mercredi 23 septembre 2015

Le concert du Quatuor Arditti :bien "accordé" pour une musique très picturale


Ils sont loin d'être des inconnus au Festival, qui chaque année réserve une place de choix à cet ensemble de "chambre" si envoûtant
Cette édition voir le MAMCS s'associer à ce festin et proposer à la Salle de La Bourse, créations et reprises d'un répertoire pour instruments à corde, inédit
Il pleut des cordes devant une salle comble, réunie pour un office , une ode à l'écriture musicale contemporaine pour ces instruments si "légers" en apparence, si graves et profonds en vérité.
François Meimoun s'y révèle un compositeur talentueux aux accents piqués, glissés, langoureux dans le"Quatuor à cordes II untitled-selon Pollock" de 2012;
Une référence gestuelle et picturale où l'on se plait à imaginer l'investissement physique du plasticien dans sa peinture, ses envolées lyriques, cette abstraction musicale et engagée corporellement dans la trace, le trait, la note. Pollock comme soutien à une écriture combative, contrastée, déployée mais aussi en tension, en apnée, en suspension
Sa seconde oeuvre le "Quatuor à cordes III" de 2013 rend un hommage à Ravel, longue épopée du geste retravaillé, reprises et leitmotiv en demie teinte, couleurs de la musique et atmosphère de lointaines contrées à l'appui.Allegro, lenteur, rapidité, fulgurante et virtuosité en font une pièce emplis de saveurs exotiques, étranges.

Dutilleux ne pouvait être absent de cette soirée et "Ainsi la nuit" s'avère un régal de nostalgie, de langueur, de saveurs inouïes.
Etirements des sons, "constellations" pour ces "nocturnes" si évocatrices de rêverie, d'un monde onirique où la volupté et le finesse répandent des parfums à la correspondance toute baudelairienne: il est des sons obscurs, noirs et volubiles, futiles, des notes claires, lumineuses qui réverbèrent les tonalités, changent les donnes sans toucher , en frôlant l'oreille
Les oreilles n'ont pas de paupières et l'enchantement visuel, très pictural de cette oeuvre sied aux protagonistes de l'invitation de ce concert: la peinture à l'oeuvre pour une musique plasticienne qui s'ignore! Musique de l'espace, du temps, du regard.
Merci au MAMCS de nous rappeler que les arts se conjuguent dans leurs corps et non dans l'accumulation , l'addition multimédiatique .
Pascal Dusapin pour clore cette soirée magique avec sa légendaire et virtuose pièce "Quatuor VII "Open Time" de 2009
Plus de 30 minutes d'un voyage très "ouvert" dans sa musique, variations à l'envie de son imaginaire si prolixe:
Une atteinte , un hymne, une ode à la beauté sous les archers amoureux d'une partition virtuose où tous les possibles s’enchaînent, se reprennent comme une litanie salvatrice, rédemptrice des "péchés" de cette composition audacieuse, hors norme qui titille et chatouille les tympans avec grâce et respect
Un grand compositeur pour un grand ensemble en grande forme!
On se plait dans la contemplation de ces quatre feuilles d'un trèfle porte bonheur, cordes éperdues de pulsations, de glissades, de suspension: une toile vibrante, vivante tendue devant nos yeux, s'anime pour un salon de musique novateur



mardi 22 septembre 2015

"Le voguing" de Frantisek Zvardon se forge un moral d'acier à Apollonia


Ils sont hiératiques ces hommes de fer et de feu sortis des entrailles de l’aciérie, antre dantesque de Satan ou du Dieu du travail, des héros de fer et d'acier, des guerriers intemporels statufiés, magnifiés par le regard et la mise en scène de Frantisek Zvardon
Le propgramme du festval Musica 2015 en est déjà une vitrine, un catalogue raisonné, déraissonné par la beauté des portraits sensibles de personnages au repos
Comme les danseuses de Degas, dans leur contexte de coulisses ou de foyer
Ils sont aussi mannequins sans regard, sans visage, stars d'un défilé imaginaire, en pose parfois très "voguing" très mode, impassibles, déhanchés, un tantinet statufiés et pourtant animés d'un anonymat étrange, particulier
Affublés de tabliers, bâches, voiles, toiles de travail, chaussures, gants de matière brutes, abruptes, pesantes, plissées, froissées.

Dépouillés, en lambeaux, usés par l'usage, le port sempiternellement réajusté par le labeur
On les regarde comme une galerie d'ancêtres momifiés, qui nous observent à travers leurs casques, leurs haumes, leur pare-brise infranchissables qui reflètent le paysage du lieu de travail
Les matières scintillent,  les tissus s'effrangent, se carapacent comme des armures d'insectes, des élytres des scarabées
Ils semblent attendre, ces gardiens du feu, veiller au destin de leur niche, leur antre diabolique persécutée par le feu
Et puis au loin, les images de l'aciérie, comme un gouffre, un abdomen aux tripes extravagantes, volumes et coudes, tuyaux et membres gigantesques.Viscères , boyaux, méandres pour un trajet initiatique dans l'antre de Méphisto. Corps écartelé, aux cuisses saillantes
Une fabrique infernale de beauté, de labeur, de couleurs, un laboratoire incandescent de matières en fusion

Ces "Iron Heroes", glorieux et modestes à la fois, samouraïs tranquilles privés de combat attendent l'heure de la gloire qui résonne déjà à l'aube de la reprise du vacarme des machines infernales

exposition à la galerie Apollonia, 23 rue Boecklin
Strasbourg robertsau
jusqu'au 22 Novembre

lundi 21 septembre 2015

Satané Musica : une journée particulière d'excellence !


