lundi 9 décembre 2024

Kristine Groutsch & Marie Chauvière "Dance Flore": architectes jardinières de fond sans fil à plomb!

 


Kristine Groutsch & Marie Chauvière Cie Les Filles d’Aplomb France duo création 2024

Dance Flore


Comme les fonds marins, le sous-sol et la vie souterraine terrestre restent méconnus. Pourtant, c’est sur sa flore et sa faune que toutes les autres formes de vie reposent. La compagnie Les Filles d’Aplomb invite à zoomer progressivement, dévoilant des dimensions occultées. L’univers auditif est l’élément qui nous conduit d’un espace à un autre : un paysage sonore souterrain accompagne le public jusqu’en salle où le son est amplifié. Pas et pattes discrètes rythment une poésie des saisons tandis que des effets de basse sourdent du sol dans une invitation à se lever pour participer. Entre danse des fleurs et piste de danse, la pièce tend des loupes et des microphones au ras des pieds. Kristine Groutsch et Marie Chauvière allient textes, immersions sonores, chants, invitation à donner de la voix et danse collective. Les nouvelles perceptions du monde invisible et foisonnant, ici déployées, permettent d’envisager d’autres « manières d’être vivant », selon la formule du philosophe Baptiste Morizot.

 
Elles ont de l'aplomb ces deux interprètes, filles et femmes d'aplomb!Sans fil à plomb mais en équilibre toujours. Les voilà investissant l'espace d'accueil de Pole Sud: hululement de chouette ou de hibou, tambourin magique résonnant pour nous faire pénétrer dans leur jungle végétalisée. Car les plantes sont au coeur du sujet et de l'espace: des photos géantes en pendrillon annoncent les couleurs et nos deux danseuses habitent leur territoire terrestre à l'envi. La lune-fleur se ballade parmi le public, tambourin magique, percussion légère, tonique.Elles nous conduisent en salle, chacun reçoit deux graines de courge ou de tournesol..A planter plus tard sur un bon terreau.Et tout continue à grand renfort de chant, de textes écrits très poétiques pour la circonstance, pleins de douceur: un inventaire de plantes citadines pour paroles fertiles et fécondes. Un rap du grillon, cet insecte diurne qui crisse dans les champs. C'est touchant et ludique, malin et plein de fantaisie. Pas de mauvaises graines ici mais des herbes folles en photosynthèse qui ne sont pas de la foutaise. On reprend en rythme partagé ce leitmotiv de manifestation syndicale pour ne pas se planter de champs. Fleurs des villes et rats d'opéra des champs, elles sont vers de terre, bestioles non nuisibles et les pupitres de leur herbier de coeur sont frangés de lierre grimpant. Aux murs des tambourins imprimés de photos "maison" de grillon, bousier, champignon, insectes font office de rondo végétaux. Isabelle Thelen , une fille à découdre pour scénographe textile très inventive et complice.Et la valse des fleurs continue sur ce bel herbier, leporello de tissu comme un herbier tissé. Une loupe pour ne pas louper les détails, des lombrics à brac comme habitants de ce terreau, humus fertile et bienveillant. Les corps s'y meuvent à l'aise, les voix sont toniques et incarnent le souffle, le son des corps dansant. Deux belles plantes pour réjouir vos jardins secrets et dévoiler les us et coutumes de la nature, de la terre. Elles ont des racines et des ailes, arbre ou simple être humain les deux pieds sur terre, dans la terre nourricière. Dance flore à fouler sans modération en divaguant sur les pelouses sauvages interdites. Les enfants invités ce matin là à danser n'en n'ont pas perdu une graine. Lisez "Humus" de Gaspard Koenig pour rester sur leurs traces! Et être une fleur "habillée"...


