jeudi 9 décembre 2021

"Quai Ouest" : Fak'e news ! Hangar de la peur et du rachat des corps étrangers.

 


Koltès situe l’action de la pièce dans une zone portuaire abandonnée. Un administrateur de biens, Koch, conduit en Jaguar par sa secrétaire Monique, choisit cet endroit pour mourir. Il se jette à l’eau, mais le voilà aussitôt repêché par Abad, être silencieux et secret. Dans ce lieu en marge de la société, Koch et Monique se retrouvent exposés à des individus déclassé·e·s, étranges êtres de la pénombre : Charles, sa sœur Claire, leurs parents Rodolphe et Cécile, et un certain Fak. Cette pièce interroge les rapports sociaux, le désir (de reconnaissance) et le devenir - adulte. Ludovic Lagarde, rompu aux écritures contemporaines, propose d’explorer le continent koltésien d’une langue dense et raffinée qui sonne comme une tragédie de la mondialisation et du déracinement.

Le décor est planté, sombre, hostile: deux hangars , murs noirs et lisses justes ajourés de fenêtres aux bords carrés qui laissent filtrer un peu de lumière...Des hommes en seront les habitants, errant au gré de l'onde, de l'ombre, jouant au yoyo, ce jouet qui laisse de l'espace et du temps à celui qui en joue....Jungle où échoue Maurice, Laurent Poitrenaux, méconnaissable instrument déchu d'une société bourgeoise. Voeux d'en finir avec son sort pathétique, longue gabardine pour futur linceul.Monique le rejoint, elle aussi en perdition, victime d'un sentiment de peur extrême...Tailleur seyant moulant son corps, c'est Christèle Tual qui s'y colle et confirme la solitude et le désarroi social. Ici tout s'achète semble croire nos deux anti-héros: le danger à quel prix l'acheter pour en sortir: espèces, carte bleue, montre pour appâter un autre monde qui feinte d'ignorer ou mépriser ces façons de faire "illégales" et trompeuses. Ici toute une population se rejoint pour conjurer le sort d'une vie décousue et morbide, pourtant tissée de liens familiaux ou d'appartenance rassurante à une même classe sociale. L'atmosphère est "glauque" et prenante, tendue, soutenue par une scénographie d'enfermement , jusqu'à ce volet de garage en ferraille qui occulte espace et promesse de fuite, d'ouverture...Seule la mer en images grand écran sera espoir et perspective: mais autant de calme que de menaces. Sirènes de bateau, éclats de salves, tempête et pluie battante pour cette météo du désastre qui prend aux tripes et galvanise ce petit peuple errant, malmené, tanguant au gré des mots, des aveux. Le texte est d'emblée palpitant et édifiant, musical comme structuré d'alexandrins à pieds versatiles et incertains.Prose cependant qui tient et soutient des personnages fragiles mais humains, sordides ou solidaires, odieux, agaçants autant qu'attendrissants...Quai Ouest au départ d'un voyage impossible, escale d'un cabotage qui mène droit dans l'obstacle de l'incommunication...Si boire du café fait grandir et se prendre pour un adulte, alors tout est simple et facile. Et nos héros de méditer à bras le corps,celui de la "marge", des exclus de ce monde naissant de la finance et de ses abus sociaux économiques.Voyou ou trader, ils sont promus , promis à la fatalité d'un monde en marche qui les oublie et les laisse sur le pavé: sordide et implacable portrait d'une société décatie, déchéante. La pièce est forte, sensible, l'empathie avec cette population hybride ne cesse de grandir tout au long de son déroulement, captivant, obscur, saisissant...On s'y jette à l'eau avec ou sans espoir de repêchage !


Révélé par Patrice Chéreau dans les années 1980, mort du sida en 1989, considéré comme un auteur classique, Bernard-Marie Koltès laisse une œuvre publiée aux Éditions de Minuit, traduite et montée dans le monde entier. Ancien directeur de La Comédie de Reims (2009-2018), Ludovic Lagarde dirige aujourd’hui la compagnie Seconde nature. Il a présenté au TNS Providence et Le Colonel des Zouaves, textes d’Olivier Cadiot, incarnés par Laurent Poitrenaux, acteur associé au TNS.

Au TNS jusqu'au 16 Décembre

dimanche 5 décembre 2021

Sol' Air ! Vertige de la lumière en apesanteur: Strasbourg, capitale d'une énergie solaire, plexus offert à la vie !

