La Belle scène Saint Denis éclaire nos matinées à potron minet par la richesse des propositions en chantier pour la plupart. Animées avec pugnacité, amour et dévotion par La Parenthèse, réunion des deux théâtre de Tremblay et Saint Denis, cette aire chorégraphique est devenu le territoire le plus couru ou disputé d'Avignon en matière de présentation de recherche et de laboratoire.Une couveuse pour jeunes pousses de la danse d'aujourd'hui.
SECOND PROGRAMME
"mA" de Sachie Noro et Yumi Rigout
Complicités
Un tapi blanc, une roue à carreaux noir et blanc, deux danseuses, mère et fille vêtues de noir, une guitare en direct, celle de Diego Aguirre pour bercer bascules, solo en canon, cheveux au vent des deux femmes complices.Elles s'attrapent, s'étreignent, se repoussent et dévoilent de leur atours, des couleurs qui feront partie de l'assemblage visuel de l'architecture de leurs corps rassemblés.Entrelacs, enchevêtrement des silhouettes, mouvements très animal, alors que la guitare frotte des sons crissants.Fusion hybride des reptations au sol, formes inédites pour métamorphose et manipulations subtiles, les cheveux longs toujours inclus dans la plasticité des images créées.
De beaux portés en équilibristes circassiennes, quelques entraves aussi dans les gestes.Lentement, à la Mondrian, les couleurs de leurs vêtements s'organisent, la roue se déconstruit comme un jeu de dames qui se démonte. C'est déjà fini et la guitare sèche se tait devant une telle grâce.
"Icones" de Sandrine Lescourant
Brut de coffrage
Deux hommes, deux femmes pour exprimer face au monde les humeurs et états de corps quotidiens des êtres furieux, parfois muets, interrogeant le public du regard, se présentant en toute simplicité pour de "vrai" sans chichi ni complaisance. C'est du brut, du dur, parfois haineux, rancunier, aigri par les accidents de la vie, les frottements à un monde aride, celui de la chorégraphe qui ne mâche pas ses gestes!Sans mentir, des mouvements tétaniques au corps,de petits dialogues, des arrêts sur image, une certaine impatience se dégage de cette agitation fébrile. Quelques selfies acrobatiques, féroces, pas toujours de la tendresse dans cette danse robotique, technologique de groupe branché hip hop . Des rouages syncopés, très mécaniques pour une photo de famille caricaturale, électrocutée par l'énergie débordante de la tétanisation.
Un beau solo vient apaiser cette machinerie organique aux cent mille volts dont la douleur et la souffrance exprimés fait mouche et dérange. Inquiétude et intranquilité au poing, Sandrine Lescourant fait sourdre les histoires de corps, les fait avouer ou parler par la force simulée d'un micro scrutant une colonne vertébrale secouée à vif par la danse. On en ressort ébranlé, violé par ces épreuves non dissimulée et évoquées d'une vie difficile que le corps traverse et déverse.Panique à bord, contagion de la douleur, "icônes" est un coup de poing dans la gueule et ça fait mal, ç a touche et émeut au delà des maux.
"Ruines" de Sylvère Lamotte
Lenteur extatique
Deux hommes vont devant nous évoquer des univers tranquilles, nostalgiques, quasi romantiques, mélancoliques à souhait. Ce serait cet univers de ruines, de restes qui nous hantent les mémoires .
Un porté pour prologue, des vêtements décontractés qui lissent les contacts entre eux: c'est de cet abandon, manipulation gracieuse de l'un par l'autre qui ferme les yeux de quiétude et de confiance.
Un amour tranqille les traverse dans une danse contact,lascive, docile, endormie ou soumise.Presque christique tant des images de piéta ou de tableaux, toile du Greco ou De Vinci apparaissent furtivement. Enchevêtrement des corps , nichés l'un dans l'autre, au creu des espaces, des vides et des pleins des corps relâchés. Puis le face à face s'inscrit dans l'espace, ils se lâchent, se libèrent, se séparent, s'autonomisent pour mieux se re- enlacer Images de chimères criardes, miserere religieux fascinant, on entre en religion dans la saveur de la lenteur et la beauté, puissance divine qui domine les hommes. Ce duo , art du porté,cueille et recueille la méditation dans des déroulés assoupis au final, gisants libérés des contraintes du vivant, de la pesanteur, du poids de la vie. Le mouvement s'éteint, la guitare se tait, les transports bibliques s'épuisent dans une tendre mélancolie Le Louvre devrait s'enrichir de cette oeuvre picturale émouvante jusqu'aux cimaises de nos pensées dansantes.
PREMIER PROGRAMME de la belle scène saint denis
"Care" de Mélanie Perrier
Invulnérables
Deux couples d'hommes et de femmes de blanc vêtus vont évoluer sur un tapis blanc, comme endormis debout. La beauté et fragilité du site de la Parenthèse opère à merveille dans le bruissement du mistral.Le lent affaissement des corps en contact vers le sol,en appuis, délicat travail sensoriel, sensitif, intuitif berce l'atmosphère paisible.La fusion, osmose, participe de ses retrouvailles des corps enlacés, décontractés à souhait mais maintenus par une tension , une concentration exemplaire.
