dimanche 5 juin 2016

"Jan Karski": Mon nom est une fiction: mais pas la danse!



Le roman Jan Karski s'inspire de la vie du résistant polonais du même nom. En 1942, ce dernier parvient à s'introduire dans le ghetto de Varsonie puis dans un camp de concentration. Terriblement bouleversé par cette expérience, il a tenté de sensibiliser les Alliés au sort des Juifs.

Une performance inimaginable du comédien Laurent Poitrenaux, nous plonge dans une réflexion salutaire sur l'extermination du peuple juif en Pologne et dans toute la vieille europe.
Mais à bien réfléchir ce sont les dix minutes de danse qui au final résument, aboutissent et confèrent au sujet toute sa grandeur, sa profondeur. Ainsi que la prestation de danse claquettes du premier récitant, venant en "entremets" agrémenter d'un piment de vie parallèle, le récit des atrocités évoquées

Quand notre héros tait son récit, Paula apparaît, cette femme qu'il a aimée et rencontrée dans un bal à une époque où danser n'était surement pas de mise.
Dans ce décor fastueux, mais vide du couloir de l'Opéra de Varsovie, foyer protégé, épargné par l'horreur.
Elle est quasi nue, en Marcel et slip seyant, s'installe sur la scène discrètement, insidieusement et se meut à la Egon Schiele, en mouvements fragmentés, disséqués, disloqués en miettes.Puis, cette femme spectrale se met à danser, gracile, fragile.
Comme un cadavre se glissant à terre , gisant atrocement, mais ceci tout en suggestion de gestes: jamais de pathos, ni de cruauté . L'empathie avec la femme qui danse devant nous est telle que son récit corporel, à lui seul prend toute la place et le temps: consigné dans un phrasé, une syntaxe brève mais languissante, qui se répand dans l'espace et brûle de corporéité. Histoire de corps qui évoque, jamais ne parle ni ne stigmatise le verbe, c'est la chair l'incarnation de la souffrance, de la mémoire du corps imprimée dans l'enveloppe et les muscles, les os et toute la charpente .
Danse macabre? Non surtout pas car la mort ne danse pas, même si l'iconographie voudrait bien nous le faire croire.
Elle est celle qui ne résiste pas, mais ne subit pas pour autant
Image, icone qui se fait et se défait, dans des attitudes, postures inouïes, quasi acrobatiques qui rappelle l'écriture chorégraphie acrobatique de Sidi Larbi Cherkaoui
Pas banale, la filiation car Damien Jamet est derrière, devant cette évocation dansante, compagnon du danseur, metteur en scène belge et marocain!
Damien qui lui aussi récemment frôla la mort devant les terroristes du Bataclan: barbarie nazie ou djihadiste, témoin et acteur de l'événement .
Quand la danse prend le relais du texte et de la parole, quand elle se donne entière à travers un corps qui bouge, alors le théâtre est vanité et ambition vaine.
Manon Greiner y est sublime, légère et grave, pleine de poids, de gravité (comme l'affirme Ohad Naharin dans le film Mr Gaga), l'essence de la danse, et elle inspire la réflexion sur le passé, le temps: danse, mémoire et patrimoine, répertoire de l'humanité, rien que ça !
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D'après le roman de Yannick Haenel, mise en scène et adaptation Arthur Nauzyciel, avec Manon Greiner, Arthur Nauzyciel, Laurent Poitrenaux et la voix de Marthe Keller.  



Au TNS jusqu'au 11 Juin 

lire dans NDD Nouvelles de danse de l'hiver 2016 n° 65 Page 8
"Récit du 13 Novembre" de Damien Jalet
www.contredanse.org/


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samedi 4 juin 2016

Carte blanche à Catherine Javaloyès: chateau et cartes sur table! Elle voit "rouge"