 


🕯🌟La tradition veut qu'une bougie de l'Avent soit allumée les 4 dimanches précédant Noël. Venez-vous laisser porter par la magie de Noel et profiter de ce moment chaleureux en découvrant chaque samedi un nouveau spectacle qui fera la part belle à la lumière.
 

 
Sol'Air
・Compagnie MOTUS MODULE
・Compagnie LA SALAMANDRE
Animation artistique, lumineuse, incandescente et précieuse!
« Ces artistes du feu et de l’air se donnent rendez-vous entre ciel et terre pour un dialogue de danses rituelles et de ballets en apesanteur. Il est question de femmes et d’hommes, de leurs désirs, de leur contradiction, des détours où les élans se portent, de toutes les facettes de l’amour, de l’attraction à la transcendance ».
Magnifique prestation aérienne, circassienne dans l'éther d'une nuit de décembre peuplée d'étoiles traçant un chemin lumineux le long des berges de l'Ill à Strasbourg.Magie des transports aériens nimbés de reflets dans les eaux du barrage: on frémit, on tremble aussi face à ce risque, ce danger potentiel assumé par les artistes des deux compagnies en suspension, en équilibre-déséquilibre constant au dessus de nous.Une lune grandeur nature, axe de curiosité de deux vélo-cyclistes de la nuit.Un couple suspendu à un fil qui tangue et oscille dans la lumière éclatante.C'est beau et onirique, captivant, tenant en haleine et en apnée un public chaleureux, surpris et enchanté! Instants de rêverie en suspension dans nos imaginaires galvanisés par ce vent de folie et de poésie constantes. Loin du sol mais pas du coeur, au bord des étoiles, caressant l'air, fendant l'atmosphère de leurs gymnopédies gracieuses et instables.
La compagnie Motus-Module initiée par Brigitte Morel développe ici son travail de recherche sur tous les possibles de la danse en apesanteur, d’inventer de grand modules aériens, de créer un langage chorégraphique entre terre et ciel ou tout espace est sujet de dialogue.

La compagnie est composée d’artistes danseurs-chorégraphes ou techniciens rencontrés au fil des années et des aventures professionnelles, les genres artistiques et les modes d’expressions sont mis à profit par cette équipe de créateurs, dont l’adaptabilité aux différents événements, aux différents espaces urbains, aux différents sujets traités est leur atout, leur force.

Au départ au Square Louise Weiss et spectacle sur le barrage Vauban le dimanche 5 Décembre 18H

vendredi 3 décembre 2021

"Lueur boréale":immersion dans le grand nord, boussole au diapason !


Alexandre Taraud fait ses "aurores boréales" ! 

 Des étendues enneigées et des sonorités folkloriques évoquant le halling, une danse populaire norvégienne : le Concerto pour piano écrit par un Grieg de 25 ans est nimbé de la lumière du grand Nord. Cette page n’en possède pas moins des accents romantiques schumanniens, installant un lien avec l’ouverture d’Hermann et Dorothea où retentit une reconnaissable Marseillaise ! Elle entretient aussi un dialogue avec une autre partition de jeunesse : l’impétueuse Symphonie n°1 de Sibelius. Si l’œuvre est à la croisée des chemins, possédant des influences venues de Bruckner, Dvořák, Borodine et surtout Tchaïkovski, l’art éminemment singulier et subtil du compositeur finlandais y est déjà perceptible. 

Schumann "Ouverture de Hermann et Dorothea"

 Aux accents de la Marseillaise, voici une oeuvre puissante en vagues successives, tout en souplesse et nuances.Emphase et puissance de flux pour un thème repris du célèbre chant révolutionnaire, par fragment et mesure, faisant de cette "modeste" mélodie, une symphonie colorée et changeante, comme un leitmotiv en retour, chargé de modifications savantes.Une adaptation" qui s'envole vers la fantaisie rigoureuse, des envolées, transports ascensionnels ou sensible et lente évocation alerte d'une mémoire vivante. 

Grieg "Concerto pour piano en la mineur"

 Œuvre au succès jamais démenti, le Concerto de Grieg fut composé en 1868 par un jeune homme de 25 ans. Virtuose et lyrique, il est conçu dans un style austrogermanique, mais incorpore aussi des éléments de folklore norvégien. On explore l’identité multiple et les caractéristiques de cette partition fascinante, plus mystérieuse qu’il y paraît.