A Pole Sud jusqu'au 10 Décembre

 

samedi 7 décembre 2024

"Casse-Noisette" selon Rubén Julliard. Ballet-féerie pour Clara au pays des merveilles

 


Les Drosselmayer sont un couple d’inventeurs excentriques et loufoques. Le soir de Noël, le bric-à-brac de leur atelier devient un terrain de jeu merveilleux pour leur filleule Clara, qui a bravé le froid de l’hiver pour se rendre en secret chez eux. Ils lui offrent en cadeau un petit Casse-Noisette sous la forme d’une figurine en bois, puis transforment par magie des poupées en véritables danseuses. Bientôt, ce sont tous les objets inanimés qui prennent vie sous les yeux ébahis de la jeune fille ! Après tous ces prodiges, celle-ci s’endort sur le bout du canapé. Lorsque minuit sonne, l’atelier est envahi par le Roi des rats et son armée de rongeurs. Commence alors pour Clara et son Casse-Noisette une longue bataille qui va les conduire jusqu’au pays enneigé de la princesse Pirlipat et au Royaume des cadeaux.

C'est un voyage parfaitement onirique, joyeux, lumineux, chatoyant au pays d'un Casse Noisette étonnant, détonant et plein d'humour et de fantaisie. En alternance dans les r^les principaux, les danseurs de Ballet du Rhin sont galvanisés par une chorégraphie fort originale où se déploie le talent de Ruben Julliard. Une écriture saccadée, automatique pour les séquences dansées du prologue et fête chez les protagonistes, parents de Clara. Les geste robotiques, désagrégés, déstructurés comme des automates des convives de la fête sont proches d'un Mats Ek, les pieds cambrés et à angle droit, les geste tronqués, rompus à une cadence et à un rythme endiablé. Une belle construction architectonique des corps automatisés en harmonie avec le sujet des poupées, objets-cadeaux qui vont du casse-noisette à la poupée alsacienne de circonstance! C'est drôle jusqu'à ce tutu, parure fluorescente de la fée dragée qui survole cette petite société fébrile et joyeuse. Les décors et costumes faisant le reste: un vivier d'inventivité digne de couturier de la danse. Parures, vêtements originaux, costumes à danser de toute beauté.Rien à envier à ceux de Philippe Guillotel pour Jean Christophe Maillot et "sa" version du Casse Noisette...

Julia Weiss longiligne mère de Clara toute en finesse aux côtés de Erwan Jeammot virtuose jubilatoire, père et formant un couple subtil. Un clin d'oeil à Hansi et ses personnages fétiches transposés au pays de ces merveilles festives. L'Orchestre au diapason de cette jouissance visuelle d'un grand intérêt plastique et esthétique.

Après un entracte où l'on digère cet opus où les rats sont masqués et drôlatiques rongeurs sautillants, on passe en revue présents, cadeaux et boite à musique avec ravissement: un robot fantastique et plein de ressource gestuelle inédite se fait vedette de ce show burlesque et endiablé après l'apparition d'une double créature hispanisante regorgeant de fantaisie. Au pays des miracles naturels, tout va de soi et de bon train sans jamais lasser. La musique pleine de cet inconscient collectif, prête à la rêverie, au songe et la valse des fleurs, colorée et aux portés classiques fait du bien. Les pointes nous rappelant que cette technique est pleine et source d'inventivité, de grâce et d'envolées salvatrices vers les contes de fées. Quatuor des quatre héros comme emblème d'une construction savante dans l'avancement de la narration. 
 
 
Tout est calculé dans des espaces à vivre et danser avec enthousiasme et virtuosité. Le manège en déboulé du Casse Noisette, le charme fou de Clara, Marta Dias, espiègle et juvénile font le reste. Tous sont "faits maison" et cousus sur mesure par le chorégraphe attentif aux capacités de chacun: dramatiques ou athlétique en diable. C'est un privilège de Grande Maison et chacun semble l'intégrer, le vivre et le magnifier. Un spectacle pour fêter l'intelligence d'une revisitation d'un bijou du patrimoine de la danse. Une ovation du public au final pour consacrer ce petit chef-d'oeuvre jovial et enchanteur, loin des versions sacralisées par un conservatisme inopérant. Une production digne des ambitions du ballet, réuni autour de Bruno Bouché et de son chorégraphe "maison" qui pour un coup d'essai nous offre un coup de maitre...à danser!

