vendredi 5 mai 2023

Swan lake solo : du côté de chez Swan....Signe des temps politiques....Etang d'art poétique.

 

"SWAN LACKE SOLO" d' Olga Dukhovnaya: l'échappée belle...



Le 9 mars 2022, la une du journal d’opposition russe Novaya Gazeta présente les silhouettes de quatre ballerines du Lac des cygnes sur fond d’explosion nucléaire. Car depuis la chute de Gorbatchev, la télévision nationale diffuse le ballet de Tchaïkovski à chaque fois qu’il y a un événement d’actualité trop brûlant. Après deux ans de confinement, la guerre donne le coup de grâce à un ambitieux projet d’Olga Dukhovnaya, danseuse, chorégraphe et pédagogue d’origine ukrainienne. Celle-ci renonce à réaliser un Lac des cygnes commandé par le nouveau musée de Moscou. Dans une entreprise de déconstruction radicale, Olga Dukhovnaya conçoit Swan Lake Solo, une création où se concentre tout le corps de ballet dans celui d’une seule interprète. Le sien. Ainsi, Swan Lake Solo n’est ni un extrait ni une version contemporaine du ballet de Tchaïkovski, mais une chorégraphie d’aujourd’hui. En collaboration avec le compositeur Anton Svetlichny, la chorégraphe et danseuse abolit avec une jouissive liberté les frontières entre corps de ballet et solo, et recompose le temps et l’espace en inscrivant la danse dans un paysage musical polyphonique

.Elle fait traces et cygne, se plonge dans les eaux agitées du Lac des Cygnes avec moult références et c'est très réussi; seule elle signe un solo fort et engagé où la réflexion sur un personnage, oiseau, femme, spectre légendaire de l'histoire de la chorégraphie de ce fameux "lac" qu'il faudrait assécher aux dires de Jean Cocteau! Ici, ambassadrice d'une danse révoltée autant que sage, notre héroïne se fait oiseau qui se pointe, démontre et démonte les mécanismes d'une légende corporelle gravée dans les mémoires collectives. 

Seule dans la salle des fêtes de l'Aubette à Strasbourg, vêtue de noir pailleté, baskets et justaucorps, elle est corps mécanique bien dressé sur une musique techno binaire entêtante: sorte de gymnastique fitness aérobique, rapide. Quelques séquences pour se déchainer par la suite dans des mouvements inachevés, désordonnés.Sans retenue, queue de cheval au vent. Après ces épisodes brefs, en reprise, essoufflée, épuisée, la lenteur s'empare de sa dynamique, le regard périphérique, elle scrute l'espace, se reprend. Des appuis en arabesques, en force, la plombent au sol. Elle résiste. Semble aller à l'encontre.Des petits piétinements , des ailes de bras aériennes, un cygne apparait: elle tombe à terre, chute comme un empire qui s'effondre, se protège, s'enveloppe à la Egon Schiele façonnant un corps monstrueux qui tournoie sur un seul pivot, la jambe, colonne dorsale.Dans le silence, le "cygne" se taie, respire à terre, se calme ou se dissimule, se fait oublier, dans l'attente.Une musique classique revisitée par un synthétiseur déraille, échoppe. La tétanie s'empare de ses mouvements, en secousses, saccades heurtées. Près du corps, elle semble cacher quelque chose, empêchée, dans des mouvements violents, virulents comme la musique qui l'accompagne. La danseuse brusquement cesse de nous émouvoir de cette façon énigmatique pour nous conter les affres du "Lac des Cygnes" diffusé sur les écrans lors des politiques de ruptures de l'URSS entre 1982 et 1986.....

Alors que nait une pensée magique collective à l'Est, celle de la chute du régime soviétique, "Le Lac" fait sens et son omniprésence sur les chaines est suspecte...Après cet éclairage, la lecture de son solo devient acte politique, poétique et fait sens. L'adage de Tchaïkovski arrive à bon point, caricature de portés, de sautillés où le partenaire jailli de nulle part l'expose de façon frontale, puis prend le relais, danseur-porteur de la danseuse classique! Elle le manipule, il la transporte dans des attitudes osées, acrobatiques, gymniques frôlant le ridicule, jusqu'à l'effondrement. Figés, en poses, ils sont les figures du régime totalitaire...La dégringolade est proche. Puis c'est la course sur le tapis roulant qui défile et tout se termine dans les temps.

Un partenaire porteur de danseuse la fait vriller et tournoyer à l'envi..Qui sont ces signes cachés que l'on ne saurait plus voir sur les scènes de la danse contemporaine? La danseuse se jette à l'eau et nous offre un bain de jouvence salvateur sur la question du patrimoine, de l'archive et du fantastique simplifié, mis à jour avec intelligence de corps survolté par le sujet....Du côté de chez "Swan" n'a pas fini d'être un manifeste du genre!