A propos de
"Olivier Chapelet a donné une carte blanche à Catherine Javaloyès pour quatre soirées qu’elle composera à sa guise, telle une immersion proposée au public dans l’univers artistique de la comédienne et metteure en scène. Conçues sur le principe du croisement des disciplines et de l’ouverture vers diverses formes théâtrales, ces soirées sont encore actuellement en gestation et réservent donc quelques surprises.
On sait déjà qu’on y partagera quelques mets et que les textes de théâtre, tout comme la musique y tiendront une place de choix. L’ambiance y sera décontractée, chaleureuse et résolument tournée vers la création ; Catherine Javaloyès envisage d’ailleurs d’inviter un certain nombre d’artistes dont elle apprécie le travail à la rejoindre dans cette aventure… Une carte blanche à construire comme un temps partagé, à la découverte des réflexions qui nourrissent les recherches de Catherine Javaloyès et des auteure-es dont elle aime faire entendre la langue."
"Les pieds dans le plat": le festin de Catherine
Suspens donc quant à cette soirée "spéciale" ainsi annoncée!
A quelle sauce allons-nous être mangés, quels morceaux choisis allons nous déguster sans modération?
Tout débute dans le hall du théâtre des TAPS Laiterie: en toast, l'apparition des comédiens, comme une mise en bouche apéritive, un amuse gueule où déjà se profilent, gaieté, humour, sagesse, distanciation: c'est Jean Lorrain qui ouvre le bal! Docte et fripon, il donne le ton, et réplique à un personnage fantasque, hybride, transgenre, en noir et rouge, gainé , accoutré comme une femme travestie en homme ou l'inverse: question de genre! Duo endiablé, cocasse qui augure du meilleur pour la suite des élucubrations et divagations à venir.
 Nous voici embarqués à travers le miroir pour un voyage au long cours. Le périple nous amène à franchir le seuil du théâtre à passer en extérieur, malgré la petite pluie agaçante qui chatouille. Catherine nous convie à découvrir la cour, encerclée des anciens bâtiments de la Laiterie: course poursuite entre un singulier personnage et le gardien du temple, Denis Rondel,un agent de sécurité hors norme, obnubilé, obsédé par les consignes et mesures de protection du public en zone fréquentable "insécurisée". Il basile sans cesse et ramène à l'ordre inlassablement cette tribu fantaisiste, hors "norme"!
On y découvre l'architecture, l'exosquelette du bâtiment: escalier de service à clair voie: idée judicieuse de mise en espace du topic Laiterie qui nous conduit encore plus en avant dans la cour intérieure où là, une femme se cache derrière un jeune arbre naissant dans le béton, une autre derrière la cursive: bref une invitation au voyage linguistique aussi car ils sont loin d'être muets ces fantômes de rouge et de noir affublés, comiques, pince sans rire qui égrainent t des textes, morceaux choisis, pièces tendres, palerons de la littérature: les choix de Catherine pour chacun d'entre les interprètes réunis pour l'occasion sont pertinents, sur mesure!
Il pleut, il mouille mais peu importe, l'entrée dans l'univers intérieur de Catherine se solde par la découverte du théâtre transformé en salle à manger pour le banquet de Platon ou des Sophistes!
A table donc pour l'apéritif, debout à porter un toast à l'avenir proche: on se jette à l'eau à la bouche, à la nage ou au court bouillon, chef au piano ou maître- queux , Grégory Ott et Pascal Doumange,pour la musique!
On va déguster!
Avanti, andiamo, ça continue et les deux grandes tablées impressionnantes seront les frontières entre nous et les comédiens, danseurs, chanteurs qui ramènent leur fraise au gai ris donc de la convivialité!
Pressez le  citron, du chapon melon et tombez dans les pommes en l'air, serait le fin slogan de cette soirée déjantée, où le ton de la satire, du détachement mais de l'engagement total de chacun, démontre le talent de metteur en scène de la maîtresse de cérémonie, Madame Loyale, Maja nue ou  vêtue de Goya, observant son petit monde s'agiter d'un air détaché! Du haut de son canapé de velours  rouge


Catherine Javaloyes

Elle les a bien "dressés" ces fous furieux, indisciplinés, complices, compères pas que d'un soir!
Réunir ces escogriffes émus, animés par la malice et le culot de nous faire partager le "festin de Catherine": car on y mange, entrée de verrines salées, couscous tajine en baeckeofe et desserts raffinés, chic et bon genre ou de bon aloi, à la bonne franquette!
Partageux, convivial, théâtralement responsable et durable, participatif?
Oui, dans l'allégresse et la liesse: chacun y va aussi de son solo, comme les battles hip hopiens: Jean Lorrain en "sadique" , corbeau à l'envergure démoniaque, au balcon de nos peurs, tout en noir quand il n'est pas en maître d’hôtel très stylé, Kristel Kern à la voix prenante dans la mélodie de Christine and the  Queens, La brigade de la compagnie des Talons rouges a l'estomac dans les talons et ne manque pas d'appétit pour dévorer, sentir, mâcher les textes multiples et variés qui séduisent, étonnent par leur singularité.Et les autres convives Jean Philippe Labadie, cocasse et déjanté, Gael Chaillat, séducteur, embobineur, Laure Werckmann, si émouvante dans son "Bang Bang" susurré à la cantonade!
Meneuse de revue, La Goulue ou Grille d’Égouts, de gout, que la Grande Catherine ? Le gout des autres et de la bonne chère, elle les possède et les triture à l'envie et l'on ne reste pas sur sa fin : elle invite ce soir là Jacob Rogozinski à philosopher sur le talon aiguille et l'origine du fétichisme!

