dimanche 8 octobre 2017

Quatuor Tana et Neue Vocalsolisten à Musica:"Delocazione": le bal des ectoplasmes


Un concert à Sainte Aurélie, ça fait déjà rêver alors l'immersion dans ce "Delocazione" de Raphael Cendo va se révéler un véritable bain d'étrangeté, un voyage désincarné sur une planète onirique et tentaculaire...
De même qu’un quatuor à cordes est composé de trois instruments différents (le violon, l’alto, le violoncelle), trois lettres suffisent à écrire un mot de quatre, «Tan». Aussi est-ce à l’unisson que les membres du Quatuor Tana mettent leurs sidérantes énergies au service de la musique d’aujourd’hui. Dédicataire de Substances. Quatuor à cordes n°2 (2013) de Raphaël Cendo, c’est aux côtés des aventureux Neue Vocalsolisten qu’ils créent ce que Cendo identifie comme son Quatuor n°3 – une pièce d’une heure dix pour quatuor à cordes et quatuor vocal. 

Des souffles, expirations, râles, ténus dans le silence et le recueillement entament l'opus: immersion des voix dans l'espace, telle des flèches sagittales qui traversent à toute vitesse. Ça fuse en petites touches affûtées, cinglantes, brèves et vives. L'atmosphère est campée.Des sonorités nocturnes évoquant des grillons, des onomatopées incisives, intrusives pour peaufiner le tableau. Vivant, entre les failles des espaces sonores, se glissent en cachette quelques spectres, ectoplasmes, qui surgissent, s’immiscent dans les interstices des sons des violons.
Peur, inquiétude, malaise à la clef. Les voix étouffent dans ce suspens, suspension des tensions sonores engendrées ^par l'ensemble des sources sonores.
 Un film d'horreur, un bal de vampires, des ombres portées fantastiques s'y dessinent, comme dans une grotte ou caverne où sous les voûtes, gémissent des êtres en souffrance, des absents, des esprits...Une agitation fébrile s'empare des violons, très physique, étrange; les voix de femmes dérangent et génèrent peu à peu la panique chez les hommes.Sorcellerie de pythies et autres oracles de voyantes, étranglements des voix englouties, déglutissant, éructant le son: on égorge, on strangule dans une atmosphère morbide et lugubre. Des zombies peuplent cette maison hantée, des morts vivants mènent le bal, danse macabre distinguée et légère dans ces derniers souffles de vie.
Cette oeuvre, très organique, sensuelle, sensible, émeut, fait tressaillir et trembler...de peur ou de curiosité.Les enfers résonnent des voix des condamnés, damnés: halètements, poussières et fumées se livrent dans des récitatifs, vécus comme des ombres mortes dans des villes invisibles.Disparition de ces "revenants" éternels sujets de la pièce; c'est très esthétique "butoh", théâtre de la cruauté, Arte Povera musical digne des univers de cendres et de poussière de ParmigGiani: on se retrouve dans la bibliothèque incendiée du Musée Fabre de Montpellier ou au Castel Rivoli, entre ruines et désaffection.Esprits des lieux en action sur du polystyrène gratté par des archets, nouveaux corps de violons recyclés.Pour générer des sons âpres, bruts, abruptes, cinglants, acérés.



La matière interroge Raphael Cendo avec amertume dans des fragrances musicales , sons caverneux, psalmodies graves de sumo japonais, agonie et agitation ultimes des voix à travers des corps morts-vivants.Des murmures en catimini bordent cet univers fantastique, tels des oiseaux de nuit qui effraient et glacent le sang .Inouïe, incroyable bande son d'un film d'épouvante expressionniste. Angoissant paysage sonore qui dérange, comme dans une lente agonie inéluctable, irréversible, irrévocable sanction des Frankenstein ou Dracula, rôdant dans cette maison hantée.Des sons étranglés finissent par occire la pièce.
L'oracle peut se réaliser et ce sera de bonne augure pour cette oeuvre servie avec un sens de la théâtralité dépouillée, Arte Povera de la musique d'aujourd'hui: un nouveau "genre" est né, forme hybride, entre rêve et réalité, légende et réalisme.Banquet pour Rilke, Didi Huberman et Parmiggiani, réunis et ici convoqués pour le meilleur des repas de fantômes!

Percustra "atelier-concert": les technologies nouvelles percutent!


