créature, tantôt ils se défient et s’affrontent. Par la danse, ces êtres deviennent animaux ou monstres, jumeaux ou ennemis. Leurs relations se métamorphosent vite, à la lisière entre férocité et tendresse. Touchée par la brutalité de certaines confidences d’enfants et marquée par la trace de la violence en eux, Kaori Ito, danseuse, chorégraphe, a senti la nécessité de créer un spectacle qui parle de leurs blessures. C’est en s’inspirant du Kintsugi qu’elle a souhaité le faire ; cet art japonais de restaurer des objets cassés, abîmés, non pas en dissimulant les fissures, mais en les sublimant avec de l’or. Dans la lignée de son précédent spectacle jeune public Le monde à l’envers, où les récits des enfants réparent le monde, Kaori Ito a souhaité que des groupes d’enfants soient impliqués comme experts dans le processus de création. Leurs imaginaires, leurs mots et leurs énergies sont l’or qui répare les failles. Sur scène, auprès du duo formé par Kaori Ito et le danseur Issue Park, se trouve une marionnette en chantier. Au fur et à mesure qu’elle s’anime, un rituel de réparation s’instaure, la soigne et la transforme. La faille est une porte. Elle laisse la place à l’imagination. Et elle devient de l’or.

AVEC KAORI ITO ET ISSUE PARK


Sur le plateau des enfants s'adonnent à la découverte de la pratique inspiré du kintsugi, l'art de réparer les céramiques au Japon:dans ce rituel de réparation, on recolle les morceaux des céramiques cassées avec de la poudre d'or. Plus il y a de fissures, plus la céramique devient précieuse. A travers cette jolie philosophie, le spectacle travaille avec les enfants sur comment réparer nos blessures de l'enfance tout en étant fier de nos failles parce que les failles deviennent de l'or.Les enfants s'étirent, se déplacent, chutent avec aisance et confiance histoire de briser la glace entre eux et en leur fort intérieur. Alors ils laissent place aux deux artistes pour regarder une possibilité d'interprétation "adulte" de ce beau conte de fée. Ils laissent leurs empreintes au sol, tracent des figures à la poudre de céramique avec concentration et bonheur. Touchés, marqués par une trace qui va s'effacer.

Une marionnette git au sol, désarticulée, brisée que la danseuse défait avec lenteur, respect, sans heurt. Des bribes de corps, des segments de ce que nous sommes, comme des brisures, des cassures. Métaphore de la déstructuration, du morcellement, du corps en miettes. Danse secrète, intime qui joue sur l'infime mouvement. La musique comme un chant a capella, simple, sobre, solaire. Vient un partenaire, lui aussi vêtu d'une tunique blanche et d'un pantalon noir, les pieds nus pour un bon contact au sol. Appuis, danse-contact en fabriquent une bête à deux dos, tantôt rampante, tantôt aérienne. Le poids du corps comme un chemin d'équilibre-déséquilibre constant. Sorte de lâcher prise aux accents d'arts martiaux ou de qi qong. Rebelle combattante contre ou avec son partenaire, Kaori Ito se défoule et fait mouche.  Danse de l'esquive, du contournement en ronde-bosse. Une complicité s'instaure, douce, aimante, dosée. Mais la querelle nait entre eux-deux et la révolte soulève le danseur qui explose en mouvements circulaires, giratoires, en sorte de capoeira, de breakdance subtil et très personnel. La virevolte est de mise et les petits spectateurs s'amusent devant ce tableau ludique de deux adultes qui se chamaillent en beauté. Querelle, séparation, révolte: Kwangsuk Park joue à l'enfant gâté qui hurle et se rebiffe, attendant le consentement d'une mère fâchée. Va-t-il regagner son amour? Sa considération? Bien sur car le duo les réunit à nouveau en adage percussif, malin, contagieux. Les corps se libèrent, bondissent, virevoltent, s'adonnent au plaisir virtuose de bouger. Circassien autant que danseurs, les voici habités par une folle énergie, passeuse de joie, de liberté de circulation. Une façon de se redresser face au danger, de rebondir, de dialoguer avec les corps. Comme pour la peinture de Kaori Ito exposée dans le hall du théâtre: dessins, esquisses à l'aquarelle où les couleurs pleurent et fondent comme une calligraphie mouvante.Et une longue natte de lierre pour envelopper les deux amis compères dans un repos et sommeil bien gagné.

 Danseuse et créatrice depuis 20 ans, Kaori Ito cherche à faire émerger un mouvement vital qui relie les corps et fait exister le vide, l’invisible et le sacré. Née au Japon dans une famille d’artistes, elle se forme très jeune à la danse classique puis à la modern dance à New York. Interprète pendant plus de 10 ans pour de grandes compagnies européennes, elle ressent le besoin de créer sa propre compagnie afin de développer sa démarche artistique et son écriture chorégraphique. Elle fonde la compagnie Himé en 2015. Après une trilogie autobiographique, elle opère un retour à sa culture japonaise dont elle s’inspire notamment pour créer, en 2020, la première pièce où elle n’est pas au plateau. Convaincue de la nécessité de faire entendre la parole des enfants et de donner une place à leur créativité, elle commence en 2021 à créer avec et pour le jeune public. À la croisée des cultures et des langues, des courants, pratiques et disciplines, Kaori Ito développe un vocabulaire artistique hybride et une démarche de création sur la voie de rituels contemporains. Animée du désir de porter un projet qui rêve l’avenir avec la jeunesse et lui donne corps par l’art, Kaori Ito se consacre à ce vœu en 2023 en prenant la direction du TJP, Centre Dramatique National de Strasbourg. Elle souhaite en faire un lieu de théâtre transdisciplinaire, interculturel et intergénérationnel qui défend la transversalité de l’art, l’importance des questionnements des enfants et leur implication dans les processus de création.

photos anais baseilhac

 

Au TJP jusqu'au 14 Novembre

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