Les Talons Rouges, chère Madame ne sont pas innocents dans cette embarquement pour Cythère où Freud et Marx peuvent la boucler après l'avoir si longtemps ouverte! D'ailleurs les hauts talons rouges à la Louboutin sont eux aussi les acteurs de cette diatribe, haute en couleurs: Catherine voit rouge, passe au rouge sans permis de bonne conduite et les codes sont inversés: on vide son vin au vert, passe au rouge et rentre à la maison avec son verre, à pieds!
La Femme est bien le présent de l'homme et tous les auteurs ici conviés au banquet du verbe incarné ne le démentiront pas!

mercredi 1 juin 2016

"Perséphone" danse à l'envers en deuxième position!

Mise en scène : 
Avec : 
Edition(s) du festival : 
"La romancière Gwenaëlle Aubry parle à la jeune fille qu’elle a été et revisite le mythe de Perséphone, à la fois enlevée aux Enfers par Hadès reine des morts et symbole d’une nature toujours renouvelée. Entre oratorio et tableau plastique, ce projet se propose de mettre en voix, en corps, et en musique cette langue charnelle, dans un dispositif plastique où le naturel le dispute à l’artificiel, où le rapport à la musique de l’adolescence se distord, faisant appel à notre part d’enfance y compris dans sa dimension bancale.
Traversant des musiques qui vont de David Bowie à Henry Purcell en passant par Radiohead et Lou Reed, cette Perséphone, cette Jeune fille nous parle de nous, de notre jeunesse, de l’envie de rentrer dans un mythe ou dans son propre film."
Léopoldine Hummel incarne avec un réel brio, cette jeune et fort belle créature mythologique: longue chevelure éparse, déroulée sur les épaules, stature massive et charpentée, à la voix envoutante,riche de multiples intonations Dans un décor de machines et de chaos, représenté par une sculpture animée signée Daniel Depoutot, le Tinguely démiurge local (un petit squelette lumineux) l'histoire , le destin de cette fillette au cerceau qui danse à l'envers, le corps en seconde position de danse classique, se dessine et se joue devant nous.
Le texte sourd de la bouche épanouie et sensuelle de la comédienne, les yeux fermés, les pieds dans un petit volcan de terreau fertile . Elle y évoque des sensations subtiles et perceptibles au plus profond des entrailles des mots, la justesse de son élocution  fait vibrer les sons d'un vocabulaire choisi, passé au tamis et au filtre de la passion d'écrire de Gwenaelle Aubry
Dans les tréfonds de la cave, la déesse Perséphone danse, se meut comme une sculpture animée par la grâce et ces moments partagés dans une proximité et promiscuité bienvenue.Enfer pour cette jeune fille et la mort, au seuil de la danse macabre, mais toujours à l'assaut de la vie: elle ne cesse de danser, d'évoquer le corps, qui respire, souffle: elle chante, murmure de sa voix suave et résonnante, au timbre puissant.A la lisière, entre deux, sur le fil, femme chancalante, oscillante, toujours vacillant du bon coté de la frontière!
Un moment de théâtre de poche inédit où le corps est au centre de toutes les péripéties évoquées par cette femme, enfant, fleur, amante, remarquablement interprété : la voix chantée, la guitare au poing ou la mélodie glacée de Purcell invitent au voyage au long cour: le tour est joué, la magie opère quand les deux figures féminines, dédoublées, dans une lumière au néon rougeoyant complotent une complicité amoureuse, érotique, trouble où le secret règne dans le silence.
Belle prestation, sobre et juste qui nous entraîne au final à découvrir sur les lèvres rieuses de Léopoldine, la destinée de sa déesse, si proche de son être, son double, sa muse d'un soir!
Perséphone, ma fille, où es-tu ? Quand Hermes vient chercher Perséphoine, le dieu qui guide et qui descend aux enfers, le festival "des caves" et son undergroud subway se "justifie" encore plus et trouve toute sa légitimité!
Et nous, sommes nous "sauvés" des entrailles de la terre?

https://lesaedesvoyageurs.wordpress.com/tag/preraphaelites/


Le soleil resplendissait serein sur les champs prospères de Trinacrie, la belle Sicile, et la jeune Perséphone à la belle chevelure, fille adorée de Déméter et Zeus, s’en allait cueillir des fleurs avec ses compagnes Océanides. Les rires tintaient, de doux chants s’élevaient dans l’air calme de l’après-midi pour accompagner les jeunes danseuses. Perséphone s’était arrêtée un instant pour se rafraîchir le visage à l’eau claire d’une petite source, et s’élançait déjà vers le cercle de ses amies bondissantes, lorsqu’elle remarqua soudain une fleur inconnue, d’une incroyable beauté et au parfum enivrant : un hyacinthe. Fascinée, elle se plia gracieusement pour la cueillir, déjà ses mains effleuraient le velours de ses pétales, déjà le parfum merveilleux de cette fleur la faisait frémir…

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