mardi 12 décembre 2023

"13 Tongues": Cloud Gate Theater: la couleur fluoreste de la danse partagée.

 


Fermez les yeux… et rouvrez-les dans l’une des artères grouillantes de vie de Bangka/Wanhua, le plus vieux district de Taipei. Là où grandit le jeune Cheng Tsung-lung, bercé par les récits de sa mère sur une figure populaire locale, l’artiste Thirteen Tongues. Dans les années soixante, ce conteur légendaire avait pris pour scène la rue, avec ses activités humaines nobles ou triviales, ses rites sacrés, ses fêtes profanes, et fait des habitants de son quartier les personnages de ses narrations inventives. Trente ans après, le chorégraphe puise à la source de ses souvenirs pour recréer la clameur palpitante et les légendes envoûtantes qui ont marqué son enfance. Des chansons folkloriques au chant taoïste, en passant par l’électronique et par le son immémorial d’une cloche rituelle à une seule main, la musique immerge le spectateur dans un espace-temps fusionnel. L’héritage religieux de l’ancien Bangka/Wanhua, celui du royaume des esprits, se fond avec le visage contemporain des passions humaines. Rompus à tous les styles, les treize – décidément ! – danseurs de la troupe évoluent dans un décor immersif, qui se recompose au gré d’éblouissantes projections de lumières et d’images. En lien spirituel avec les divinités surgit un monde fantastique, porteur de la mémoire de tout un peuple. 
 
Véloces, volubiles figurines tout de noir vêtues aux déplacements singuliers d'électrons libres. Premières visions de cette compagnie hors norme qui nous vient tout droit de Taiwan. Technique irréprochable pour ces interprètes aguerris à un style vif argent, précipité allégorique d'un mouvement urgent et necessaire, vital et contagieux. Quelle maitrise de l'espace, du groupe où la "danse chorale" se chante et se meut dans une respiration commune. Ronds de sorcières magnétiques et ballet de corps communs dans des transports à l'unisson. La danse griffée de Tchen Tsung-lung comme une traversée compulsive de l'espace et du temps. En fond de scène comme un rideau traditionnel, des images et couleurs géométriques passent sur un écran géant et propulse les corps hors champs à l'envi. Alors que parfois des poissons gigantesques traversent ce vaste bocal aquatique en diable. Les costumes eux aussi se métamorphosent en tuniques fluo archi colorées, pleine d'un charme bigarré éblouissant. Les portés, les traversées venant produire des effets rapides de rémanence visuelle où tout passe et repasse , fulgurantes apparitions fugaces de ces petits pions magnétiques propulsés dans l'espace de l'immense plateau du Palais des Festivals. A la fois comique et plein de charme ce spectacle enthousiasme et séduit par son chorus, sa cérémonie païenne et enjouée, autant que par la gravité de la densité vécue par la troupe animée d'une énergie fébrile et véloce. Treize "langues" pour treize interprètes galvanisés par la joie de danser, de se mouvoir de façon fluide ou tectonique. Une aventure, la centième représentation ce soir là de clôture du Festival de danse de Cannes. A saute frontières dans ces pays de cocagne inconnus ou imaginés, en danger ou menacés de tout ostracisme ou discrimination. Une fête partagée dans la solidarité et l'empathie. Et de toute beauté plastique et esthétisante, united colors of humanity, dance floor magnétique pour personnages fugitifs à ratrapper dans le temps fugitif et éphémère du spectacle vivant!
Au Palais du Festival dans le cadre du festrival de Danse de Cannes
le 10 Décembre

 

Cheng Tsung-lung, Cloud Gate Dance Theater of Taïwan

Fondé en 1973 par Lin Hwai-min, le Cloud Gate est reconnu comme « l’une des meilleures compagnies internationales ». Ses créations, nourries de techniques traditionnelles comme de danse classique et contemporaine, sont représentées dans le monde entier. Depuis 2020, elle est dirigée par le danseur et chorégraphe Cheng Tsung-lung, qui a d’abord rejoint la troupe en 2002 comme danseur puis pris en 2014 la tête du Cloud Gate 2. Sa dernière pièce, Send In A Cloud (2022) présente en couleurs changeantes les parcours de vie des danseurs.

