Musique et performance
-En partenariat avec L’Ecole de Théâtre Physique I Strasbourg-
Karlheinz Stockhausen « Aus den sieben Tagen »
"Inlassablement depuis des années
je l'ai dit et parfois écrit:
je ne fais pas MA musique, mais
je transmets les vibrations que je capte,
fonctionne comme un traducteur,
suis un poste de radio. (…)"
(Extrait de "Litanie", Aus den Sieben Tagen)
"Pour cette aventure inouïe, nous avons cherché à expérimenter l'état d'esprit proposé par Stockhausen en 1968, avec toutes les possibilités techniques que nous avons aujourd'hui en 2019.
Avec un peu d'installation dans nos instruments,
l'instrument se met à sonner sans qu'on y souffle,
une autre note est à chercher dans l'air...
L'acteur capte "nos sons" dans l'air et les fait sonner...
Nos instruments et les corps des acteurs deviennent ainsi les canaux qui transmettent les vibrations dans l'air, dans l'univers.
C'est bien énigmatique, tout ça."
Belle aventure que cette rencontre entre des artistes très "physiques", musiciens du vent et du souffle et danseur de la peau et de la respiration
A eux tous ensemble, ils font corps et graphie dans l'espace sonore imaginé par Stockhausen pour une musique entre écriture et aléas, ressenti et interprétation.
Oeuvre courte et dense qui s'applique à déjouer les pièges de l'improvisation en tissant des liens avec les volutes de la musique qui se fabrique devant nous Deux musiciens, un maitre de cérémonie acoustique, Jan Gubser et douze danseurs du "Théâtre physique" dirigé par Katiouschka Kuhn, pour donner corps à cet "objet musical" hybride, très étonnant qui fait appel à la présence physique très fortement.
Dix tableaux se succèdent dans le noir, l'ombre ou la lumière, selon l'intensité, le volume sonore ou les silences.Saxophone et flûte comme des poumons qui respirent, inspirent et expirent, accompagnés par les corps dansant qui structurent un espace frontal, sagital à la Laban. Des marches, courses, par petits groupes compactés ou en échappée belle, en solitaire ou duo. Des sauts, des trajets bien réglés comme sur une partition corporelle. Un beau duo de femmes, léger, altier à la Trisha Brown, quelques enluminures baroques le long des épaules, du bout des doigts. Des ondulations désaxées, des "manières" qui s'accumulent pour , sur la pointe des pieds, correspondre à l'émission des sons des interprètes des "vents". De longues tenues en sirène pour flûte et saxo, des motifs qui se répètent, s'étirent, s'intensifient, s'emballent. Rythme et tonalité au diapason de la musicalité, lente et profonde de la danse.
Danse contact, qui relie les corps en écheveau, fibre d'une étoffe sensuelle et tendue, fluide aussi dans de beaux déroulés. Magie du son qui se propage, résonne en larsen, de quoi étonner d'entendre sourdre de nulle part des sonorités dans l'éther alors qu'aucune source ne les délivre!
C'est la prestidigitation visuelle des gestes de Keiko Murakami qui se joue de cette illusion et manipule dans l'air son instrument ....Alors que les danseurs déambulent, lucioles en main ou soliloquent dans un langage gestuel rigide, droit directionnel et frontal.
Les corps s’entraînent au sol, se repoussent, s'attrapent dans de beaux tiré-poussé, front sur front, poids et gravité en dernier ressort pour mieux impacter l'énergie de la mouvance.
Les entrelacs entre musique et danse ouvrent et referment les espaces de ces abandons corporels, au sol: la proximité musiciens-danseurs opérant pour cette osmose , de plein pieds, de plain-pieds!
Plan, lignes, point: on est aussi au coeur des compositions picturales toniques d'un Kandinsky: des basculés en roulades, des spirales en suspension aussi pour révéler la densité, la matière musicale diffractée.Quand le saxophone de Philippe Koerper se donne à fond, les corps s'envolent, s'emparent de l'espace dans des courses folles et contagieuses. Puis c'est le silence de trois danseurs, de front, statiques qui donnent à voir l'accalmie, l'apaisement. Combat, lutte, passages furtifs reprennent le dessus, rémanence de la musique à voir!
Et quand le souffle émis par la respiration essoufflée de l'une d'entre eux se fait musique, l'oeuvre a gagné son pari d'être vivante, source de circulation, de trajets, de voyages.
Le corps est cet instrument, médium multiple, musique, mouvement, sons et la danse trouve sa place au sein de cet opus atypique: visuel, respiré,inspiré!
Le pari de défier les embûches d'une pièce complexe de par son côté aléatoire et joueur, hasardeux et périlleux, est gagné et le public très nombreux ce soir là reste presque sur sa "fin" tant l'intensité porte à croire que la magie est vraie, le spectacle encore présent à nos yeux, nos oreilles et notre émotion.
Abstraite au sens d'une composition en état de facture, dans l'instant, charnelle dans le souffle qui l'anime du début à la fin: la respiration collective !
Keiko Murakami, flûte
Philippe Koerper, saxophone
Jan Gubser, électronique
Et les étudiant(e)s du cours On stage I L’Ecole de Théâtre physique I Direction Katiouschka Kuhn.
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