dimanche 20 septembre 2015

Musica, très "fun", très "gore" !


Place du Château à Strasbourg, les manifestations du "Millénaire de la Cathédrale" prennent fin; c'est la journée du Patrimoine, on inaugure un nouveau vitrail de Véronique Ellena, le "Te Deum" sommeille pour la soirée.........
Et sur le parvis, c'est au tour  du "Fun des Oufs" de prendre place!
Soyons "fous" et entre deux averses, en plein air, une joyeuse assemblée d'harmonies et des musiciens de haute volée vont se produire sous la houlette de Andy Emler qui va se prendre pour un Sébastien Brant et mettre le feu aux planches de ces deux immenses podiums accueillant une bonne centaine de musiciens interprètes sous la direction de Eric Villevière.
Du beau monde pour cette "fête", ce festin de musiciens, entre jazz, contemporain, voix, jeu et répertoire, citations multiples de standards et  oh, curiosité un chanteur aux intonations dignes de Michel  Legrand: Médéric Colligon au cornet également!
Prestation haut de gamme où tous semblent galvanisés par un enthousiasme et un désir fougueux de partager la musique
Concert gracieusement "offert" aux yeux et aux oreilles, regorgeant d'inventivité, de bruits, de silences aussi et de moments de grâce: quand Collignon se joue de sa voix en onomatopées ou singulières élucubrations vocales et percussives  pour joues et et langue aux abois
A la voix également, Elise Caron, éperdue de sensualité dans des rondeurs vocales épanouies et disséminées au vent! Ce "fun des oufs" très dans l'air du temps, fait du bien, réjouit un public captif, de passage ou bien au rendez-vous d'une manifestation éclairée, joyeuse et bon enfant
Soyons fous, surtout et restons- le pour souligner aussi le magnifique travail de ces harmonies, chorus fédérateurs d'énergie, de sons et d' "harmonie"
Au diapason, à l'unisson, dans le chaos et le désordre aussi dans l'indisciplinarité et le charivari, le chahut et la gaieté strasbourgeoise !Tohu, bohu médiéval, carnaval ubuesque, où se défoulent les envies, les désirs d'émettre, de phonier, de jouer devant un parterre conquis, séduit par tant d'engagement
Une initiative heureuse en partenariat avec jazzdor, les harmonies de Hoenheim, Dauendorf, Preuschdorf et la fédération des sociétés de musique d'Alsace

L'Ensemble Modern en enfer


Plus grave et recueillie, la divine prestation de l'Ensemble Modern à l'Auditorium de France 3 sous le signe des ténèbres sataniques et du chaos originel
Deux œuvres choisies pour ce programme surprenant:
"Arkham" de Yann Robin, création mondiale, distille envolées bruissantes et vagues dignes d'un tsunami sonore, ronflante et pulvérisante musique qui enfle, se déploie et gronde pour mieux évoquer des contrées imprégnées de légendes fantastiques et de contes cruels
Science friction pour sonorités paS toujours flatteuses à l'écoute, fracas et fatras, tumultes, tempêtes et chahut pour un monde sonore extrêmement riche et percutant; espace sonore labyrintique pour mieux perdre son âme et la revendre à un satan, dissimulé derrière quelques note éruptives Paysages imaginaires inspirées par Lovecraft et ses récits d'horreurs
Les gores du festival du film fantastique, en assemblée ce jour là eussent étés fort satisfaits!
Parfois les conjonctions telluriques, entre les fous de Brant, les gores du cinéma et les illuminés de la musique contemporaine font "mouche"!

Succède à cette pièce sous la direction démoniaque d'un Nosfératu gigantesque, Emilio Pomarico, "Auf die Stimme der weissen Kreide" de Johannes Maria Staud
Pièce fantastique inspirée autant par un respectueux sentiment d'amitié de l'auteur vis à vis des membres de l'Ensemble que par une sculpture fantastique et étrange de Marcel Jean. Un spectre à l'anatomie monstrueuse!
Très "gore" donc cette évocation où le son s'égraine en tonalités changeantes, versatiles et dont les ondes s'épanouissent et se referment à l'écoute comme flux et reflux au suspens fantastique
Univers singulier et envoûtant, pétrifiant parfois où l'on se surprend à frémir dans l'attente d'une conciliation des sons et des spectres musicaux dans une profonde émotion qui ébranle.
Vagues ascendantes, en apnée pour mieux échouer sur une plage sonore vierge de toutes répercussion.




samedi 19 septembre 2015

Musica : "jeunes talents, compositeurs" : juste le Temps..........