 

Partition chorégraphique Olga Dukhovnaya, Alexis Hedouin Partition sonore Anton Svetlichny Partition lumière et costume Guillaume Jouin, Marion Regnier Régie générale Moustache, Felix Löhmann Regard extérieur François Maurisse

 

A Strasbourg salle de l'Aubette les 5 et 6 mai

dans le cadre du festival Arsmondo slave (opéra du rhin) 

 

jeudi 4 mai 2023

Dominique A : sobre ébriété....de la poésie à tout prix.


 Mer. 03 Mai. 20h à la MAC de Bischwiller

"Les jambes à son cou": au pied de la lettre!


Jean-Baptiste André Association W France3 interprètes création 2022

Les jambes à son cou

Bon nombre d’expressions familières se rapportent au corps, mentionnent ses membres ou ses organes. Ces mots produisent aussi des images. Pour cette création, Jean-Baptiste André a choisi l’une d’entre elles, plutôt farfelue, « prendre les jambes à son cou ». Un trio d’interprètes, danseurs et circassiens, en explorent joyeusement les possibles.

 

Si l’on sait bien que l’expression « prendre les jambes à son cou » signifie partir précipitamment, s’enfuir – ce qui se fait donc souvent en courant – comment s’imaginer littéralement dans une telle position pour s’en aller au plus vite ?! Voilà qui ne tient pas debout ! Jean-Baptiste André en fait son affaire d’une toute autre façon. Sur scène, il utilise les expressions corporelles – celle qui donne son titre au spectacle mais d’autres aussi – comme « point de rencontre entre les gestes et les mots, entre ce que dit le langage et ce que raconte le corps ». Il fait spectacle de ce jeu d’allers-retours, multipliant les situations décalées, tantôt burlesques ou poétiques. Et les expressions ne manquent pas ! Avoir la tête dans le guidon, en avoir gros sur le cœur, tourner les talons, lever le pied. Il y a là de quoi réjouir les amateurs de dessins animés mais aussi enfants et adultes, danseurs et circassiens. Gestuelle acrobatique, actions, récit et théâtralité, tout concourt à l’enchainement virtuose des fantaisies physiques de cette pièce pleine d’esprit joyeux et de liberté de mouvement.

Trois escogriffes fort sympathique vont s'ingénier à dénicher, trouver toutes sortes de positions et attitudes illustrant physiquement l'expression commune et populaire "prendre ses jambes à son cou".Et cela donne des résultats fort probants: des élucubrations inédites, des postures drolatiques qui relient cou et jambes, pour chacun de façon kinésilogique, puis pour le trio avec des trouvailles appropriée au déséquilibre, à l'architecture fantastique de corps portés de façon acrobatique. Tout en couleurs, vêtements ajustés à la pratique de la souplesse et de l'écoute avec de bonnes intentions les uns envers les autres. On s'y interroge sur toutes sortes d'autres expressions liant le corps avec les mots et le glossaire est riche: à en perdre la tête! C'est donc les pieds en éventail  dans une ambiance bon enfant que se déroule cette petite odyssée du corps textuel agrémenté d'une gestuelle proche du hip hop, de la capoeira et de l'art du nouveau cirque.Beaucoup de tendresse et de considération, de reconnaissance les une envers les autres mais aussi vis à vis de son propre corps. Le conduire à la piscine pour soigner un dos fragilisé par l'exercice terrestre par exemple: belle interprétation de Quentin Folcher pour cette saynète touchante, pleine de douceur et de charme. Fanny Alvarez, très tonique virevolte à souhait, cabriole et fait la roue pour prouver qu'elle est bien vivante et dynamique au sein de ce trio réflexif, penché sur des considérations quasi philosophiques sur le corps humain: corps banalisé autant que dansant, corps qui se frotte sans chichi aux lois de la gravitation ou de la gravité avec audace et enthousiasme.


Les costumes suspendus à deux vestiaires, dressing chamarrés de chaque côté de la scène attestent de cette volonté joyeuse et ludique de restituer un univers simple, abordable et fort édifiant. Le public par son imagination fertile de trouver lui aussi des expressions reliant corps et verbe, corps et texture intellectuelle. Jean Baptite André faisant office de liant au sein de ce "triolet" diabolique et malicieux plein de détournements savants de sens. Et la danse de surgir comme entremets et interludes dans cet opus de saynètes et sketches désopilants. Danse tonique, virtuose frôlant hip hop et art corporel circassien à l'envi. On se régale des jeux de mots, des questionnements qui parcourent la pièce et font de ce spectacle un vrai divertissement plein d'intelligence et de savoir être ensemble. Des rebus ou charade corporels pour tenter de trouver l'expression adéquate et le tour est joué: on s'amuse et la composition chorégraphique se dévoile: additionner les mouvements inzentés et s'approprier le flux de gestes ainsi crées! Quand "les bras m'en tombent" c'est un petit bijou burlesque et enchanteur qui surgit d"une panoplie charmante pour qui veut bien ouvrir cet inventaire à la Prévert des expressions de tous les jours si familières. Donner corps et âme à la langue française grâce au medium de la danse, voici une attention fort à propos!

A Pole Sud jusqu'au 4 MAI

Avec Fanny Alvarez, Jean-Baptiste André, Quentin Folcher