mardi 12 octobre 2021

"Hilda": une marchandise à tout prix! Technicienne d'une surface de réparation irrévocable !

 


Madame Lemarchand, bourgeoise d’une ville de province, convoque Frank Meyer, ouvrier précaire travaillant au noir. Elle veut recruter sa jeune épouse, prénommée Hilda, pour faire le ménage, s’occuper de ses enfants, et lui tenir compagnie. Marie NDiaye compose un drame effroyable de la domination à la mécanique vampirique implacable, dans laquelle Madame Lemarchand, insatiable, est poussée à demander toujours plus à Hilda. Quelles seront les armes de résistance ? Élisabeth Chailloux met en scène la pièce avec l’actrice et cantatrice Natalie Dessay : une langue concrète, musicale et envoûtante, œuvrant au décalage étrange avec le réel.

Décor sobre, intérieur sur fond de panneaux mobiles opaques: un fauteuil club, une femme assise en robe rouge sur le plateau...Et tout démarre à fond de cale: cette femme c'est la future"patronne" d'une femme de service embauchée par "une maitresse de gauche", à tout prix! Etrange transaction humaine sur fond d'humanisme bourgeois caricatural à souhait. Patronne et "matrone", Natalie Dessay excellence dans ce phrasé loquace, volubile, tranchant d'autoritarisme, de tyrannie féroce et perverse.Hilda sera ce fantôme, Arlésienne du propos qu'on ne verra jamais et qui hante les fantasmes d'une femme aux abois, quasi hystérique tant son pouvoir sur l'autre fait des ravages, soumet et asservit ses partenaires.Frank, Gauthier Baillot, en sera la proie,la victime soumise et débordée devant l'autorité malsaine et calculée de cet être redoutable et arriviste.Six séquences pour cette odyssée qui trahit et révèle l'hypocrisie autant que la haine de l'autre.Coup de cloche pour chaque chapitre et l'on tourne la page, le décor où vivent les deux protagonistes mute. L'argent est aussi le moteur de toutes ces transactions humaines où l'on ne peut racheter sa femme car on a éclusé le salaire avant le travail payé d'avance: les pièges se tendent devant Frank, ligoté, acculé à un triste sort de vaincu. Hilda est une chose, un objet de désir, "une petite danseuse de chair au fond du flacon" qu'on atteint en le brisant.Vampire insatiable, Natalie Dessay emballe et subjugue, agace et déçoit parfois tant le débit de sa voix et ses intonations demeurent linéaires et sans surprise ni contraste ou modulations...La mise en scène poussant à bout ce duo fébrile sur le qui vive et l'aridité d'un texte où la perversion se déploie au fur et à mesure crescendo, submergeante...Au final c'est la "patronne" qui se métamorphose en Hilda, celle qu'elle aurait voulu transformer à sa guise en femme de service domptée, éduquée, reniant ainsi son identité pour en faire l'objet de ces ambitions!

Marie NDiaye, autrice associée au TNS depuis 2015, a écrit une quinzaine de romans, dont La Vengeance m’appartient (Gallimard, 2021). Écrivant également pour le théâtre, elle a fait paraître récemment Royan. La professeure de français (Gallimard, 2020) et Berlin mon garçon suite à une commande de Stanislas Nordey (Gallimard, 2019). Élisabeth Chailloux, directrice artistique de la compagnie La Balance, a co-dirigé le Théâtre des Quartiers d’Ivry avec Adel Hakim de 1992 à 2019. Elle a notamment mis en scène des textes de Bernard-Marie Koltès, Philippe Minyana et Normand Chaurette.

7 oct au 17 oct 2021  au TNS

dimanche 10 octobre 2021

"3 works for 12": Alban Richard, Treize à la douzaine pour un "cirque"magnétique, une arène dangereuse!

 

photo agathe poupeney

Dans ce spectacle chorégraphique pour 12 danseur·se·s, Alban Richard se penche sur la musique minimaliste du milieu des années 1970, alors qu’elle influence de jeunes artistes qui choisissent d’en emprunter les architectures tout en s’attachant à d’autres modes de pensée et d’autres énergies. Là où Louis Andriessen substitue le chromatisme à la tonalité des premiers minimalistes, David Tudor établit un lien entre l’écriture répétitive et l’électronique musicale naissante en laissant libre cours à l’instabilité des processus. Quant à Brian Eno, il retient l’idée d’une écoute fusionnée avec son environnement et initie le courant ambient qui marquera durablement la pop et l’électro. 

centre chorégraphique national de Caen en Normandie

Programme musical
Louis Andriessen Hoketus (1976): c'est de façon frontale que nous abordons la grappe, la meute: en alternance les 12 danseurs alignés, de face, en canon et alternance, jouent à qui perd gagne en hauteur, décalage mécanique, avancées, reculés savamment calculés! Alban Richard nous fait son "Dance" à la Lucinda Childs, rigoureuse partition chorégraphique comptée aux entrées et sorties directionnelles, aux croisements impeccables, millimétrés au cordeau!C'est à couper le souffle et hypnotisant: les costumes, sport sophistiqué et très design-mode chamarrés. Des emboitements, puzzles acrobatiques dans la construction architectonique des ensembles, des échappées belles aussi pour libérer les corps, les projeter dans l'espace. Comme une horde, meute lâchée, maitrisée, vol d'oiseaux en bande d'étourneaux, nuées ou murmurations. Des marches communes, courses et voltes se tracent peu à peu, des solos se détachent, sauts et tours, hochements de têtes dans un rythme infernal tenu, incessant. Des tours à l'inverse des aiguilles d'une montre....Une performance qui se s'épuise jamais! Une petite pause aux vestiaires, à vue comme lors d'un match sportif pour respirer!



