mercredi 14 décembre 2022

"Smashed": pom pom show! A croquer comme fruit non défendu ! Un divertissement poétique très incorrect !

 


9 jongleurs, 80 pommes rouges, 4 services de vaisselle, interprété sur des chansons populaires de Tammy Wynette, du Music-Hall à Bach.


Cette pièce présente un mélange sensationnel de virtuosité, inspiré par le Tanztheatre de Pina Bausch. Une suite de tableaux vivants, vus comme des photographies anciennes rappelant les guerres, l’amour perdu, et le charme désuet du thé de l’après-midi.


Dans Smashed, l’utilisation des pommes comme accessoire de jonglage n’est pas anodine. En effet, la manipulation du fruit défendu propose un regard sagace sur les relations tendues entre sept hommes et deux femmes, écorchant gentiment le jonglage traditionnel et le cirque contemporain.

Ce travail drôle, inventif et original est comparé à de la danse théâtrale et remet en cause la perception du jonglage contemporain.

Le plateau s'anime avec une joyeuse bande de lords anglais très clean sur eux, simulant des gestes nobles, sauf que ce sont des pommes qui animent le moteur de leurs mouvements et que c'est ce petit détail qui tue! A la façon Pina Bausch dans son défilé de Kontakof , les voici répétant à l'envi avec petits sourires malins en coin, des tours de magie dans leur espace collectif.Des pommes-tétons, des pommes à terre, en l'air et tout bascule dans une douce dérision, suggérée. Pas de caricature de la grande dame de Wuppertal, mais un échantillon des capacités d'inventivité en inventaire à la Prévert. Sans mot, sans verbe...Des musiques d'antan, désuètes à souhait soulignent et révèlent la tendance à sourire de us et coutumes, des moeurs d'une micro-société ludique, un tantinet perverse et sagace sous les angles...Des dessus de table féminin pour satisfaire aux désirs des hommes, des portés pour mieux s'étreindre, des jeux de rôle, des jeux de pommes pour illuminer la scène . Les deux femmes, malines, mutines se font entourer comme dans "Les Louves et Pandora" de Jean Claude Gallotta, consentantes ou pas, esclaves . Là le bas blesse pour les féministes !Toujours en marche, en action, la grappe de comédiens avance, recule, en danse chorale, à l'unisson ou en individuelle parade. Un grand escogriffe en costume cravate comme ses semblables, joue à la star de la balle rebond, tel un Jacques Tati, Chaplin ou plus proche de nous Christophe Salengro, l'égérie de Philippe Decouflé. C'est drôle, décalé, fripon, coquin La danse chorégraphiée ici pour les besoins de la réception de toutes ces pommes en l'air, est juste, sobre, parfois acrobatique avec des clins d’œil au hip-hop ou capoeira...à la danse contact ."Complètement paf, bourré, brisé" traduit le dictionnaire de ce "Smashed" signé du collectif Gandini Juggling", au service de smash aérien de compétition de tennis ou badminton...Avec pommes en mains!La balle est dans leur camp et ce verger prolixe se transforme en autant de lieux, endroits hétéroclites singuliers.

Un divertissement intelligent, rythmé au cordeau plein de charme, de surprise, animé par une dramaturgie de cabaret, de jeux de jambes à la Mistinguett, music-hall où l'on reste incorruptible, imperturbable devant toutes sollicitations...érotiques, politiques, poétiques. C'est plein de verve, bien dosé comme un bon cidre acide, pétillant, bourru, délicieux, savoureux.Une tasse de thé pour lord échappé de sa tribu qui génère des femmes enceintes de pommes qui accouchent comme des call-girls désabusées très sexy. Et l'on croque la pomme, ce fruit défendu d'un paradis perdu et retrouvé. Au final, on se gave de cette chair végétale à l'envi tout en jonglant au passage. Jusqu'à une compote finale sur le plateau ou détritus et bris de vaisselle jonchent le sol dans un joyeux désordre tonitruant.Il y a de la casse dans ces scènes de ménages, ces tableaux successifs, saynètes virtuoses du jonglage qui mine de rien parcourt tout le spectacle. Discrètement ou ouvertement, objet et sujet de cet opus désopilant plein de distanciation, de recul. Sur l'humaine condition pas toujours radieuse, mais pleine de machineries, de subterfuges, de cachotteries inavouées qui font surface malgré tout; on veut étouffer les petits scandales, mais les voici réactivés par le biais des pommes!Jeu de circonstance pour pomme en l'air et saluts sur sol glissant plein de pelures et autres marmelade sur le tapis de scène Chacun des spectateurs invité à en emporter une part comme souvenir impérissable d'une soirée mémorable au Théâtre de Haguenau; un lieu plein de surprises de programmation à suivre assidument durant la saison...de la récolte des pommes bien sûr!

