Maxime Cozic Cie Felinae France duo création 2023
Oxymore
Repéré sur les plateaux de danses urbaines depuis quelques années, Maxime Cozic pratique une danse rare dans ce contexte, expressionniste, sinueuse, virtuose et intense. Pour son deuxième projet de chorégraphe, il fait appel à Sylvain Lepoivre, complice de la première heure. Plus robuste, le visage grave, le deuxième protagoniste fait contraste. Inspiré par cette différence, le chorégraphe replonge dans ses souvenirs de sorties de boîtes de nuit où l’ivresse des corps rend possible le débordement des individus. À partir de l’état d’euphorie ou de violence qui se dégage de ce type de situation, les deux danseurs oscillent entre manipulation, séduction et soumission. Duo détonant autant qu’étonnant, le pouvoir change de camp en permanence. Les corps, titubants, déséquilibrés et déstructurés par l’alcool et la nuit, lâchent prise et des situations paradoxales apparaissent. Ambiguïté et sensualité s’expriment de manière incontrôlée et la rue devient le théâtre d’autres réalités. La puissance et la fragilité des corps qui s’expriment en même temps donne à la pièce une dimension intime et poétique rarement mise en avant dans les danses urbaines.
En rhétorique, un oxymore ou oxymoron, est une figure de
style qui vise à rapprocher deux termes que leurs sens devraient
éloigner, dans une formule en apparence contradictoire, comme « une
obscure clarté » ou la « lumière noire » ...Qu'en adviendra-t-il en matière de chorégraphie? Seul sur le plateau dépouillé, un homme, tenue banalisée, se présente, s'ausculte doucement, tendrement: son corps semble précieux, son toucher, léger, attentif, bienveillant. Il s'étouffe, râle, tétanisé par un souffle coupé dans une ascension organique pétrifiante, puis son compère le calme.Déjà le mode expressif s'empare de son jeu et sourd de tous ses membres, des traits de son visage entouré d'une belle chevelure hirsute. Parait, l'autre, un être en apparence doué de perfidie, de malveillance. Débute un corps à corps singulier qui n'aura de cesse que de progresser dans l'expression de la douleur, de la soumission, de la souffrance. Ils s'(apprivoisent insidieusement, se câlinent, se calfeutrent doucement puis rapidement, la haine et la fureur s'emparent du premier. Violence de la gestuelle dans un rythme rapide et effrayant, le tout interprété dans une fluidité lax et souple, le corps soumis et balafré de gestes oppressants pour faire naitre un réel malaise. Ce n'est ni un combat, ni une lutte mais un asservissement d'un corps à l'autre.L'énergie est juste et calculée, fulgurante déflagration de consentement, de ravissement, d'enlèvement. S'agit-il d'un viol, d'une agression, d'une mauvaise intention menée jusqu'au bout de ce qui est supportable à regarder? Dans tous les cas cette relation interroge les rapports physiques dans leur brutalité, mais aussi dans l'acceptation d'une maltraitance apparente consentie. La plasticité des corps opérant pour rendre tolérable cette intrusion de l'un dans l'autre. Glissement progressif d'un plaisir masochiste ou accepté. Le couple, duo maléfique se meut avec grâce et fluidité dans un relâchement exemplaire en terme de danse contact. Porté du poids du corps, adhérence d'une peau sur l'autre, comme une dispute, une étreinte rude, brute, abrupte et rustre de deux corps aimantés. L'amour vache et féroce se réconcilie dans une séquence de jamais vu chorégraphique. Lovés l'un dans l'autre, ils s'adonnent à une série de grimaces, de torsions du visage, de la bouche, des paupières, de tout ce qui compose l'anatomie du faciès. Mâchoires et mandibules hyper mobiles, triturées, malaxées par les doigts de ces deux manipulateurs, marionnettistes, prestidigitateurs de la peau.Dans une vitesse, célérité et dextérité virtuose. Supportable juste le temps de ce numéro d'acrobatie à fleur de peau.Oxymore du "beau très laid", du tolérable insupportable, décalant la notion de beau geste convenu, appris ou rabâché. Les deux performeurs sur le fil d'une réalité possible de comportement physique entre jouissance et abnégation, plaisir et douleur: les contraires s'entrechoquent, se cognent et vont droit dans le mur d'une performance qui dérange, interroge et rebondit. Du travail impressionnant d'interprétation pour chacun: le docile Sylvain Lepoivre, le maléfique Maxime Cozic, architecture corporelle puissante et bâtie comme un ouvrage solide et massif. Complicité et désamour à la fois pour cette lutte singulière, confrontation d'énergie douce et puissante. Face à face, osmose et symbiose de deux corps en opposition.
EN AMONT DES REPRÉSENTATIONS Broken Mirrors Film documentaire d’Othmane Saadouni Création 2022 – 66′
En suivant le travail de création de la pièce Telles quelles / Tels quels
du chorégraphe Bouziane Bouteldja, le réalisateur Othmane Saadouni met
l’accent sur le regard des jeunes d’aujourd’hui vis-à-vis du monde qui
les entoure. Entre scènes de danse, moments de recherche et d’échange
avec le chorégraphe et témoignages plus intimes des danseurs, une
histoire poétique s’installe.La danse est superbement filmée au départ, les corps des hip-hopeurs virevoltant sous l'oeil de la caméra au ras du sol pour mieux ancrer les gestes et mouvements superbes des danseurs virtuoses. Puis c'est la parole qui est donnée à chacun, danseur, membres de leur famille pas toujours convaincus par la pertinence de leur choix professionnel: choisir d'être danseur alors qu'une carrière de gendarme serait beaucoup plus acceptable! Un beau témoignage original et pertinent d'une condition pas facile au Maroc. Très belle séquence dansée d'une jeune femme prise sur le vif à bouger spontanément, hors syntaxe chorégraphique délibérée! La danse entre expression et profession, c'est ici l'occasion de se questionner sur cet art que chacun habite à sa façon: organique, sensuelle, directe ou construite lors de répétitions et réflexions d'un chorégraphe, écrivain de la danse: Othmane Saadouni, soucieux de ses interprètes autant que de sa parole.Un film, documentaire de création à la hauteur de l’exigence et du naturel du domaine de Terpsichore.
A Pole Sud les 7 et 8 Novembre carte blanche à Etienne Rochefort
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