mardi 22 février 2022

"Alice", délices au pays des merveilleux.....


 Au début des années 1860, Lewis Carroll imaginait pour divertir la petite Alice Liddell un monde merveilleux et bien étrange, où le bon sens est illogique, les chats sont nihilistes, les chapeliers fous, les vers à soie opiomanes et les cartes à jouer des soldats aux ordres d’une reine de coeur tyrannique. Mises par écrit en 1865, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, suivies en 1871 par De l’autre côté du miroir, sont un immense succès populaire. Rapidement, tous les écoliers britanniques et leurs parents connaissent les incroyables péripéties vécues par la jeune Alice qui, pour tromper l’ennui d’un après-midi d’été, suit jusque dans son terrier un lapin blanc très pressé, affublé d’une redingote et d’une montre à gousset. De Walt Disney jusqu’à Tim Burton, nombre d’artistes de toutes les disciplines ont puisé dans cet imaginaire foisonnant et sans limite.
Sur une nouvelle partition de Philip Glass, compositeur majeur du minimalisme américain, les chorégraphes Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn réinventent et s’approprient l’univers fantasmagorique imaginé par Lewis Carroll. Affranchis de la narration de l’histoire originelle, les danseurs du Ballet de l’OnR incarnent une nouvelle galerie de créatures et de personnages contemporains autour de l’actrice Sunnyi Melles.

Et de constater que le "merveilleux" opère toujours avec brio et succès, adhésion du public et des interprètes. Chose peu évidente de nos jours délicats ou "croire" ou ne pas "croire" ne se conjugue plus que par bribe et dans la confidentialité. Ici, au grand jour, le fantastique se dévoile sans pudeur, d'emblée au démarrage quand un lapin sort d'un piano et s'y réfugie affublé d'une cantatrice démoniaque. C'est beau et donne le ton de cet opéra ballet hybride et surprenant, aux entrées multiples. Des portes coulissantes pour paravent mobiles....Valse et suspension d'objets comme des sylphides d'origine suspendues aux cintres. Mais ici ce sont des portés fluorescents qui font leurre et artefacts. Effet créé de toute pièce, illusion d'apesanteur, de vitesse, de rémanence très réussi.Alice se glisse sur scène, légère apparition furtive, très mobile, volubile, aux pieds légers, tournoyants: belle perspective sur l'urgence, la rapidité, forme esthétique aussi très réussie. Une danseuse sur pointe, à barbe, un lapin agile, des personnages nombreux en groupe pour des unissons perceptibles en masse de couleurs, de formes .Valse et tourbillon de fleurs en corolles et sépales blanches, vertes comme un parterre tournoyant de tiges animées...Les références sont nombreuses et jouent sur des univers chatoyants, reflets d'une culture dense et riche sur nos mythes environnants de notre mémoire visuelle. 


Alice, c'est un opus non genré, unique, cocasse et poétique où la fantaisie est reine et portée par la musique de Phil Glass, piano en verve et en poupe pour cette oeuvre curieuse et non identifiable. Une lune, une maison hantée de souvenirs et de personnages surgissant de nulle part pour nous emporter très loin au pays du merveilleux: pour ceux bien sur qui se laisseraient encore docilement  émerveiller, sans prise ni frein à leur imagination.

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 24 Février 

Musique Philip Glass Chorégraphie, dramaturgie Amir Hosseinpour, Jonathan Lunn Direction musicale Karen Kamensek Scénographie, costumes Anne Marie Legenstein Lumières Fabrice Kebour Video Design et animation des peintures David Haneke Peintures Robert Israel CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse

 

"Jezebel" : l'or noir !

 


JEZEBEL
de Cherish Menzo

Danseuse et chorégraphe néerlandaise, Cherish Menzo dénonce l’hypersexualisation des femmes dans les clips de rap et hip-hop des années 90 à travers une réappropriation du mythe biblique de Jézabel, femme séductrice, tyrannique et malfaisante. Captivante, l’artiste dynamite les stéréotypes et les fantasmes et déconstruit les codes de l’imagerie associée aux « Vidéos Vixens ».

C'est une bicyclette dorée qui s'approprie l'espace, lentement mue par un corps à couvert, méconnaissable être hybride, dissimulé sous une peau de bête étrange..Longs ongles, griffes démoniaques au poing!Vision originale et prenante que cette fourrure masquée, inquiétante.Corps transformé, idéalisé sur la scène du show biznes ou du clip vidéo, la femme apparait mythique objet de séduction, de désir fantasmé: de surcroit noire et belle comme ces canons infligés par la société mercantile. Danse de luette et de langue profonde en vidéo caméra direct font effet de choc, érotique à souhait...Ce solo emblématique d'une recherche visuelle sur la condition féminine est danse et mouvement très sensible, à fleur de peau, dénudant les tabous et les réflexes conditionnés de nos regards formatés par les médias.Belle prestation vécue, engagée à son corps défendant par la soliste, danseuse et chorégraphe, le temps d'un show rutilant de strass et paillettes, d'or et d'orpailleuse à la recherche de pépites sexualisées, et de poudre de perlimpinpin hypnotique!

Au Carreau du Temple à l'occasion du festival Everybody le 17 Février

"I'm a bruja": sorcières, je vous aime !

 


I'm a bruja
d'Annabel Guérédrat

Chorégraphe martiniquaise, Annabel Guérédrat signe des performances toujours empreintes d’une profonde réflexion sur le monde et sur la condition féminine en particulier. Seule en scène et nue, l’artiste revêt une à une cinq peaux de brujas, sorcières afro-caribéennes, correspondant à cinq tableaux successifs qui s’entremêlent à mesure de la performance.

Et ça opère dès la première seconde : femme et offerte au regard, nue et crue, décemment habitée de lumière et de justesse, ce solo est vêtu de radicalité, de pudeur et d'engagement. Sorcières multiples et variées aux caractères changeants se lovent et se meuvent à l'envi, se déplacent, bougent et concentrent un univers étrange, magnétique et unique.Femme et esprit malin en sorcière, évoquant Mary Wigman et sa danse tapageuse et cruelle, la voici plongée dans son antre et sa caverne intime pour mieux rayonner à nos yeux rivés sur son corps.Torsion du buste, des cheveux qui se livrent, se délivrent d'une touffe massive pour mieux se nouer, se contenir.Décors changeants selon les situations: cercle magique ou néons virulents pour cerner son arène, son champ d'action.Elle s'affiche ostensiblement dans sa vérité et puise aux tréfonds de sa chair exposée pour notre réflexion, plaisir et dégustation de l'interdit, du profane, de l'étrange...Une belle performance dosée et mitonnée, mijotée comme un élixir de vie, de mort et de résurrection salvatrice. On ne brûle pas cette sorcière bien aimée aux multiples facette kaléidoscopiques !La danse comme potion magique et onguent liquide et huileux en dernière séquence très érotique Badigeon canaille et tentateur de multiples fantasmes enfouis et résurgents à l'occasion de cette performance très "osée" et pudique à la fois!

Au Carreau du Temple dans le cadre du festival Everybody !18 et 19  Février