C'est Alexandre Tharaud qui s'en empare, nerveux, efficace dans la célèbre introduction: l'osmose entre piano et orchestre se construit vaillamment dans des phrasés altiers, nobles et très élégant. Comme le jeu du pianiste, doigts déployés et vrillés, plexus offert en fin de phrase à l'adresse de l'orchestre, retiré des bras et recul pour mieux embrasser la musique.Frémissement des cordes, lente introduction du piano en préambule, caresse et coups de pattes félins sur le clavier, pelote et pulpe des doigts au travail, c'est un régal de voir jouer ce démiurge pianiste...Des paysages aériens se détachent de la partition, étendues, enveloppantes face aux soli virtuoses du piano: la grâce incarnée! Vibrations et scintillement de la composition où l'intrusion des cordes immergées donnent naissance à une rencontre mystérieuse entre tous les pupitres.On reste immergés, submergés dans ce premier mouvement allègre. Puis comme pour un choeur vocal, les étirements des cordes chantent, créent un immense espace sonore, étiré, plan, horizontal.Plus bondissant par la suite par l'amplification des volumes sonores, un effet de puissante, une masse sonore nait, nuancée, modulée faisant place à une chevauchée sonore relayée par chacun des pupitres.Méandres enroulés, serpentant, fluide vers l'estuaire de la composition.Suspens et montée en puissance retiennent leur souffle et le notre, comme une danse indolente pianistique, la présence de Tharaud se fait indispensable autant qu'invisible.Une signature gestuelle toujours comme figure de proue d'une gestuelle singulière, fascinante....Un épilogue fameux pour conclure et refermer cette oeuvre magnifique écriture enivrante.On ne pas pas quitter le maestro du piano comme cela: à deux reprises, il nous rejoint, seul pour exécuter un solo vertigineux, beau joueur, puis la version pianistique de la danse des sauvages des Indes Galantes de Rameau: élégance baroque enjouée, sauvage et épurée: un régal généreux, partagé et une ovation pour l'artiste! 

Sibelius "Symphonie n°1 en mi mineur"

 Clarinette en solo et grosse caisse pour introduction, pour ouverture à une atmosphère rare et secrète, intime qui ne durera pas!La globalité de l'orchestre enchaine après un silence radieux: vagues et valse hispanisante ponctuées de tourbillons, spirales ascendantes, envolées sonores.La discrétion de la harpe réussissant à enrober les cordes pour un voyage à vive allure, symphonique.Galop, chevauchée directe, droite, cap au port;en précipitations fulgurantes. Initiatrices de surprises et rebonds multiples: évoquant le flux et le reflux marin, ondes qui se répandent soutenues par l'énergie de la direction du chef d'orchestre Aziz Shokhakimov.Rapidité et vitesse hallucinantes comme apogée, au zénith de la composition.Dans cette ère de jeu aérienne, quasi hispanisante, des envolées gaies et joyeuses donnent le ton et l'atmosphère.Un ciel qui se recouvre, menaçant aussi dans un suspens grandissant!Les flûtes traversières comme relais, les cordes en tuilage judicieux, discret pour faire avancer rythme et cadences.Des bribes de harpe dans ce magma intense surgissent, des éclats et jaillissements sonres donnent le ton et l'envergure de l'oeuvre gigantesque fresque sonore.Des bourdonnements sourds de la grosse caisse dessinent un paysage cinématographique sur grand écran à 360° ! 

Et l'on clôt la soirée en bis, par "La valse lente" de Sibélius, histoire de calmer l'ambiance et de rêver à des transports légers pour se rendre dans la nuit aux lueurs boréales.... 

Vendredi 3 décembre, à l'issue du concert Lueur boréale Salle de répétition, Palais de la Musique et des Congrès une expérience originale propice à la rêverie a été proposée à l'issue du concert.. Elle a rassemblé autour d'Alexandre Tharaud le directeur musical et artistique de l'Orchestre Aziz Shokhakimov, le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, le comédien Gilles Privat ainsi que Salomé Mokdad, harpe solo de l'Orchestre. Plongés dans une quasi obscurité, les spectateurs ont été  conviés à un moment méditatif et poétique dans un cadre intimiste. 

frantisek zvardon aurores boréales