 

photos agathe poupenay
En deux actes. Musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Création.

L’envoûtante partition de Casse-Noisette recèle quelques-unes des pages les plus emblématiques de Tchaïkovski, notamment l’ondoyante « Valse des fleurs », la mystérieuse « Danse de la fée Dragée » et le très slave « Trepak ». Issu des rangs du Ballet de l’Opéra national du Rhin, le jeune chorégraphe Rubén Julliard utilise le langage classique pour revisiter ce sommet du répertoire post-romantique, et revenir à l’esprit fantastique du conte original d’E. T. A. Hoffmann. La cheffe Sora Elisabeth Lee (promotion 2021 de l’Opéra Studio) dirige l’Orchestre philharmonique de Strasbourg pour des soirées pleines de féerie, idéales pour passer un moment en famille à l’occasion des fêtes de fin d’année.

Chorégraphie Rubén Julliard Musique Piotr Ilitch Tchaïkovski Direction musicale Sora Elisabeth Lee Dramaturgie Rubén Julliard, Éline Malègue Scénographie Marjolaine Mansot Costumes Thibaut Welchlin Lumières Marco Hollinger

A l'Opera du Rhin jusqu'au 8 Décembre

"Je vis dans une maison qui n'existe pas": chez Laurène Marx, c'est la cage à la folle.

 


Je vis dans une maison qui n’existe
pas oscille entre la naïveté du conte pour enfant et la brutalité de la prose directe si caractéristique de l’écriture de Laurène Marx. Depuis les yeux du personnage de Nikki — entrée dans une grande colère et à la recherche de son calme perdu —, on pénètre dans la psyché d’une personne souffrant de troubles de la personnalité. Pour retrouver son chez-elle, aidée de Madame Monstre, des Tout-Petits et de Nuage le nuage, Nikki devra revivre les traumas de l’enfance et survivre à un monde où les personnes neuroatypiques n’ont toujours pas leur place. Cette pièce est leur refuge.


Suite de la première pièce et fin provisoire de cette longue marche au pays de la transformation, de la mutation périlleuse et improbable d'une femme au bord de la crise de nerf: femme en colère qui seule sur scène lance sa plainte et surchauffe l'auditoire en totale empathie avec sa douleur mais surtout sa combativité naturelle et contagieuse. A croupie ou à genoux, elle commence son récit comme une série que l'on souhaiterait intarissable, à suivre avec curiosité et enthousiasme. Parce qu'elle est franche, directe, maline et excellente comédienne, malgré ce qui est annoncé en début de spectacle: c'est une transe et pas une actrice...Cela se révèle inexacte car le talent, la présence, le verbe et la faculté d'improviser sont chose professionnelle: alors cette femme qui se livre et se délivre devant et avec nous, en toute complicité est un moment rare de théâtre et non de démonstration sociétale. Bien sur notre écoute, notre concentration est renforcée par la singularité d'une identité assouvie et revendiquée.Mais le plaisir que procure cette narratrice exceptionnelle est inhérent au jeu et à ses ficelles.Son savoir être ensemble est magnétique et parfois joyeux malgré les faits exposés dans son texte parlé, pensé, vécu à fleur de peau. Dans un corps transformé jamais caricatural et toujours d'un naturel qui touche et fait mouche. Laurène Marx donne envie d'en savoir plus, de la connaitre dans sa simplicité et de la retrouver encore sur scène pour la suite d'un conte qui n'est pas histoire merveilleuse à la fin moralisatrice. Au contraire, on souhaite partager une communauté ouverte et visible pour faire plus ample connaissance. Sans toit ni loi, la voici hors de ses gongs sur la brèche, sur le fil et sur le palier d'une maison fantôme: celle d'un esprit en soulèvement, celle d'une femme qui danse à toutes les fins de ses prestations. Et si sa vraie identité était celle d'un être dansant sa vie, sa voie, son chemin sautant toutes les embûches et obstacles pour mieux bondir dans sa vraie vie.
 
Au TNS jusqu'au 7 Décembre