Depuis plusieurs décennies, les œuvres de Gustav Mahler fascinent les chorégraphes. De John Neumeier à Anne Teresa De Keersmaeker, l'univers musical et poétique des lieder et des symphonies de ce compositeur hors du commun appelle le geste, le mouvement, les corps.
© Agathe PoupeneyDanser Mahler au XXIe siècle
Après « Danser Bach au XXIe siècle » au printemps 2018, ce sont deux jeunes créateurs qui se saisissent donc d'un autre monument de l'histoire de la musique, avec hardiesse et liberté.
Le chorégraphe d'origine grecque Harris Gkekas propose Oraison double où il s'interroge sur la nécessité de la séparation et de la perte pour donner naissance au chant.
Shahar Binyamini quant à lui, fort de son expérience de danseur au sein de la Batsheva Dance Company et, plus récemment, des travaux qu'il réalise à l'Institut Weitzmann, près de Tel Aviv, avec des scientifiques et des danseurs, va proposer une approche résolument originale de l'œuvre de Mahler. Ces deux œuvres sont les premières créations de ces artistes pour le Ballet de l'Opéra national du Rhin.
"Oraison double" de Harris Gkekas
La salle Pommelle est comble pour ce dernier soir de la saison "danse" du ballet du Rhin
La scénographie est déjà campée: comme une petite géographie, faite d'un anticlinal, tapis blanc, parsemé de petits monticules ; pente douce, déclinante, comme un relief cartographique, géologique, avec des aspérités, montagnes blanches escarpées, sous dimensionnées. Pour en soutenir la configuration, six danseurs vêtus de blancs vont s'y ajouter, corps qui se dissimulent sous des drapés, comme des sommets enneigés.
Un homme, seul s'installe, griffonne, raturant ou corrigeant, textes ou partition, costume et cravate seyants.
Trois duos vont se détacher de cette configuration scénique, très plasticienne, tous en tension-détente, mus par un fil qui se prête à tous les jeux spatiaux de géométrie variable.
Au sol, attraction-répulsion font bon ménage, dans un jeu de liens, de liaison qui tend au savoir faire d'un tisserand. Tout se brise et se rompt sous l'impulsion du maitre de musique ou de ballet: des solos au sol, solitaires créatures aux" juste au corps" blanchis, ourlés de coutures apparentes.Corps empêchés, meurtris,contraints, entravés. Genoux fléchis, sur demies pointes, à angle droit, multidirectionnels Quelques belles torsions, des équilibres instables ou une grande rectitude, à la géométrie axée en lignes, angle droit contrariés Un beau quatuor se détache, plus fluide qui relie les corps mêlés , les entoure, les borde.
Duos acrobatiques, athlétiques sous les lumières des néons, toit ou ailes protectrices, sur les rythmes et grondements de musique de tole froissée.
Ambiance de panique aussi, de turbulences et de tumultes désordonnés, tempête et éparpillements des corps dans l'espace conquis.
La scénographie s'impose: les néons s'articulent au dessus des têtes, planent, battent des ailes, menacent ou couvrent le groupe de danseurs sur les cris et hurlements de la musique électroacoustique. Dans une unisson tectonique, fusionnelle, faite de secousses et de résistance, de fièvre et de transe, folie et perte de contrôle se font face.Invocations ou rogations, cercle dans la lumière pour un rituel final, les émotions sont vives et très présentes dans l'évocation de l'univers "sentimental" et musical d'un Malher déstabilisé par le destin. Un "A" majuscule se forme au dessus des corps blancs, alignés au sol dans une atmosphère très clinique, froideur du blanc: l'enchevêtrement des corps au sol, aggloméra de masse et matière fait choc, bouge et de cette chrysalide sourdent des créatures, nues, larves naissantes qui se meuvent, auprès de leurs enveloppes, dépouilles,chrysalides, nymphes décortiquées.Fausse nudité, feinte de par des bas translucides couleur chair: une "seconde peau sans trou".Pudiquement masquée, suggérée par ces "juste au corps"designés Alors que le néon jaunit, ils quittent la scène à reculons, alors que le maestro découvre le sol blanc en rouleau, et dévoile un lac noir, mer d'huile luisante. Une écriture chorégraphique, rehaussée par l'environnement plastique, très convaincante et épousant l'univers troublé du compositeur, ses tourments et désirs féconds en rebondissements. Malher évoqué, cité ou détourné par les talents de Didier Ambach et Seijiro Murayama
"I Am" de Shahar Binyamini
Contraste flagrant après cette ode à la beauté virginale, c'est place au plastique ou cuir noir pour les costumes dignes d'un styliste ! Slip et boléro noir découpés, rond dans le dos, de quoi campé des créatures curieuses, bouches ouvertes ou bouches bée qui s'alignent et viennent rejoindre un personnage central entouré de trois cercles de néons. Très belle vision plastique, reflets dans le sol noir, huilé, réfléchissant les formes en miroir lisse.