Un concert des étudiants de la classe de composition de Philippe Manoury du Conservatoire de Musique de Strasbourg, interprété par l'Ensemble instrumental de ce même conservatoire, et de l'Académie supérieure de musique de Strasbourg/ HEAR, sous la direction d'Armand Angster.

Curieusement c'est le thème du temps qui va relier les trois œuvres proposées, trois œuvres de "jeunesse" pour ces trois compositeurs en herbe, jeunes pousses de la composition, un art qui ne s'apprend pas, mais se développe, s'encourage, s'épanouit sous la bienveillance et l'extrême vigilance de leur "professeur" maître en la matière, Philippe Manoury
Pour lui aussi le temps est au centre de ses préoccupations d'écriture et de recherche sur les sons et l'espace musical : la musique en temps réel.
Bel exemple de Pygmalion, accoucheur de jeunes talents, éperon efficace et sans concession
La maïeutique opère et nos trois jeunes artistes, tour à tour présentent leur parcours, leurs oeuvres, le sens de leur recherche: la parole leur est donnée et dans cet exercice brille Daphnée Hejebri, exposant brillamment la genèse et le déroulement des quatre parties de son "Phases": le temps en tête de gondole, tête de pont de ses préoccupations: tantôt haché, dilué, s'étirant, se retirant se répétant comme cette curieuse expérience que chacun peur faire de la durée subjective d'une tâche, d'un événement
Singulièrement corporelle comme une chorégraphie des sons spatiaux temporels.
La relativité la tarabuste, et taraude sa pièce, à la recherche de ce temps si singulier de l'expérience du vécu humain

"La nuit cyclique au jardin de Ts'ui Pên", la seconde pièce de Javier Munoz Bravo interroge  la notion de musique en temps réel; composition pour quatre saxophones et électronique.
Très belle interprétation de Andres Castellani, qui joue à cache cache avec l'écho, la réverbération et l'étrangeté des sons qui se confondent en écho aux sons directs des instruments
On clôt ce concert très convaincant avec "V.I.T.R.I.O.L." signé de Clara Olivare
Le temps de la vie, le temps qui passe, l'initiation de l'être humain lui inspire un voyage initiatique, tendre et féroce, emplit d'humanité, de grâce et de sincérité
Clarinette, pincements, frottements d'instruments qui résonnent, circulaires dans l'espace de la salle, l'univers st campé et s'offre en partage

Tous maîtrisent déjà leur désir de composition, leur envie de partager des mondes singuliers qui leur appartiennent et qu'ils font éclore et grandir sous les "conseils" et la direction d'un grand musicien pédagogue, modestement au service d'une génération qui éveille d'autres lieux d'autres niches pour la création de la musique d'aujourd'hui: la leur, la nôtre qu'ils nous livrent en communion
L'écriture est reine dans ce creuset, ce berceau qui grâce à une fondation internationale est promise à un bel avenir immédiat! Preuve à l'appui !

A le recherche d'un temps, pas perdu !


Musica : de bruits et de fureur ! L'enfer du décor.


Ouverture "officielle" du festival après une très belle soirée la veille, plus confidentielle, de musique de chambre pour pianos.
Un parterre nombreux se presse pour assister à l'événement: concert du SWR Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg, sous la direction de Pascal Rophé

C'est à une oeuvre de Helmut Lachenmann d'ouvrir ce singulier bal, chapitre un de la ligne éditoriale de la manifestation: "inferno", l'enfer, celui du chaos, de bruits et de fureurs, de sons : comme se plaisait à dire John Cage: "les sons qui me dérangent, m'intéressent!


"Kontrakadenz" de 1971, emblématique d'une écriture atonale où tout semble bon à prendre pour évoquer un monde, un univers singulier fait de sonorités, à la foi quotidiennes et aussi énigmatiques
Une bassine d'eau qui bruisse, un panneau qui crisse, des percussions incongrues pour créer un univers étrange, voisin de l'ambiance d'une friche industrielle désaffectée........
On se plait à regarder d'où vient le son, quel objet insolite le produit et l'humour et la distanciation opèrent dans ce curieux melting pot très organisé de sons. Des bribes d'extraits radiophoniques ponctuent l'oeuvre, éveillant son caractère inédit, immédiat.