Brian Eno Fullness of Wind (Discreet Music, 1975)
: un beau quatuor de femmes, délicieuses créatures aux gestes fluides pour contraster avec la première pièce du programme.Très douce, dans une grande liberté apparente sur une musique détendue, lascive, quasi classique!


  David Tudor Pulsers (1976)

 Après une seconde pause, changement de costumes à vue pour métamorphoser les danseurs en athlètes performeurs "sportifs"! Costumes fluo, plein de couleurs, très seyants, évocateurs de compétition sportive, tous distincts et personnalisés.Déflagrations de solos en salves projetées, torsions des corps, spasmes de possédés, danse hystérique, ravageuse, très efficace! Comme autant de molécules, d’électrons libres, en profusions de propositions d'écriture gestuelle organisée et sur mesure.Quelques "poses-décors" pour figer des instants si précieux d'accalmie dans ce furieux groupe compacté par l'enthousiasme, galvanisé par la musique.Mécanique infernale des temps modernes, galops, tours de derviches, voltes, spirales à l'envi! On n'achève pas les danseurs, en chutes, rebonds, suspension, soulèvement constants.Une performance aérobique et athlétique remarquable tant la musicalité efface les travers de la "performance" pour la performance... Ces olympiades désorientent, déboussolent, les directions se fracassent sans se bousculer dans des couleurs vives, musicales autant que plastiques: des tableaux mouvants qui déconcertent, décalent dans une polychromie totale de sons et de mouvements vibratoires. Alban Richard, peintre d'une échappée belle irrésistible, tendue, volatile, futile, interprétée à la perfection minutée d'un ensemble hétérogène où l'identité demeure, l'altérité fait des uns et des autres des "soyez vous même" dans les touches et masses chorégraphiques denses et vertigineuses. Sur la piste, au chœur du stade ou dans l'arène rien ne s'épuise sur la surface de "réparation"!

conception, chorégraphie, lumière Alban Richard
assistants chorégraphiques Max Fossati, Daphné Mauger
interprètes Anthony Barreri, Constance Diard, Elsa Dumontel, Mélanie Giffard, Célia Gondol, Romual Kabore, Alice Lada, Zoé Lecorgne, Jérémy Martinez, Adrien Martins, Clémentine Maubon, Sakiko Oishi

régie son Denis Dupuis
son Vanessa Court
lumière Jérôme Houlès
costumes Fanny Brouste
réalisation costumes Yolène Guais
régie plateau Olivier Ingouf
conseillère en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé Nathalie Schulmann


samedi 9 octobre 2021 — 19h00
La Filature, Mulhouse

 

"Pink noise" Suzanne Ciani : une fresque sonore digitale, connectée! Des entrelacs synthétiques pour un tissu musical inoui!

 


Dès le début des années 1970, Suzanne Ciani préfigure l’avenir des musiques électroniques. En tant que compositrice et performeuse, l’Américaine explore les ressources des premiers synthétiseurs, en particulier les synthétiseurs modulaires Buchla dont elle deviendra une spécialiste. Mais c’est tout d’abord comme designer sonore qu’elle se fera connaître, produisant des sons iconiques du xxe siècle, tel l’emblème sonore de Coca Cola et sa cannette décapsulée. À l’instar de Pauline Oliveiros, Wendy Carlos et Éliane Radigue, elle fait partie d’une génération d’héroïnes de l’électro que l’on redécouvre peu à peu aujourd’hui, alors que l’histoire de la musique se décline au féminin. 

C'est dans une atmosphère aquatique de remous colorés, de marée, de flux et reflux que l'on baigne en préambule du concert dans la nef des Dominicains. Sur un écran frontal seront projetées durant toute la performance, les images capturées en direct de cette pilote hors pair aux commandes des consoles, circuits connectés, synthétiseur, Suzanne Ciani en personne! Les câbles, fils, connections, prises comme autant de personnages à adopter, faire vivre et se brancher en inter-connection: un vivre ensemble digne d'un plat de spaghettis animés sur le "piano" de la cheffe cuisinière très inspirée, concentrée, vigilante et précise: des recettes pour faire surgir des univers sonores insoupçonnés: sons de marée haute se fracassant sur la falaise en pulsations éparses pendant qu'elle danse devant son établi "artisanal", créant des leitmotiv en boucles, agrémentés de sonorités synthétiques inouïes! Des sons qui tournoient dans l'espace en nappes et couches superposées: fusées, oiseaux pour créer un univers étrange et magnétique, cavernicole plein de zébrures tranchantes sur fond massif persistant. Couleurs, matières et densité à l'appui. Elle pianote, digitaline, en frange, lisière, bordures ou frises, en percussions, frappes, feux d’artifice ou salves dévastatrices!Du souffle aussi, des battements pour créer vie et mouvements, déplacements, frottements des sons volubiles de gamelons...Des éraflures aussi à l'oreille, du toucher.Sac et ressac, déferlement de vagues, mouettes rasant les falaises: autant de paysages sonores qui prennent corps et graphie dans l'espace grandiose des dominicains! Tumultes et turbulences au menu de ce concert unique en son genre où la rencontre avec l'artiste sur le plateau est rendue possible par la curiosité du public expert et la générosité en partage de l'artiste!

performance Suzanne Ciani

Le rendez-vous agrémentés par les installations "fait maison" par le centre de recherches audiovisuel des Dominicains: bain de jouvence en immersion ou recherche spatiale sous la coupole, de toute beauté et inventivité!

Ce rendez-vous s’inscrit dans le cadre des Nuits de la pleine lune au Couvent des Dominicains de Haute-Alsace. 

vendredi 8 octobre 2021 — 20h30
Les Dominicains de Haute-Alsace