Etay Axelroad: "Led": quand la "gaga" danse se métamorphose, un talent éclot, danse "serpentine" envoutante.

 


LED (The SOLO) – FIRST GARDEN SUIVI DE ITALIAN CONCERTO 

Performance présentée avant le spectacle de la CIE AMALA DIANOR – DUB – Théâtre Debussy – Palais des Festivals – 19h45 le 9 Décembre

Il faut découvrir l’art subtil d’Etay Axelroad, danseur virtuose de la Batsheva Dance Company, avec ses étonnantes performances, dans les halls des théâtres tout au long de la manifestation tel un feuilleton chorégraphique ! Le dernier sur une estrade dans le hall du Palais des Festival se donne comme une danse solo, offerte au public rassemblé autour du danseur "surélevé". Vision en légère contre plongée comme celle d'une caméra où d'une déambulation possible en ronde bosse. Telle une sculpture sur son large socle, le corps du danseur, charpenté, solide se déploie peu à peu, sorti d'une pause fixe, enchevêtrée, nouée, les membres reliés par une sorte d'empêchement. Délivrance grâce au flux qui parcourt ce chemin organique comme un insecte se délivrant de sa chrysalide, matrice fondatrice de son corps larvé Etat de grâce pour ce danseur, mobile, surprenant, gracile dont la stature parait immense, colossale. Métamorphose idéale pour un interprète pétri de "gaga" danse qui se délivre de ses "chaines" nourricières. C'est beau, fragile et hypnotique, la proximité invitant à la curiosité à l'empathie à la surprise: si proche et pourtant le regard lointain et absent. Présent bien sur de tout son ancrage, de toute sa peau revêtue d'un costume de tissus large, flottant. Les jambes dévoilées, puissantes, ancrées. Faire "le serpent", s'ouvrir, plexus et poitrine ouverte, offerte au public, à l'espace, aux ondes qu'il émet. Un danseur hors pair, soliste de haute volée, de haute voltige tenant le haut du pavé avec ravissement et grâce.Une vision singulière, une chaleur partagée et enthousiasmante pour ce début de soirée au coeur du Palais.Dernier épisode, épilogue d'une série-feulleton chorégraphique atypique.Figure de faune évanescente, attitudes et postures sauvages et sensuelles, voluptueuses agitations tendres ou violentes dans une énergie pleine de fougue et de jeunesse maitrisée. Du bel ouvrage sensible et percutant pour mieux découvrir un talent émergeant à suivre assurément.Danse vive, tectonique, fragmentée, virulente comme toute l'énergie versatile qui l'anime. A partager aussi lors des cursus "gaga danse" dont celui de Cannes fut un succès public-plus de 150 participants- au Palais des Festivals: le danseur sur une estrade, micro au poing, une heure durant faisant partager sa "snake dance" avec joie et enthousiasme contagieux.

Dans le cadre du Festival de danse de Cannes le 9 Décembre. 

"gaga danse" le 10 Décembre en matinée au Palais des Festival

"Monstre magique": ciné danse Amala Dianor : à saute frontières...Danse à capella. Jeter son corps dans le cadre-caméra non obscura!

 


MONSTRE MAGIQUE Avant-première – Film documentaire de Grégoire Korganow

Avec Amala Dianor et la troupe du spectacle SIGUIFIN

Ils sont neuf, neuf danseurs venus de différents pays d’Afrique. À Saint-Louis, sous la morsure du soleil sénégalais, ils vont apprendre à se connaître, à travailler et à imaginer ensemble une pièce de danse contemporaine qui leur ressemble. À partir de cette matière mouvante, le chorégraphe Amala Dianor, l’œil attentif et exigeant, modèle jour après jour les contours d’un spectacle intitulé « Siguifin », qui en langue bambara signifie monstre magique.