De légers portés, infimes écritures dans l'espace changeant, basculent dans des attractions, une attirance fébrile, comme des aimants retenus par une énergie contenue puis libérée.Un tonnerre de bruits de bombardement ne suffit pas à déranger la quiétude de cet ordre des choses.La masse des corps expérimente des surfaces, des emboîtements d'espaces très privés qui se révèlent.Chuter, céder, se relâcher, s'abandonner à l'autre , puissants couples ou individus partageant un savoir être ensemble, à deux qui n'a pas d'égal
La vision de ce manège de couple, sans lasser, est une véritable cure de jouvence et un bain de volupté inégalé.
"Juste Heddy" de Mickael Phelippeau
Heddy Salem à vif
Il est "la vedette" anti star de ce solo en chantier, aveu d'une personnalité fragile qui se raconte; ce "rôle" confié à ce jeune autodidacte par notre trublion chorégraphe s'avère succulent, drôle, attachant, émouvant. Il est bien seul, face à nous avec son corps pour instrument, son histoire en partage.
Il se meut de son bassin "méditerranéen", naif, timide, ce sportif déballant de son sac ses oripeaux, souvenirs ou son histoire de dealer engagé pour un casting dans un film louche...Il est attendrissant et vulnérable, presque trop confiant mais sincère.Il mime son existence par des gestes appropriés: légionnaire stupide aux gestes mécaniques et autres affres de la vie.Une ode à la femme de sa vie dans un tendre" allo maman bobo" et le voici en hip hopeur qui ne dé rap jamais sincère, confiant. Et pourtant il semble capituler, ne s'en relève plus de ce destin à rebondissements pas toujours heureux! Heddy Salem campe un beau personnage et en prime un petit rappel, cadeau de la maison, où il livre l'état de travail de son solo.Son cœur pulse, il se livre et délivre son vécu avec conviction.
Affaire à suivre sous l’œil bienveillant de son parrain chorégraphe à l’œil aigu et attentif!
Son visage à la Tahar Rahim émeut et trouble.
Une pièce singulière fondée sur l'anonymat: celui de trois silhouettes masculines, jean, sweat shirt à capuchons, pieds nus, sobres, banals, urbains en diable! Sur le plateau nu, tapis noir,lumières tamisées, après un vrombissement étranges, ils vont évoluer, à terre, au sol dans une synchronisation hallucinante, faite de ricochet, de passation de tempo. Dans une précision extrême, les mouvements tétaniques construisent et déconstruisent les corps conducteurs d'énergie.Mouvements hachés, désarticulés, décomposés, en petites touches saccadées. Ils se manipulent avec dextérité, chacun pour soi, contorsionniste à souhait Une unisson s'installe entre eux, ils se jouent d'un espace restreint, réduit à leur trio, qui peu à peu opère son érection vers la verticalité.Les visages impassibles, masqués de voile noir, plaqué sur la peau, tendus comme des faussaires ou braqueurs de banque Jeu de mains, de jambes, électriques, stratifiés et décomposés à l'extrême, c'est un savant mélange de virtuosité, de prouesse au service d'une montée en puissance de la dramaturgie. Trois corps complices dans une ambiance étrange, mannequins sans visage, ni regard, comme les sculptures de Daniel Firman ou les hip-hoper de Denis Darzacq Mécanique, machinerie à chutes, engrenages bien graissés.
On est en apnée, en empathie durant tout le temps de leurs évolutions quasi circassiennes qui donnent à la mouvance hip-hop, dans la musicalité des silences, une profondeur magnétique et palpitante qui tient en haleine et méduse sans concession
Un trio qui au final danse du "trad", comme une pause, un prolongement de leur langage urbain, comme un retour au source à l’enchaînement, au lien, à la solidarité: comme une mécanique bien huilée, celle des "temps modernes" aux rouages tous tracés.
"Le récital des postures" de Yasmine Hugonnet
On est en apnée, en empathie durant tout le temps de leurs évolutions quasi circassiennes qui donnent à la mouvance hip-hop, dans la musicalité des silences, une profondeur magnétique et palpitante qui tient en haleine et méduse sans concession
Un trio qui au final danse du "trad", comme une pause, un prolongement de leur langage urbain, comme un retour au source à l’enchaînement, au lien, à la solidarité: comme une mécanique bien huilée, celle des "temps modernes" aux rouages tous tracés.
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| Denis Darzacq |
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| Daniel Firman |
Sculpture en mouvement
Elle est seule sur le plateau, tout en lenteur, elle déploie des trésors de postures, attitudes et pauses, dans le silence recueilli d'une salle hypnotisée par sa présence magnétique. La lumière est son révélateur, son sculpteur qui tel Rodin ou Camille Claudel, transforment la masse organique en formes étranges, inachevées, en devenir constant. Les métamorphoses opèrent comme autant d'actions de sempiternelle évolution de la transformation du corps de la danseuse, bientôt nue, cheveux partie intégrante de la plasticité des images qui se font et se défont à l'envie. La beauté des icônes ainsi engendrée n'a de cesse que sa disparition définitive qui ouvre encore des champs de vision infinis, rémanence de lumière mobile, de fusion des matériaux nécessaires à la modélisation d'une créature hors norme.Corps, instrument privilégié d'une partition silencieuse, exécutée en virtuose par Yasmine Hugonnet.