Le 13 Décembre au relais culturel de Haguenau

vendredi 9 décembre 2022

"PROG.HB.ZérO": la tête au carré cubique ! Des architectes de la saga-cité! Aurore Gruel fait la tête au carré des lombes!

 


Cie ORMONE France trio création 2021

PROG.HB.Zér0

À l’occasion d’un précédent spectacle, les artistes de la compagnie ORMONE ont imaginé un drôle de petit peuple, les Hommes Boîtes. Avec leur tête au carré en carton et leur corps de danseurs, les voici qui reviennent, propulsés dans le nouveau monde de PROG.HB.Zér0. Voyage inattendu dans un espace aux images foisonnantes.

 

Entre le jour et la nuit, il se passe parfois de drôles de choses. Les trois personnages de la pièce se réveillent dans un univers qui les surprend. Il y a là de quoi jouer et danser entre images, sons, couleurs et objets à explorer. Et les Hommes Boîtes sont ravis d’en profiter, de sauter d’un univers à l’autre et d’inventer ensemble. Plaisir de la découverte et jeux nés de l’imagination sont, pour les héros de cette histoire pleine de rebondissements, l’occasion de se doter de nouveaux pouvoirs.
Créé par Aurore Gruel, PROG.HB.Zér0 poursuit la démarche entreprise par la chorégraphe depuis les débuts de sa compagnie fondée en 2004 : engager le corps dans l’acte poétique. Spécialement conçue pour le jeune public, cette nouvelle pièce pleine de fantaisie s’attache aux sensations en croisant différents langages artistiques : danse, musique, arts visuels. Dans ce spectacle, corps, objets, images s’animent, créant de nouvelles situations, d’autres paysages et récits. Selon Aurore Gruel, il s’agit « d’explorer les formes simples, les couleurs ; de faire de plus en plus de choses tout seul comme s’asseoir, ramper, attraper, courir, sauter, grimper, glisser, imiter… » et d’embarquer le public dans cette aventure.


C'est tout un univers de lumières au sol, au mur qui tracent des images, des hiéroglyphes colorés, mouvants aux formes carrées, petits lego mobiles animés de bonnes intentions icono- graphiques! Les spectres graphiques se promènent, se déplacent comme des pièces de puzzles ...Des cubes-écrans font office de toile de projection, en monticules: c'est du Alwin Nikolais ou de Loie Fuller, toile tendue pour accueillir le mouvement lumineux et le défier. De petits personnages se révèlent, les hommes-boites coiffés d'une structure cubique, masque corporel pour mieux révéler les mouvements du corps.Ils grimpent, réfléchissent dans des attitudes de "penseur de Rodin", ils s'emboitent en autant de pièces d'architecture en construction-déconstruction.Maison, escalier, marches, tout ce qui ne tourne pas rond! Des percussions en bande son signée Hervé Birolini pour accompagner les mouvements à angle droit, sorte de cache-cache enjoué, immergé dans des lumières fleuries au parterre.Les rencontres jouent au couple amoureux qui s'embrasse au carré, qui se poursuit à l'aveuglette dans des lueurs bleu-vert de toute beauté.Des acrobaties périlleuses sur les blocs carrés, des conversations, fusion de baisers et échanges animent le plateau.Soudain l'escalier sculpture s'anime, se met en jambes de façon comique, personnage insoupçonné.dissimulé derrière la structure.


Des nymphéas lumineuses comme décor changeant.On se salue poliment, on s'encastre savamment, en rouage ou engrenage et sur fond de pellicule photo les trois protagonistes asexués font leur cinéma muet, burlesque, mécanique, robotique. De beaux arrêts sur image explorent maille et chainon de corps, alors que le graphisme à la Paul Klee inonde le fond de scène à loisir.Quelques mouvements lents au ralenti laissent le temps d'apprécier la gestuelle, sobre et efficace langage sans queue ni tête, pour arrondir les angles.Telle une marquèterie sans joint avec mortaise souple, les corps s’emmêlent joliment. Puis ce sont des bandes tendues, liens horizontaux comme des fils tissés qui forment un ballet de tendeurs animés par les trois danseuses: géométrie et lumières stroboscopiques mouvantes, zébrures électriques pour partition colorée, telle des signes de notations chorégraphiques.