Un atelier-concert fabriqué dans le  quartier de Hautepierre qui a été conçu et aménagé entre 1967 et 1984 : c’est là que, depuis plus de trente ans, sont implantés les Percussions de Strasbourg. Et l’ensemble a beau avoir réalisé plus de 1600 concerts dans 170 pays, c’est à Hautepierre qu’il a développé son projet d’action culturelle le plus ambitieux : Percustra. Encadrés par des musiciens de l’ensemble, les habitants de Hautepierre et des élèves du collège Érasme donnent lors de ce concert trois œuvres en création mondiale
Sous la fervente houlette pédagogique de François Papirer, voici venir, le temps de la représentation de ces fertiles ateliers.
"Fragments articulés" de Benoit Montambault démarre par une véritable et curieuse chorégraphie de mains dans un large rectangle de lumière: on s'interroge sur la source musicale de ces mouvements, papillons lâchés dans l'espace, lucioles précieuses animées par quatre adultes...Ces "faits et gestes" dans la lumière se prolongent , cette fois orchestrées à vue par des percussions plus classiques.Une bande son semble s'étirer dans l'espace, entrecoupé: une belle mise en scène que ce ballet dans ce faisceaux éclairé Bruits de salve, de pétards; ce laboratoire de gestes cliniques sur paillasses , éprouvettes au poing, vient, explique par la suite notre animateur, brisant le mystère, de capteurs obéissant à un logiciel de détection du mouvement qui engendre du son! Magie des effets, cependant, animés par les corps des interprètes qui dans l'obscurité, génèrent de belles rémanences, des tourbillons de sons
"On se dit qu'on compte jusqu'à quatre; après on verra bien!" est un vrai jeu savant, encadré par Galdric Subirana
14 collégiens s'avancent et percutent dans un travail précis, net, simple, exigeant, très professionnel.
Les éphémères continuent leurs danses dans la lumière, piège et écrin de leurs mouvances captés, prisonnier de l'ère des technologies nouvelles, fort bien explorées!
Place "Minh-Tâm Nguyen pour "@Ack", une pièce très "tendance", technologique à souhait, un vrai jeu vidéo d’antan transposé pour smartphone, interaction et interactivité public/ machine en live et direct.Une manette géante sur scène, une écriture graphique style facebook et autre icônes sur la toile, pictogrammes très mode et référencé téléphone portable.
Très génération montante, ce morceau est ludique, visuel et met en pratique percussions, technique et autres machineries informatiques: la nouvelle tendance de recherche des Percu, fait mouche Et attire un public de chercheurs exécutants amateurs, friands de nouveautés! Des archets sur du polystyrène, des xylophones au son complexe, des icônes vidéo sur écran: tout se mêle et les connections s'entrelacent.Navigateurs, réseau, niches de la musique nouvelle e-toilée! Une petite révolution en herbe, art numérique sonore, art cinétique qui finit par transformer les corps des interprètes en machine, robot, pantin ou poupée manipulables à souhait.
La contagion des univers opère: du virtuel au charnel dans une atmosphère joyeuse de contamination sonre et musicale
En avant vers l'avenir pour ces générations de "jeunes pousses" de la musique d'aujourd'hui: cet après midi à France 3 Alsace, l'auditorium était une fois de plus, le creuset de découvertes et de partage: le public nombreux, venu soutenir les participants qui ne semblaient pas plus que cela avoir le "trac": maîtrisent-ils déjà si bien ce langage pour y être aussi à l'aise?

samedi 7 octobre 2017

"Jeunes talents, académie de composition" à Musica, opus N° Deux! La boutique fantasque du son !

Dernière ligne droite pour ce carrefour international, académie "ressource" de jeunes talents émergents.
Et en prime, le privilège de pouvoir relire et retoucher sa copie, le compositeur étant ici considéré comme son "premier critique"! Des partitions "ré-écrites" in extremis, à livrer aux interprètes, jouant le jeu périlleux des retouches et réajustements sur mesure: de la haute couture pour ces "camarades" en bonne compagnie! (cum panis: partager le pain)
Second et dernier concert donc,  consacré aux jeunes compositeurs ayant étudié, deux semaines durant, auprès de Philippe Hurel et Daniel D’Adamo dans le cadre de l’Académie de composition Philippe Manoury – Festival Musica. L’ensemble L’Instant Donné, invité à Musica en 2015 pour un concert très original mêlant musique et jonglage, y crée cinq nouveaux quintettes pour clarinette, violon, violoncelle, percussions et piano
Le duo d'enseignants, ceux qui "inter-ligere" le tout pour ouvrir le bal et rappeler la règle du jeu...La preuve ici par 10 minutes, format pourtant non imposé!
"Feigned transcucency of wavering bodies" de Danniel Ribeiro s'ouvre avec des frottis, des souffles, des sons étranges, d'objets, matières et instruments exploités pour leur texture et facture résonante. Une expérimentation ludique et et savante, crée des bruitages en catalogue raisonné, exhaustif tant il semble riche réfléchi. Des gargarismes pour la clarinette, des sons effleurés de percussions étonnants, des "ratures" et crissements pour les cordes. Tous les sens de l'écoute et du regard sont sollicités et convoqués. Comme un petit peuple de zombies monstrueux qui balbutient, hésitent, testent leur entourage et l'univers des sons.Avec gourmandise et audace, désir et satisfaction Comme dans une maison hantée, parcourue par des bruits non identifiés mais bien présents, inquiétants!Ambiance garantie et bien campée, suspens, humour des situations cocasses vécues physiquement par les musiciens, engagés de tout leur corps dans l'édification de cette architecture sonore fragile et subtile. Pouponnière et neurcerie qui pépie, anone pour ces sons qui naissent grandissent, croissent et se multiplient, s'essayent, puis se risquent dans le vaste monde.Plus d'audaces encore après ces premiers pas: ça tient debout comme un bel édifice musical qui s'affirme: du papier plissé, quelques cordes du piano pincées pour réanimer au final tous ces fantômes, spectres, habitants de cette composition inspirée.