Un film c'est l'art du montage, du cadrage de la lumière, de l'espace: toutes les denrées de l'art chorégraphique en somme.Sans oublier le mouvement, bien sur ! Celui ci est un bijou du genre, entre documentaire de création et film d'auteur appartenant autant au chorégraphe qu'au réalisateur Geégoire Korganow qui s'est puissamment inspiré de la pensée en mouvement d'Amala Dianor. Tout démarre par un plan fixe où les portraits-visages des interprètes chantent à capella sans filet et donnent le ton du "chorus", de la communauté inspirée par une solide culture d'Afrique et d'autres continents. Mélodie lancinante et émouvante qui va droit au coeur de chacun. Sobriété, simplicité et profondeur de ce chant venu du corps. On se lance justement à bras le corps dans une répétition de la pièce Siguifin, ce "monstre magique": Amala en maitre à danser direct et autoritaire passe son flux joyeux et fausement débonaire aux danseurs réunis pour vivre ensemble la danse. Et s'y retrouver, s'y construire, s'y reperer comme chacun prenant la parole en voix off s'y adone devant la caméra en plan fixe. Témoignages vibrants et vivants de leurs expériences humaines et artistique au coeur de la compagnie. Les univers et espaces changent: d'une terrasse au studio, les corps et les langues se délient. Avec peu de commentaire, au vif des improvisations, au plus près du mouvement initié par chacun. "Se jeer" dans la danse, se propulser, oser faire faux, sale ou "mal" selon quels critères. Amala est sincère, direct, exigeant mais pétri de bienveillance. Ici l'image revoie à la sobriété; pas de "caméra qui danse" ni d'immersion parmi l'espace des danseurs. Une présence discrète et efficace pour embrasser le mouvement, le suivre, le développer en longeant les déplacements en plan séquence. On en immobilisant un geste suspendu par un cadrage fixe où le regard prend le temps de déguster le tempo de la danse. Chacun magnifié dans sa gestuelle propre, considéré et reconnu par le chorégraphe. Grégoire Korganov n'instrumentalise jamais la gestuelle, la rapproche, la sens, l'anticipe et se jette lui aussi à l'eau comme le visuel du Festival de danse de Cannes: un plongeon arrière, un crawl coulé, glissé dans l"écume de la vitesse-mouvement-image. Vêtu, trempé, immergé dans un bain de jouvence tempétueux, les yeux fermés, clos par le plaisir de nager. Belle icône qui résumerait l'esprit de la manifestation autant que du film. La "danse au travail" comme chez André S.Labarthe, la danse qui s'expose et livre quelques secrets de fabrication. Tous unis par le son, unisson et partage à la clef de sol. Un compagnonnage inhérent à la pensée chorégraphique d'Amala Dianor, "labannienne" où le poids, l'encrage, les directions font lois: les appuis comme fondamentaux, les décisions et intentions franches et décisives. Pas de "meublé" même "sommairement" pour cette bande à Laban où s'inscrit l'histoire et la passation du mouvement dans toute son intuition. Sans frontière ni barrières de compréhension dans un échange constant danseur-chorégraphe. Une séquence magnifique du film où les danseurs sont comme des joueurs de voley, se passant les gestes dans un esprit d'équipe et de fraternité. Sans mimétisme ni mime comme dans ce solo où un interprète use et abuse de son espace pour le sculpter, le rendre perceptible et poreur. Le film ce n'st pas du "cinéma" c'est une réalité augmentée, vivante, réceptive d'un esprit de fabrication autant que d'entrainement comme pour des passe-murailles franchissant obstacles, barrière ou murs protecteurs pour accéder au "vivre ensemble". Au final, un chant pour s'évader de l'écran, du cadrage pour accéder à un hors champs hors sol défiant les lois de la pesanteur, du sol pour une apesanteur lyrique et onirique de bon aloi. Un "monstre magique" qui se livre et se "montre" à l''écran: Terpsichore kinématographique comme muse et scénario-image de toute intelligence. Lier, relier, inter-ligerer corps, graphie, sons et unisson en toute tranquillité.Un bonheur absolu en jaillit pour cette équipe soudée qui gagne notre empathie et sympathie et apprend l'altérité, la considération et creuse l'identité au coeur de chacun. Danser sa vie à tout prix...En bonne compagnie!

Au Festival de Danse de Cannes le 9 Décembre.