Le mapping signé David Verlet est un trésor de formes à géométrie cubique variable, inventive et très esthétique aux couleurs pastel donnant un ton et des variations chromatiques insolentes et recherchées.Des tourniquet de cubes évidés à la Sol Lewitt, Donald Judd ou des sculptures très contemporaines de Robert Schad font décor très pertinent et cette "boite de nuit"séduit par son ingéniosité, sa pertinence!Que du bon, que du beau signé Aurore Gruel pour nos bambins émerveillés, considérés comme des esthètes en herbe, des architectes de demain: en connaisseuse du nombre d'or qui fait écho à ces architectures de cité radieuse où il ferait bon vivre avec ces hommes boites matriochka angulaires à la Xavier Veilhan...Les interprètes dont Julie Barthélémy de toutes les expériences extraordinaires, au top de la perception!

Mais comment ces personnages peuvent-ils voir à travers ces masques boites coiffant leurs têtes s'interrogent les enfants spectateurs intrigués par cette science fiction de toute beauté? Par le dessous des masques, ne voyant que leurs pieds! On salue la performance de perception individuelle ,de l'espace des autres.....

A Pole Sud jusqu'au 9 Décembre

"Best off" répertoire des Percussions de Strasbourg : 60 ans pour faire le grand écart, une "formation"toujours souple et en alerte !

 

"Le 8 décembre 2022 à l’occasion de notre 60 ème anniversaire, nous mettons à l’honneur des pièces cultes de notre répertoire, dont les interprétations furent nombreuses durant nos 60 ans d’existence, ainsi qu’une nouvelle création."

Dans la salle chaleureuse du Théâtre de Hautepierre, c'est un parterre éblouissant d' instrumentarium percussif qui illumine le plateau et pour fêter les 60 ans de cette formation légendaire dédiée aux percussions, Jean Yves Bainier, son président introduit la soirée avec émotion.

Suivent 8 inventions, op.45, Miloslav Kabeláč, (1965):

Dans une ambiance monacale bordée par les xylophones, à petit pas, une marche solennelle, feutrée, discrète se distingue peu à peu, sur la pointe des pieds.Le son prend l'espace, lent, dosé dans ce premier mouvement suivi par des carillons résonants, caisses et vibraphones de mise pour une joyeuse composition métallique pour seconde phase de l'opus.Retour à la méditation profonde avec des sonorités distinctes et subtiles sur fond de grondement: c'est le troisième mouvement qui calme la tempête amorcée.Puis les caisses et xylophones étincellent: parade, défilé, mascarade ou cavalcade carnavalesque où surgit une petite mélodie intrusive, esquissée.Presque une note de western, de lutte, de combat dans ce quatrième volet.L'apogée des percussions et gongs se renforce dans une virulence et une clarté sonore, phonique entre poids et légèreté, appuis et libération de l'interprétation drastique.Les accumulations ascendantes font de ce cinquième chapitre, un zénith sonore remarquable. Des mélanges de timbres inédits, alliages et alliances de sons incongrus, entre bois chaleureux et  gongs plus métalliques façonnent des galops épiques, des frappes régulières et un climat exotique orientaliste de toute beauté au sixième mouvement.Les vibraphones en majesté, vibrations secrètes, infimes pour une lente pénétration dans un univers cosmique caractérisent la septième partie, ambiance souterraine, spéléologie du son répercuté comme dans une grotte.En épilogue annoncé, des fortissimo relèvent volume, espace et amplitude, rythme envahissant, submergeant l'écoute, musiciens à l'unisson d'une cathédrale percutante de sonorités foudroyantes. Une pièce de légende, 60 ans de maturation sans prendre une ride!Les six musiciens au top de la ponctuation, se dirigeant au feeling et à l'auto-orchestration, complices rythmiques, compères soudés en alerte constante.

Suit Corale, Maurilio Cacciatore (création mondiale)
 Toujours soucieux de la création d’aujourd’hui, nous offrons également l’occasion de découvrir le travail du jeune compositeur Maurilio Cacciatore, qui explore et développe les possibilités sonores de la baguette vibrante, outil unique au monde, dans sa pièce Corale.Trois musiciens, assis, démarrent des mugissements ténus, superposition de sons continu et interrompus.Sur les peaux des timbales cuivrées, les baguettes frôlent et caressent pour créer une ambiance curieuse, assourdie.Glissements rêches, rythmes en cadence, comme dans un laboratoire lumineux, gyrophares et sirènes mugissantes en muezzin, cloches intrusives,sons de sous-marins en scaphandre, compression auditives et sons de murène, déterminant une écoute sévère, exigeante, subtile, aux aguets des sonorités inédites. Ce trio laborantin sur sa paillasse, recherche sonore aléatoire, scrute les sons dans son atelier, plein feu sur les secrets de fabrication. Un opus étonnant, unique qui fera date dans l'élaboration d'un parc sonore pour percussions toujours renouvelé!