""Pulse of Life" de Chih-Lang Lin démarre par les sons du piano martelé, les instruments "maltraités", explorés, disséqués, leçon d'anatomie comparée pour toutes matières et formes , dans leurs entrailles. En sourdent des sons singuliers, hétéroclites, éclectiques, comme ceux d'un piano griffé au peigne fin .Des bruitages en chorus pour un joyeux bazar.Un solo de percussions, virtuose, des mugissements de clarinette, un râle de violon: c'est la vie organique des instruments qui pulsent, palpitent...Un retour rapide à un usage plus orthodoxe et sage nous révèle toute l'audace de l'exécution précédente! Une petite cuisine savante avec ingrédients sonores inouïs, le tout très gestuel: un verre caressé, un bol frôlé en spirale toujours. Un archet sur du polystyrène: une vraie boite à joujou remplis d'objets rares non identifiés, un attirail diabolique, panoplie de son, garde-robe pour musique incongrue et innovante!

"Introduction et diapo" de Mael Bailly succède, pour "regarder" la musique, ses sources, les origines des sons
Le percussionniste s'installe au piano, décortique l'exo-squelette intra muros de l'animal-instrument: ça gratte, ça chatouille les oreilles: ici, on invente et touille le son, le "sot l'y laisse", l'Arlequin et la "Ratatouille", les meilleures recettes du hasard et de l'inventivité s'y font plat de résistance goûteux.Du calme et de la volupté, une musique de boudoir intimiste, des petites touches de tout, en vrai touche à tout! Très inspiré par la mémoire et le passé, nostalgique, la pièce est émouvante, sensible.Chacun y respecte l'intervention de l'autre dans un univers feutré, discret, mystérieux: une boutique fantasque d'objets sonores, un magasin de curiosités inédit.

"Widerklang" de Selim Goncu commence par un grand vacarme ébouriffant, fatras et désordre à l'appui. Pour engendrer un calme, repos alangui salvateur. La reprise du tumulte assourdissant rebondit, tonique, dynamique.Le piano résonnant d'applications des doigts, juste sur ses touches. Comme l'avancée d'une machinerie sonore inéluctable, en sons épatants, burlesques, en marche et très "gestuels",une vraie BD, avec des icônes pour engendre des paysages sonores foudroyants.

"Parallel Lives" de Alberto Carretero termine ce concert inégalé par l'exploration des instruments, comme objets
premiers de fabrique du son.C'est un tuyau autour du cou qu’apparaît le percussionniste: c'est tout dire de cet orfèvre, bijoutier du frisson, orpailleur de sons avec cette parure de gala!
Un vrai cabinet de curiosités sonores pour sons polissons, frissons, émotions.
Joyeux mélange, mixture triturée avec des alliances, successions de traitements des masses sonores d'après les matériaux instrumentaux.Les sources ne se distinguent plus, dans une belle confusion: instruments clownesques de percussions à l'appui!
 Dans une inventivité extrême, subtile, tout est pré-texte pour des choix judicieux de provenance des sons. Piano et percussions en t^te de gondole. Foire fouille débonnaire des tonalités, inventaire et exposition, monstration du son comme credo, c'est une mise en scène très visuelle qui offre pluie de graines qui éclatent au soleil en épilogue!

Un lauréat pour cette Académie 2017: Antonio Tules avec son "Temps libre" qui sera bien rempli et occupé ces prochains temps!