Un beau Dimanche qui s'ouvre sur un concert à potron-minet, salle de la Bourse: l'heure d'un brunch apéritif copieux: un récital de piano, interprété par Pierre Laurent Aimard !
Hommage à Pierre Boulez avec deux œuvres "Notations" de 1985 et la "Première Sonate" de 1946
Œuvres phares pour illustrer le mouvement dans la musique d'un des plus grand auteur compositeur de notre temps.
Choix judicieux mis en regard avec deux autres pièces de deux autres démiurges de la composition musicale: Ligeti et Beethoven!
Boulez en maître de la mesure et du tempo: vif, lent, rapide, hiératique, modéré, fantasque: autant de qualificatifs posés sur une musique volontairement décoiffante, déroutante à l'écoute.
Alors que la sonate développe largeur, lenteur et rapidité , dextérité de l'interprétation au delà d'une technique requise, sans faille, ni fioriture possible
Le maestro du piano s'incline devant tant de rigueur et offre une lecture dynamique en diable, physique où l'empathie joue à fond son rôle de catharsis
Il honore l'instrument de ses attitudes en osmose avec la difficulté de la partition, en virtuose, le visage extrêmement mobile, en tension-détente, en symbiose avec la musique
Ligeti  avec "Musica Ricercata" lui offre un terrain de fantaisie ludique après ces performances dantesques!
Musique à danser, grave et légère : on devine pourquoi Anna Teresa De Keersmaeker en est friande !

La "Sonate pour piano N° 23, Appassionata" de Beethoven vient clore et boucler la boucle: la brillance de l'exécution, la virtuosité du pianiste en font un chef-d'oeuvre de référence incontournable qui ébranle, touche, frappe les esprits comme une sentence satanique!

Un récital qui laisse sans voix dans une atmosphère où les extrêmes semblent se relier: de Beethoven à Boulez, faire un seul pas ou le grand écart relève de toute façon de l’héroïsme !
Mais chacun fut à son époque très "contemporain" et participe à l'Histoire de l'écriture et des révolutions musicales.


"Giordano Bruno" de Filidei dans une mise en scène de Antoine Gindt par le Remix Ensemble Casa Da Musica
Un opéra contemporain se salue toujours tant il est encore rare d'en voir et entendre
C'est une des spécificités du festival Musica, engagé dans la réflexion sur le rapport image/ musique depuis plusieurs éditions
Sous la direction de Peter Rundel, et dans une remarquable scénographie de Elise Capdenat, des images vidéo signées Tomek Jarolim, la pièce fait office de traité historique, reconstitution narrative de la destinée d'un scientifique par une succession de douze scènes consacrées à l'histoire de l'hérétique Bruno, chercheur, détracteur de l'Eglise en proie à sa vindicte


Il est le héros et le martyr de la pièce, personnage central "fautif", coupable de vérité mais aussi de luxure démoniaque: on songe aux clichés de Pierre Moulinier en contemplant les scènes érotiques, de dentelles, bas à résille et pauses sans équivoques du chœur, celui qui ponctue l'opéra
Très mouvant, engagé physiquement dans l'interprétation, tous concourent à la tension dramatique de l'oeuvre
La musique, menaçante, les silences éloquents, façonnent une structure à la dramaturgie soulignée par un fond d'images vidéo évoquant l'aspect céleste de la rédemption impossible du héros, victime.
Le salut sera impossible, ni la rémission. Alors il s'enlise et s'embourbe, sacrifié au bûcher de l'inquisition
Destin diaboliquement irréversible où l'enfer, c'est bien les autres et leur incompréhension


Il manquait à cette folle journée une dimension filmique: la voici avec la restauration du film d'Abel Gance "J'accuse" de 1916
Évocation de la guerre de 1914/1918 où les héros, deux hommes en proie à un amour fou pour une même femme, traversent les affres de cette boucherie sans égal
C'est avec une humanité extrême et un savoir faire sans faille qu'Abel Gance aborde le sujet, à une époque déchirée, défaite et massacrée par la folie humaine et militaire.
Les acteurs y brillent par des accents de jeu appuyés, quasi expressionnistes, les cartons délivrent une histoire faite d'absurdité et de sentiments très poétiques, les cadres, zooms et focales simulés par des trucages à l'image: tout concourt à évoquer la splendeur et la terreur d'instants, noir et blanc pour mieux cerner les contrastes entre humain et inhumain
Poésie, fantastique, rehaussés par une interprétation en direct de la musique de Philippe Scholler par l'orchestre de la Radio Sinfonieorchester Stuttgart des SWR
Un ciné concert de trois heures qui passe comme une lettre à la poste.


J'accuse est une ode à la Vérité, un aveu d'humanité et les mensonges qui sauvent y sont détractés comme des erreurs fatales et irréversibles
Le destin avance, l'histoire se forge et cette musique remarquable accompagne et souligne, suspens, horreur , joie aussi des scènes dansées de Provence qui illuminent de leur rythme chatoyant, un film noir, mais pas désespéré!

Un Dimanche particulier où la ligne éditoriale conduit du solo pianistique à l'avalanche cinématographique, en empruntant le cabinet de curiosité d'un savant décrié......Épuisement du spectateur, comblé par l'excellence des choix et des prestations proposées!