"iban oscuri" succède à cette objet de curiosité, signé Hanspeter Kyburz de 2014, inspiré de L'Enéide
La solitude, l'effroi,  du héros marchant dans le monde, fébrile et incertain, une marche hésitante, saccadée, chorégraphique en diable.
Belle démonstration de virtuosité , de réflexion sur l'écriture et le "genre" d'une musique surprenante, réfléchie qui avance dans l'ombre et le doute.


L'enfer du décor : "Inferno" de  Yann Robin : une "revisitation" de son oeuvre datée de 2011, une nouvelle version en création mondiale
Croiser les disciplines, réinventer la "musique" de film ou créer un opéra visuel et sonore, quel camp choisir pour identifier une création hybride, monstrueuse, non identifiable?
Car c'est de cela qu'il s'agit: de l'oeuvre initiale, un chaos sonore riche, tonique, des "chants" de l'enfer de Dante, faire surgir des images, celles de la matière, du feu, de la lave
Le décor est tout trouvé: une aciérie, un monde hors du commun où l'on se consume au regard de l'incandescence, du feu, de la brûlure, du danger, de la douleur
Douleur associée au monde du travail, ce labeur, ce "martyr" où l'homme semble se complaire pour assouvir ce "faire", cette contrainte acceptée: travailler pour souffrir dans l'acceptation, voire la rémission de péchés, la rédemption vers un monde meilleur.

Une revisitation en images signées Frantisk Zvardon
Version extraordinaire, cinématographique, kinestésique, mystique et spirituelle du passage par le feu pour la transformation, la mutation, la métamorphose. De la science fiction?
De la fiction tout court naît une narration ténue à l'image: un univers en contre plongée, de couleurs chatoyantes, hurlantes, flamboyantes: celle de la matière en ébullition, lave volcanique éruptive, tectonique de la musique......Tout concourt à évoquer l'effroi, la terreur d'une fin du monde à la Jérôme Bosch, jardin d'Eden pour Satan diabolique dévorant corps et âmes pour engendrer formes et saveurs, matières et lumières insoupçonnées
Des étincelles, un feu d'artifice permanent de musiques, de sonorités.
Du très bel ouvrage signé Frantisek Zvardon, dont les portraits de ces guerriers de l'ombre et du feu, vestales d'un monde industriel archaïque  illustrent l'esprit du festival
Un monde en mutation, gardés par des veilleurs, cerbères tranquilles, sentinelles d'un ordre chaotique, d'une indisciplinarité des arts
Total déchaînement de la musique, poids et couleurs des masses sonores, mouvements fulgurants des corps d'instruments qui inventent un langage inédit pour une atmosphère à la Méphistophélès
Furies au point,L'orchestre semble jubiler, jouir de cet éruption de sons, de bruits et de fureur, ponctué de quelques accalmies salvatrices.
Un volcan en éveil, jamais éteint où gronde la menace d'un sort étrange, une montage franchement inquiétante d'où jaillissent scories et coulées de laves incandescentes
Des lacs de cratères, des sucs s'inventent un paysage d'une ère révolue en pleine action!

Pour mieux tétaniser, effrayer, pétrifier les hommes à l'instar des textes et images bibliques
Une leçon des ténèbres dans les plus belles lumières, les plans et points de vue, les cadrages d'un photographe de la tempête aussi bien que de l'intranquille immobilité de ces guerriers de la beauté, du labeur
L'enfer ce n'est pas les autres, c'est le trouble jeté dans la matière musicale qui se dissous dans un flux et reflux sensible, déployé qui se répand dans la matière filmique
Un nouveau genre de "musique de film" est né!
Enfer et damnation en diable!

lire
"la musique de film" de Gilles Mouellic
"musique et cinéma" chez Actes Sud
et

et voir l'exposition "Iron Heroes" de Frantisek Zvardon à Apollonia, 23 rue Boecklin
Strasbourg dès le 21 Septembre
www.apollonia-art-exchanges.com