lundi 11 décembre 2017

"Traversées: carrières, genre, circulations": un colloque édifiant au Festival de Danse de Cannes 2017: "circulez, il y a tout à voir"!


Organisé par le Centre Transdisciplinaire d’Epistémologie de la Littérature et des Arts Vivants en partenariat avec l’Unité de Recherche Migrations et Sociétés, l'Université Nice Sophia Antipolis, l’UFR LASH Lettres, Arts et Sciences Humaines - Département des Arts - Section Danse, le Centre National de la Danse et le Festival de Danse de Cannes. 

Comment se construit une carrière artistique dans le secteur chorégraphique au regard des processus circulatoires et des dynamiques de genre ? Comment les mobilités artistiques sont pensées et vécues différemment selon les sexes ? Quelle place tiennent-elles dans la construction des identités professionnelles ? Comment les circulations modifient les gestes et les imaginaires du corps ? Réunissant chercheurs et artistes, le colloque Traversées engage la discussion ! 

Renversant, comme l'affiche du festival, à saute frontières, en équilibre déséquilibre permanent! Traversé de témoignages touchants, de performances dansées, de propositions réflexives très stimulantes, ce "colloque", ces "assises" de la danse furent un régal pour tous ceux qui purent y participer
Sous la houlette de Marina Mordera et Sarah Andrieu, une réussite à pointer
Avec la participation de doctorantes, d'artistes chorégraphiques, de chercheurs, ce colloque fut un creuset d'informations, de réflexion, de rencontres sous le signe de l'écoute chaleureuse, et de la convivialité!
En ouverture un fameux et historique dialogue entre deux femmes "manager" de leur vie et carrière en symbiose avec la profession et le métier de danseur, toutes deux impliquées et militantes, artistes et désormais directrices d'entreprise artistique atypiques, tel le CND de Pantin, et le Festival de Danse de Cannes, on nomme Mathilde Monnier et Brigitte Lefèvre.Complices et semblables dans la complexité de leur "tache" et "destin" croisé: servir la danse, le corps historique d'un art majeur désormais reconnu mais toujours en quête d'identité singulière et plurielle!
Construire une autre histoire de la Danse par les corps et les émotions, telle de démarche pugnace de Laure Guilbert et de bien d'autres femmes -hélas peu d'hommes dans la bataille- tel fut le propos majeur de cette édition focalisée sur le genre, les circulations des danseurs, des compagnies, des "genres" de danse ou de sexualité, liés à l'existence et la pratique de l'art du corps pensant.
Interventions remarquées de Adeline Maxwell sur Carmen Beuchat, de Layla Zami et Oxana Chi à propos de Tatjana Barbakoff, la performance sous forme de sketch de Ghislaine Gau et le film présenté par Laurent Barré à partir des motifs de la Bayadère!
Passionnantes rencontres, fertiles et troublantes, riches d'enseignement, de méthodologie pertinente, scrupuleuse et exigeante!
On en redemande!

"Don Quichotte" par le ballet National Sodre d'Uruguay au Festival de Danse de Cannes

Que viva Don Quichotte!
Soirée d'ouverture prestigieuse et symbolique, au Théâtre Debussy avec un "Don Quichotte" qui fera date par les ovations du public, conquis par une oeuvre de répertoire, tonifiée par une troupe galvanisée, sensible et habitée
 par Fondé en 1935, le Corps de Ballet du SODRE (Servico Oficial de Difusión, Radiotelevisión y Espectáculos), un équivalent de notre ORTF, est alors l’une des plus prestigieuses troupes d’Amérique du Sud. Après avoir connu une période de déclin à la suite d’un incendie dans les années 70, il renaît de ses cendres grâce à l’étoile internationale Julio Bocca qui en assure la direction depuis 2010. Rebaptisé BNS|Ballet Nacional Sodre, le danseur étoile lui donne un nouveau souffle.
Pour leur toute première venue en France, la compagnie nationale d’Uruguay offre une version exclusive du ballet Don Quichotte, revisitée par les chorégraphes argentins Silvia Bazilis et Raúl Candal. Ce ballet classique haut en couleur permet aux étoiles de briller de tous leurs feux dans des pas de deux virtuoses aux accents espagnols et des ensembles féériques remplis d’humour et de bonne humeur. Cette version qui met en valeur, outre Kitri et Basile, le Chevalier à la Triste figure, développe une technique hors pair, digne de son directeur, Julio Bocca, qui fut le meilleur et le plus brillant Basile de son époque.
Deux heures durant, c'est un feu d'artifice de pas virtuoses, de gaieté, de pantomime enjouée , d'interprétation fine et subtile des artistes de la compagnie. Sur une musique de Minkus, la chorégraphie multiplie solo, adage et composition pour ensembles, bien menés. De la verve et beaucoup de talents au service d'une histoire rocambolesque, chevaleresque et picaresque en diable.
Décors et costumes hispanisants, couleurs chatoyantes et vives, robes aux volants comme des lèvres de poulpes agités....Un panel de théâtralité rondement menée. On remarque l'interprète fétiche de Kitri, Maria Riccetto, ballerine aux pieds légers, enthousiaste et rayonnante, gracieuse, divine danseuse classique.