Danse plasticienne ou la tétanie prend le dessus sur une musique binaire assourdissante et répétitive. Une "rave party", un rituel très expressionniste se dessine Alors que les cercles magiques, comme des crinolines ou spirale à la Schlemmer enferment le héros, l'élu, au centre.Le groupe de cinq personnages le cerne à l'unisson pour le rejoindre haletant, dans une marche mécanique, robotique, désarticulée.Un divin solo de Riku Ota où la mouvance se fait grâce, ondulation parmi les tétanisés.Piétinant, trépignant, tressaillant, fiévreux oracle de danse collective hystérique !
Dans cette arène, un combat de catch se profile, singulier face à face masculin, les quatre autres protagonistes les entourant La musique binaire et enivrante bat son plein et les bestioles domptées, catalysées, exécutantes contraintes s'adonnent à leur bal de sorcières. La danse y est autoritaire, martelée, scandée par des rythmes et figures mécaniques, des postures et attitudes segmentés.
Le groupe, homogène soumis, manipulé se soumet en esclaves, danse dictatoriale , rave party hypnotique! Au final un solo féminin hypnotique, très sensuel rend à la danse, sa fluidité, capturée par les disques des néons, cercles de lumière prophétique pour ce "show" déjanté complètement "gaga" ! De toute beauté et incarné avec passion par les interprètes confrontés à ce "chahut" made in Malher, revisité par Daniel Grossmann
Cette soirée inspirée par Malher fera date dans la façon de traiter un sujet "patrimonial" musical où la danse en temps et en lieu, n'a pas eu sa place!
Oubli, lacune réparée par ces audacieuses "prises de positions" non orthodoxes au regard de la musique de répertoire.
Un pari de plus gagné par l'audacieux directeur du Ballet du Rhin, Bruno Bouché !
Le public ne s'y trompait pas en faisant une ovation aux douze danseurs, parfaitement imprégnés de cette fantaisie décapante faite aux conventions.
A l'Opéra du Rhin jusqu'au 14 Juin
La salle Pommelle est comble pour ce dernier soir de la saison "danse" du ballet du Rhin
La scénographie est déjà campée: comme une petite géographie, faite d'un anticlinal, tapis blanc, parsemé de petits monticules ; pente douce, déclinante, comme un relief cartographique, géologique, avec des aspérités, montagnes blanches escarpées, sous dimensionnées. Pour en soutenir la configuration, six danseurs vêtus de blancs vont s'y ajouter, corps qui se dissimulent sous des drapés, comme des sommets enneigés.
Un homme, seul s'installe, griffonne, raturant ou corrigeant, textes ou partition, costume et cravate seyants.
Trois duos vont se détacher de cette configuration scénique, très plasticienne, tous en tension-détente, mus par un fil qui se prête à tous les jeux spatiaux de géométrie variable.
Au sol, attraction-répulsion font bon ménage, dans un jeu de liens, de liaison qui tend au savoir faire d'un tisserand. Tout se brise et se rompt sous l'impulsion du maitre de musique ou de ballet: des solos au sol, solitaires créatures aux" juste au corps" blanchis, ourlés de coutures apparentes.Corps empêchés, meurtris,contraints, entravés. Genoux fléchis, sur demies pointes, à angle droit, multidirectionnels Quelques belles torsions, des équilibres instables ou une grande rectitude, à la géométrie axée en lignes, angle droit contrariés Un beau quatuor se détache, plus fluide qui relie les corps mêlés , les entoure, les borde.