"Nativos" de Ayelen Parotin
Chaos chamanique
Quand le théâtre de Liège s'accoquine avec les interprètes de la Koréa National Contemporary Dance Company, ça fait des étincelles que Ayelen Parotin sait très bien provoquer, allumer, pour décaper l'image d'une Corée chamanique passée à la moulinette de son humour décapant. On l'a quittée à Montpellier Danse avec "Autoctonos" pour la retrouver ici avec quatre danseurs, forts en corporéité, une femme travestie les aguiche , le tout sous la coupe des percussions d'un piano préparé où résonnent les notes sempiternelles de Léa Pétra fidèle pianiste aux commandes.Tonitruante prestation décapante où chacun s'ingénie à performer, chanter, créer le chaos sur scène, déplacer sans cesse les regards des spectateurs gavés d'informations visuelles tumultueuses! On apprécie ce vaste chantier mobile pour sa verve, sa plasticité et l'incroyable performance de la pianiste, imperturbable percussionniste pianistique irremplaçable.
"My (petit) pogo" de Fabrice Ramalingom de R.A.M.
Cour de récréation
Un petit bijou précieux pour explorer le processus de création chorégraphique d'une petite compagnie de quatre danseurs qui se présentent comme tels, faisant de nous des témoins bienveillants d'une pièce qui s'invente, se trouve et se construit selon l'inspiration de chacun et l'organisation de toutes des découvertes gestuelles convoquées lors de cette démonstration en temps réeL. C'est gai et ludique, intelligent et rafraîchissant. On sent combien l'inventivité, la responsabilité et l'écoute sont les moteurs d'un travail partagé, vécu comme un vaste terrain de jeu où chacun trouve sa place et considère celle de l'autre. Comme un match performant , singulier, où il n'y a rien à gagner sinon la joie de danser.
"D'oeil et d'oubli" de Nans Martin des "Laboratoires animés"
Architectonique
Quand la danse se construit comme un cantique, du noir total de la salle à la découverte d'une cathédrale de bois dressée, savamment empilée à la Dépéro et son futurisme italien, elle oscille et crépite en mutation constante. Silence et lenteur des gestes qui s'imbriquent et simulent la construction déconstruction de l'édifice central, cheville ouvrière de la pièce montée devant nous: fragile assemblage qui va subir une métamorphose selon les directives de la manipulation des danseurs, de ses éléments fondamentaux. Chantier en évolution, on déconstruit, déplace les plaques de bois, en même temps que se fabriquent les espaces entre les corps détendus, complices. Au final, c'est un plateau, puzzle de bois qui trace les fondations d'un sol fait pour la danse, alors que la musique en live accompagne tout du long, la pièce à conviction. Un chant choral fédère le tout pour cette agora versatile, plateau de la danse foulé de la verticale à l'horizontale.
"People what people" de Bruno Pradet
Ré-pulsions
Sur la même pulsion, en ouverture sept danseurs tiennent le plateau, nu,infatigables arpenteurs: un travail formidable sur la dépense, la perte, l'unisson avec lequel on entre en empathie de façon irrésistible. Coureurs de fond, les danseurs se donnent, regards et directions en mire,sur une musique binaire répétitive.Le calme fait irruption après cette performance ébouriffante pour tracer quelques belles diagonales animées d’enchaînements inspirés. Un cercle chamanique pour clore ces courses folle en spirales de lumière comme une scène tournante hypnotisante où la lumière court aussi pour rattraper les pas des danseurs La focale se rétrécie, les souffles, rires et jeux cessent et cette communauté engagée corps et âme retourne au calme: on achève bien les chevaux mais pas les danseurs portant exténués par cette représentation physiquement éprouvante pour la beauté empathique que l'on ressent à vivre tout près d'eux.
"The Hole" de Hsiao-Tzu Tien
Feux follets
Des visions spectrales, fantomatique hantent l'univers du chorégraphe de Taiwan: inspiré de ses rêves ou cauchemars, ces spectres ectoplasme en petit groupe serré, naviguent sur la scène comme des images spectrales subliminales. Une femme gigantesque dressée sur un tabouret fait une icône sculpturale de toute beauté et confère une atmosphère étrange, inquiétante à la pièce. Les costumes des cinq interprètes femmes, plissés, designés très contemporain, donnent à ces willis des temps modernes, un aspect onirique, transparent, invisible d'un monde fantasmé, grouillant de petits êtres vivants d'un autre monde.De très beaux éclairages soignés, une musique inventive et tendue vers le suspens, en mouvement perpétuel. Un opus singulier qui transporte vers d'autres cieux, d'autres lieux les vision rêvées de l'inconnu, de l'indicible.





