4 études chorégraphiques
, Maurice Ohana, (1962)

Dans les années 1960, Maurice Ohana ouvre la voie à la composition de pièces pour percussions seules. Initialement, elles étaient pensées pour accompagner des performances dansées. Aujourd’hui affranchies de la danse, elles possèdent une identité et une narration propre, et sont les témoins des premières recherches dans le domaine de la percussion.Dans une grande régularité, comme un rythme de train avec reprises et addition de timbres, la musique s'emballe peu à peu.Percutante, galopante au rythme échevelé dans des scansions abruptes.Franches et martelées.Des silences loquaces, éloquents pour contraster.Du suspens, du mystère en suspension pour des apnées salvatrices.Puis de légers affleurements d'instruments, en écho, tout en finesse, décalent, déplacent les ondes et endroits de sources sonores.Des vibrations persistantes, des rémanences en ricochet illuminent l'espace, ouvrent des perspectives de paysages sonores grandioses. L’émergence de chacun des instrument au bon endroit pour valoriser respiration, espace et marche en contrepoint. L'irruption de timbres métalliques, vifs, cinglants, colorés pour une conversation animée. On s'y coupe la parole dans une discussion enflammée, virulente narration de sons ou chacun ne parvient pourtant pas à prendre le dernier mot, la dernière note. Dans un équilibre concerté où les places de chacun semblent chorégraphiées comme par un maitre de ballet, au compas et à l’œil, à l’ouïe acérée!


Métal
, Philippe Manoury (1995)

De nombreux compositeurs talentueux s’engagent alors sur la voie de la narration  avec la complicité et l’expertise des Percussions de Strasbourg. Trente ans plus tard, naît Métal de Philippe Manoury, qui pense un sextet pour sixxens, ces instruments inventés expressément par Iannis Xenakis pour l’ensemble. Un dispositif en demi cercle accueille les instruments extraordinaires, comme une longue passerelle, des "planches"à fréquenter pour un parcours accidenté, protégé par cette directivité d'espace.Des carillons du Nord en folie s’agitent dans une très belle chorégraphie de gestes précis, amples: cette joyeuse polyphonie polychrome dégage des sons métallique à foison, à l'envi.Des matière sonores riches, compactes provoquent un charivari, chaos tectonique éprouvant.Comme des salves, des hallebardes de sons en pluie, en averse dans un village montagnard Sécheresse abrupte du matériau, envahissant sans répit la forge où les "ouvriers" s'affairent, au travail entre eau et feu, prêts à bondir et rebondir.Les corps des interprètes, engagés, aux aguets, intranquilles.Dans l'arène des sons, ce tintamarre jovial, joyeux, lumineux, ruisselle, contagieux comme une passation sempiternelle, jeu virtuose de réception et renvoi de la balle au bond! Des arrêts sur image dignes d'une cène à six, partage en cum-panis de la cérémonie musicale.Des images comme des icônes vibrantes, ode au geste musical, à la corporéité des sons émis d'un médium à l'autre: la chair et le métal...Les baguettes aimantées au corps dans des envolées de sonneries en échappée belle: pour les tympans agressés à vif, une musique incisive et vif argent sur l'établi de la recherche sonore. Un opus de toute beauté cinglante à souhait.
 

Les Percussions de Strasbourg nous accueillaient au Théâtre de Hautepierre dans le quartier où le groupe est implanté depuis plus de 40 ans. Avec 60 ans de répertoire taillé sur mesure, offert par les plus audacieux compositeurs de chaque époque....Toujours "jeunes" et entreprenants Musiciens-danseurs sur les sentiers non balisés de la découverte sismique, visuelle des sons-émotion-frisson...

Programme :
8 inventions, op.45, Miloslav Kabeláč, (1965)
4 études chorégraphiques, Maurice Ohana, (1962)
Corale, Maurilio Cacciatore (création mondiale)
Métal, Philippe Manoury (1995) 

Les musicien•nes sur scène : Matthieu Benigno, Hyoungkwon Gil, Théo His-Mahier, Léa Koster, Emil Kuyumcuyan Olivia Martin 

08.12.2022 — 105' — Théâtre de Hautepierre, Strasbourg

"Chère Geneviève, 

"Une fois encore votre analyse explore avec justesse et une sensible  pertinence la musique de compositeurs qui ont marqué l'aventure" des Percussions tout en soulignant la qualité  et l 'engagement des interprètes qui aujourd'hui ont su prendre le relais sur un chemin dont le tracé fut amorcé il y a soixante ans par des percussionnistes talentueux et visionnaires.
Merci  de partager ainsi votre  fervente écriture." J Y Bainier le 9 Décembre 2022