mercredi 4 mars 2020

"Liberté à Brême": j'écris ton nom ! Fassbinder, insurgé, torture et massacre la phalocratie indigente.

Liberté à Brême



  Texte Rainer Werner Fassbinder
Mise en scène Cédric Gourmelon
Avec Gaël Baron, Guillaume Cantillon, Valérie Dréville, Christian Drillaud, Nathalie Kousnetzoff, Adrien Michaux, François Tizon, Gérard Watkins


Dans l'Allemagne conservatrice du XVIIIe siècle, Geesche, issue de la petite bourgeoisie, n’a aucune liberté. Brutalisée par son mari, sans cesse dévalorisée, sa vie semble toute tracée à la place qui, en tant que femme, lui a été assignée dès sa naissance. Alors, quand la mort frappe étrangement ses oppresseurs, s’agit-il vraiment d’une « malédiction » ? Cédric Gourmelon met en scène cette pièce explosive et irrespectueuse de Fassbinder, qui bouscule les codes de la représentation et interroge les fondements de notre société et de sa morale. Qui est la victime ? Qui est le bourreau ?

Très de circonstance, cette pièce qui traite et maltraite un sujet brulant: la violence faite au corps féminin, la domination, la rébellion, la révolte de ses mêmes femmes incarnées par une figure insolite: le personnage central de Geesche, une Valérie Dréville tantôt soumise et survoltée.Remarquable interprète d'un rôle complexe et ambigu.
Sur une musique de xylophone s'ouvre le bal, décor de fond de grand panneau comme de l'ardoise, griffonnée de graffitis: au centre l’icône du Christ en croix, emblème de la foi, de la souffrance.Figure du repentir aussi, du pardon: mais envers qui et pourquoi?
Pas de bons larrons à ses côtés: on les retrouvera dans la pièce, nombreux, hommes "coupables" de comportements machistes et virulent, insolents et castrateurs, pervers,humiliants et méprisants.Phallocrates en diable.Du "schnaps" et des femmes, des blagues "débiles", sous-traitance de fadeur et d'indigence vertueuse et vertigineuse...Ils sont pathétiques et méprisables et pourtant le pouvoir les habite les rend "puissants et redoutables. Bestial, l'homme eructe, crie, se vautre et fustige la gente féminine.
Quand cet homme attablé réclame en litanie, café et autres "services à domicile", c'est à une femme soumise qui chancelle et chute devant ses désidératas, qu'il a à faire. Mais vite, celle qui d'abord muette, murmure "je veux coucher avec toi", s’avère beaucoup plus émancipée qu'on ne le croit: jusqu'à liquider ses bourreaux, nombreux et hypocrites qui gravitent autour d'elle. De ses chutes, naitra la verticalité retrouve, les pieds rivés au sol, campés dans une assise droite et puissante.Son jeu de femme soumise puis rebelle est "caricatural" au premier degré: on s'en agace, on se soulève à sa place, puis c'est elle qui prendra le relais.Les hommes, le premier Johan, Gael Baron, odieux macho irascible se vautre physiquement dans ses colères épileptiques et savamment ridicules à nos yeux. Travail du corps, de la voix, adaptés à la verve et l'absurdité de comportements extrêmes que seul le désemparement feint de Geesche fait se dévoiler. Possibles élucubrations terrifiantes d'une junte d'hommes, en meute fraternelle, soudée par l'absence de jugement, de valorisation du statu de la femme qui s'avère ici, celui d'une serpillère souillée que l'on foule à l'envi, du pied.Le sol est ici convoqué pour évoquer soumission et esclavagisme sexuel.
C'est pétrifiant de dureté, de réalité soudaine et les affaires ne s'arrangent pas: la mise en scène exacerbée de Gourmelon, hérissant les propos, les attitudes en autant de postures insoutenables, ridicules ou odieuses.Dans un décor banalisé, tables, chaises, Geesche rentre en prière pour chercher pardon et aide, appui et consolation divins. En vain, c'est la révolte qui s'empare d'elle, alors qu'un chœur d'hommes, fantoche, entonne une mélopée salvatrice inefficace.
La pièce va bon train, trahissant la haine de ses personnages périphériques, objets de dégout et de rejet. Alors que l'empathie fonctionne auprès de Geesche, belle proie incendiaire, élue et victime, transformée en figure de proue d'un sacrifice qui n'aura pas lieu
Un Massacre du Printemps, plein de rythmes, de rebondissements, une mère et des enfants qu'on tue, meurtre ou empoisonnement volontaires: l'amie toutes en couleurs et espoirs, se verra aussi "mise à mort" pour ne pas partager, passer et inoculer la soumision à la gente féminine.
On déplore ici le "genrement" caricatural, mais replaçons les choses en leur temps et lieu et Fassbinder décrit la société contemporaine dont il est acteur, passager de la pluie et du mauvais temps, époque où toute "différence" est vécue comme crime et indésirable destinée à détruire coute que coute.
Rébellion, hirsute jeu des uns et des autres, hérissés par la douleur ou le mépris.
Fassbinder en plein dans le mille, gâchette au poing levé, entrainant débat et questionnement virulent sur l'agressivité, la condescendance, l'insupportable haine des uns vis à vis des autre. Un peu de tendresse, bordel...On la cherche en vain dans cette diatribe diabolique, défenestration des corps sacrifiés à des causes multiples illégitimes ou carrément fondatrice: place et rôle de la femme dans la société masculine: autant celle du Christ réduit à l'impuissance, que celle exacerbée d'une lutte réparatrice d'une militante qui s'ignore, mais très efficace figure de vengeance et de révolte.
Soulevez-vous, disait Didi Huberman; mieux que ça, on ne peut !
Le "massacre" n'est pas sado-maso ni destructeur, mais ravage et tourmente au pays des lucioles.

Au TNS jusqu'au 11 MARS





Passionné par l’œuvre de Jean Genet, Cédric Gourmelon a mis en scène plusieurs de ses textes, dont Haute Surveillance à la Comédie-Française en 2017. Directeur de la compagnie Réseau Lilas, il a créé depuis 1999 une vingtaine de spectacles, en France et à l’étranger. Il est également acteur, pédagogue et a initié en Bretagne les « Ateliers démocratiques », gratuits, ouverts à tous.

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