Duos acrobatiques, athlétiques sous les lumières des néons, toit ou ailes protectrices, sur les rythmes et grondements de musique de tole froissée.
Ambiance de panique aussi, de turbulences et de tumultes désordonnés, tempête et éparpillements des corps dans l'espace conquis.
La scénographie s'impose: les néons s'articulent au dessus des têtes, planent, battent des ailes, menacent ou couvrent le groupe de danseurs sur les cris et hurlements de la musique électroacoustique. Dans une unisson tectonique, fusionnelle, faite de secousses et de résistance, de fièvre et de transe, folie et perte de contrôle se font face.Invocations ou rogations, cercle dans la lumière pour un rituel final, les émotions sont vives et très présentes dans l'évocation de l'univers "sentimental" et musical d'un Malher déstabilisé par le destin. Un "A" majuscule se forme au dessus des corps blancs, alignés au sol dans une atmosphère très clinique, froideur du blanc: l'enchevêtrement des corps au sol, aggloméra de masse et matière fait choc, bouge et de cette chrysalide sourdent des créatures, nues, larves naissantes qui se meuvent, auprès de leurs enveloppes, dépouilles,chrysalides, nymphes décortiquées.Fausse nudité, feinte de par des bas translucides couleur chair: une "seconde peau sans trou".Pudiquement masquée, suggérée par ces "juste au corps"designés Alors que le néon jaunit, ils quittent la scène à reculons, alors que le maestro découvre le sol blanc en rouleau, et dévoile un lac noir, mer d'huile luisante. Une écriture chorégraphique, rehaussée par l'environnement plastique, très convaincante et épousant l'univers troublé du compositeur, ses tourments et désirs féconds en rebondissements. Malher évoqué, cité ou détourné par les talents de Didier Ambach et Seijiro Murayama
"I Am" de Shahar Binyamini
Contraste flagrant après cette ode à la beauté virginale, c'est place au plastique ou cuir noir pour les costumes dignes d'un styliste ! Slip et boléro noir découpés, rond dans le dos, de quoi campé des créatures curieuses, bouches ouvertes ou bouches bée qui s'alignent et viennent rejoindre un personnage central entouré de trois cercles de néons. Très belle vision plastique, reflets dans le sol noir, huilé, réfléchissant les formes en miroir lisse.
Danse plasticienne ou la tétanie prend le dessus sur une musique binaire assourdissante et répétitive. Une "rave party", un rituel très expressionniste se dessine Alors que les cercles magiques, comme des crinolines ou spirale à la Schlemmer enferment le héros, l'élu, au centre.Le groupe de cinq personnages le cerne à l'unisson pour le rejoindre haletant, dans une marche mécanique, robotique, désarticulée.Un divin solo de Riku Ota où la mouvance se fait grâce, ondulation parmi les tétanisés.Piétinant, trépignant, tressaillant, fiévreux oracle de danse collective hystérique !
Dans cette arène, un combat de catch se profile, singulier face à face masculin, les quatre autres protagonistes les entourant La musique binaire et enivrante bat son plein et les bestioles domptées, catalysées, exécutantes contraintes s'adonnent à leur bal de sorcières. La danse y est autoritaire, martelée, scandée par des rythmes et figures mécaniques, des postures et attitudes segmentés.
Le groupe, homogène soumis, manipulé se soumet en esclaves, danse dictatoriale , rave party hypnotique! Au final un solo féminin hypnotique, très sensuel rend à la danse, sa fluidité, capturée par les disques des néons, cercles de lumière prophétique pour ce "show" déjanté complètement "gaga" ! De toute beauté et incarné avec passion par les interprètes confrontés à ce "chahut" made in Malher, revisité par Daniel Grossmann
Cette soirée inspirée par Malher fera date dans la façon de traiter un sujet "patrimonial" musical où la danse en temps et en lieu, n'a pas eu sa place!
Oubli, lacune réparée par ces audacieuses "prises de positions" non orthodoxes au regard de la musique de répertoire.
Un pari de plus gagné par l'audacieux directeur du Ballet du Rhin, Bruno Bouché !
Le public ne s'y trompait pas en faisant une ovation aux douze danseurs, parfaitement imprégnés de cette fantaisie décapante faite aux conventions.
A l'Opéra du Rhin jusqu'au 14 Juin
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