jeudi 6 juin 2019

"Pièce d'actualité :désobéir" : elles ont du "clito" !


Un spectacle de Julie Berès | Texte et dramaturgie Alice Zeniter et Kevin Keiss 
Avec Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer
 

"Entre fidélité et refus du poids de l’héritage, entre désirs immenses et sentiments d’impasse de l’époque, Julie Berès et son équipe entreprennent de sonder les rêves et les révoltes de jeunes femmes. Comment s’inventer soi-même, par-delà les assignations familiales et sociales ? Quel rapport à l’idéal, à l’amour, à la croyance, à la justice et à la violence se construit pour chacune d’elles ? S’engager. Se sentir engagée. C’est quoi ? Ça s’exprime comment ? Quelle radicalité faut-il pour affirmer sa liberté, ses choix de jeune femme à Aubervilliers et dans les villes alentour ? Une enquête sur les coordonnées de la confiance – ou pas – des jeunes femmes d’aujourd’hui."

D'emblée elles se présentent sur le plateau, en marche solidaire, arpentent leur territoire, fières et volontaires: le ton est donné sur la scène dépouillée, noire, vierge.
Elles taguent le mur de fond en inversant les lettres pour former "désobéir" et en faire leur leitmotiv, gravé sur le selfie !
Pour la vie ! L'une d'entre elles démarre le récit d'une vie, la sienne, auscultée au peigne fin, elle y conte la cartographie de ses cours d'histoire géo où l'on colorie volontairement les pays qui "chagrinent" les esprits colons et se met en état de colère: elle est voilée et tout de noir évoque sa lente adhésion au fanatisme de la religion musulmane "forcée" par les réseaux d'éducation djihadiste où elle rencontre Hassan, son virtuel amant formaté. Se "parler" sur whatsApp, se livrer sur son mur facebook et enfin un jour entendre une voix! Pour se faire dire qu'il faut porter le voile! La comédienne, au visage rond et chaleureux livre ses pensées, se dévoile peu à peu et très subtilement explique son tracé religieux.Convertie, mais déçue, elle rêve de devenir femme immane comme à l'étranger: une belle résolution pleine d'espoir et d'ouverture. Son visage filmé en direct en raconte long sur son côté naif et ingénu, très bien campé par la jeunesse offerte de l'actrice,Hatice Ozer .
Après avoir arraché le tapis de scène, elle passe le relais à un curieux personnage rebelle, "bagarreuse" à ses dires: c'est une danseuse iranienne, Charmine Fariborzi. danseuse de vie, robotisée à fond dans sa gestuelle hip-hop, à la garçonne. Elle vocifère contre la gente masculine, contre sa famille qui la frappe, la bat pour faire taire cette danse "endiablée" qui la libère du joug des traditions.Emprisonnée, incarcérée, femme battue, sa danse libératoire est contagieuse et se passe de l'une à l'autre: ces quatre filles-femmes audacieuses, rebelles, qui se "soulèvent" en duo, trio dansant puis quatuor à quatre feuilles toniques, dynamiques, énergiques comme ce qui les "émeut": le mouvement de révolte et surtout la désobéissance. La vraie, celle qui sème le trouble et la panique chez l'adversaire, l'homme sur-puissant. Une autre se profile, prend le relais à bras le corps; c'est Séphora Pondi qui se livre avec la rage au corps. Elle est noire, tellurique, en révolte et sa diction va bon train, affolée, surjouée à merveille avec un débit étonnant frisant l'hystérie de la rage.Un numéro de bravoure, très physique, habité par un corps éloquent, massif, puissant aux formes anti canoniques.Le diable au corps assurément. Jouer Agnès de chez Molière lui sera refusé, alors qu'à cela ne tienne, c'est pour nous qu'elle le fera, convoquant un spectateur à lui donner la réplique, alors que ses consœurs font chorus.  Une séquence hilarante, juste et sans concession aux règles de bienséance. Des femmes libres se manifestent, explorent leurs émotions et toutes à leur façon, en religion, se positionnent face au genre masculin dominateur; c'est la séquence où "Ce qui les fait mouiller" révèle leur caractère bien trempé, leur vision sur "le regard masculin" qui les tétanise et les met en état de rébellion constructive. "Femmes, couvrez-vous" .Pas question de renoncer à la beauté de ses cheveux, pour Lou -Adriana Bouziouane à la sensualité de cette parure naturelle qui éveille la convoitise des détenteurs du pouvoir.
 Insolentes, enragées, ces insurgées du verbe et du corps ne cessent de danser, de vaincre par le souffle, l'audace et le culot les pires pourfendeurs de la loi sexiste ou coranique.
Et c'est la danse qui mène le jeu construite par Jessica Noita, maitre de ce balai nettoyeur fort décapant. Ballet de facture insolite, pas de quatre déjanté pour filles qui ont "du clito" à défaut d'avoir des couilles, Dieu soit loué! Le film "Mustang" en mémoire....
La mise en scène de Julie Beres, complice de ces quatre filles dans le vent de la liberté, les entraîne dans un cheminement perpétuel, semé de mots truculents, dans un rythme infernal, un tempo sur le fil de la tension permanente qui tient le spectateur en empathie, en haleine.
Quelques images vidéo pour focaliser sur les visages, les pieds et le sol qui dansent, les sourires ou le noir et blanc de situations graves, traitées sur un mode de distanciation humoristique subtil et pertinent.
On en ressort fringant ouvert à une "traduction" des faits et gestes intuitive et intelligente comme la pensée d'une rabine Delphine Horvilleur.

Au TNS les 6 et 7 juin dans le cadre de l'autre saison
A La Manufacture dans "Avignon le off" cet été !


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