"Yama": Damien Jalet et le Scottish Dance Theatre: une vision "siphonnée" du monde.

Des créatures mythologiques ensorcelantes dans une impressionnante scénographie et une chorégraphie hypnotique au Festival de Danse de Cannes 2017
Dans une impressionnante scénographie du plasticien Jim Hodges et sur une musique sombre et claustrophobe de la Winter Family, YAMA explore les récits mythologiques relatifs aux montagnes. Le Belge Damien Jalet signe une chorégraphie hypnotique inspirée par les rituels païens et animistes des montagnes de Tohoku, au Japon. Jalet a déjà réalisé des productions avec Akram Khan, Sidi Larbi Cherkaoui (avec qui il a remporté en 2011 le Laurence Olivier Award pour Babel) ou encore Marina Abramovic (une interprétation du Boléro pour le Ballet de l’Opéra de Paris). Le Scottish Dance Theatre est la compagnie de danse contemporaine la plus connue d’Écosse, placée sous la direction artistique de Fleur Darkin. Cette compagnie réalise chaque fois des créations osées et passe régulièrement commande à des chorégraphes de renommée internationale, comme Jo Strømgren, Anton Lachky et Victor Quijada – débouchant systématiquement sur des productions osées grâce à une équipe dévouée d’excellents danseurs. 
Surprise que l'apparition de créatures issues d'un geyser, cratère de volcan, ou termitière géante, pulsant aux sons d'une musique magnétique! Sortis d'une matrice, accouchant de créatures inouïes, des corps mêlés, anonymes figurent des architectures et formes inconnues, fascinantes, énigmatiques.
Un corps se hisse d'une béance, origine du monde, matrice nourricière, suivi des mouvements telluriques et volcaniques d'êtres singuliers, hybrides, monstrueux. Créatures asexuées, sculptées par la lumière. Telles des esprits incarnés se mouvant dans une nudité apparente, lisse.Masse compacte de corps mêlés, entrelacés, solidaires Véritable vision onirique à la Jérôme Bosch, d'un enfer ou paradis...Chevelures blondes de harpies en furie, s'ébrouant en rythme frénétique, hallucinants. Scandant un rythme infernal de spirales et tourbillons échevelés. On songe à des vermisseaux, éclos, évoluant de façon très organique. Un univers visionnaire inspiré des voyages au Japon de Damien Jalet! Extases et transes de mouvements frénétiques, répétés dans des costumes à ramage et extensions multiples; ce forme un amas singulier de corps agités de tissus noir et blanc zébrés,en bandes débridées. Rêve et cauchemar très visuel, danse plasticienne, icônes de danse de sorcière à la Wigmann, totem et alignement de corps non identifiables, sans égo, ni sexe repérable!
Expulsion, pulsion, fusion de scories en ébullition, lumineuses et organiques sur un plateau, espace réduit, lieu à bascule improbable, arène extrême des possibles pour des interprètes rompus à la virtuosité du déséquilibre!Tel un siphon aspirant les corps un par un, la matière reprend ses enfants, comme chez Anish Kapor ou Charles Fréger,facteurs et  témoins de cette sauvagerie dans l'art d'aujourd'hui Un spectacle comme une palpitation exaltante des formes animées par un bestiaire fantastique digne des plus belles légendes nippones.Très inspirée, cette danse enivrante, bachique, rituel votif endiablé, construite dans un espace restreint,se délivre, compactée pour un impact solide, vivant, incandescent, éruptif. Lumières et matières explorées pour un voyage nippon, une intrusion remarquable au pays de la spiritualité incarnée, païenne de toute beauté!
Damien Jalet passe et transmet sa fébrilité, sa "futilité" frémissante et contagieuse aux danseurs d'un ballet singulier, ouvert à tous les possibles. Animisme et culte dansé qui fera date dans le courant de l'Art, plastique et éphémère de la création contemporaine.