jeudi 7 décembre 2023

"Chers": Kaori Ito bien en "chair" spectrale, ectoplasmique et vivante à tout prix.

 


création 2020 pour 6 interprètes

Travaillant à partir de lettres qu’elle a demandé aux interprètes d’écrire à leurs absents, Kaori Ito invite nos fantômes au plateau. Danser pour parler avec les morts, leur dire au revoir et pardonner aux vivants.
Delphine Lanson convoque les lettres de chacun comme un rituel pour l’au-delà. Les 6 interprètes traversent ainsi leurs relations fortes avec les absents par leurs danses intenses et uniques. Entre deux mondes, ils sont comme des esprits flottants.
Inévitablement attirés les uns par les autres, les danseurs s’aimantent et se repoussent jusqu’à constituer un ensemble d’humanité qui parle d’invisible, et continuer à vivre irrésistiblement.



Un être bien "en chair" sur le plateau, corps anti canonique à souhait, c'est le verbe incarnée, la comédienne qui possède la parole,
potelée, rebondie, dodue. Une femme, mère possessive de six créatures dansantes à qui elle adresse saluts et respectables ablutions. Le plateau est nu pour recevoir ce flux, cette soi-disante mort qui maintient à terre la plupart des danseurs au sol. Dialogue comme prologue où les corps aimantés s'attirent ou se repoussent avidement. Tenues vestimentaires légères, corps déliés, gestuelle fluide, tours et virevoltes au diapason des sons émis par chacun, intimement. De la douleur, des cris pour repousser l’irrévocable camarde qui demeure ici désincarnée, absente. Pas de monstration ni de mise en scène de personnages mortifères, mais un esprit qui flotte et plane sur cette meute, cette tribu qui bientôt va glisser dans le déchainement. Se délivrer du mal ou de l'emprise du destin, danser à perdre haleine sans être à bout de souffle. Danser pour ne pas mourir, danser pour tester encore et encore souffle, respiration, voltes, bonds et autres figures virtuoses de hip-hop. La musique tonitruante et envahissante booste les corps en irruption totale, en divagations multiples. On n'achève bien les chevaux mais pas ces esprits avides de mouvements frénétiques. C'est une perte d'énergie fabuleuse, un vide vertigineux qui conduit au sublime acte de sacrifice. L'argile sera leur baume réparateur ou leur onguent d’extrême onction fatale. Leur huile dont chacun se pétrit les membres, le corps. C'est à moitié nue que cette danse tribale se livre devant nous, épuisant les corps galvanisés par une musique aux transports magnétiques. Tous performeurs au service d'une narration où le verbe cède sa place au langage du corps. Kaori Ito toujours sans concession jusqu’au-boutiste flamboyante de l'énergie, du secret, du rituel. Presque "buto" parfois pour ne pas se l'avouer. Un spectacle qui secoue, remue, décale et dérive vers des continents inconnus à découvrir rageusement.
 
Chorégraphe qui donne corps à l’invisible et à l’intime, Kaori Ito, souhaitant parler de la « perte », a cherché à faire vivre au théâtre la tradition japonaise de parler avec ses mort·es. Après une trilogie de pièces autobiographiques, elle cède le plateau à Delphine Lanson, comédienne et 6 jeunes interprètes pour ce rituel entre danse et transe qui s’impose comme un langage avec l’ailleurs et communique une irrésistible envie de vivre. Leur partition se compose à partir de fragments de lettres écrites à leurs disparu·es autant que de paroles recueillies dans l’installation La parole Nochère au Théâtre National de la Colline en 2020.

DIRECTION ARTISTIQUE ET CHORÉGRAPHIE KAORI ITO – TEXTE KAORI ITO, DELPHINE LANSON, LES INTERPRÈTES ET LES PARTICIPANT·ES DE LA PAROLE NOCHÈRE AU THÉATRE DE LA COLLINE – COLLABORATION ARTISTIQUE GABRIEL WONG – POUR 7 INTERPRÈTES EN ALTERNANCE MORGANE BONIS, MARVIN CLECH, JON DEBANDE, NOÉMIE ETTLIN, NICOLAS GARSAULT, LOUIS GILLARD, DELPHINE LANSON, ISSUE PARK, LÉONORE ZURFLÜH  

Au TJP jusqu'au 9 Décembre

 

mercredi 6 décembre 2023

"Temps de baleine": pas en voie de disparition... Jonas Chéreau baleinier de fortune pour rafiot enchanteur.

 


Jonas Chéreau France solo création initiale 2019 / recréation 2021

Temps de baleine

À dos de baleine, Jonas Chéreau emmène les enfants là où les mots ne peuvent pas aller. Tel un équilibriste entre l’abstraction et la fiction, la magie et la contemplation, entre le grotesque et la musicalité, par-delà les vagues et les tempêtes, il navigue sur ces lignes de crêtes et pose cette question moins simple qu’il n’y paraît : c’est quoi le problème avec le climat ? Volontairement ludique et ambigu, ce corps-écosystème s’ouvre comme les pages d’un livre et donne à voir d’insaisissables phénomènes météorologiques. Inviter les variations atmosphériques à entrer dans le théâtre est le point de départ de ce spectacle que l’on peut lire dans un sens ou dans un autre. Au regard de la crise environnementale actuelle, Jonas Chéreau décide de s’adresser aux enfants sans didactisme ni injonction mais avec la poésie des mots et des situations. Jouant avec des images simples, des paroles et la danse, il nous invite dans un monde intime et subtil où le climat est le prétexte à découvrir nos propres émotions.

A "La pêche à la baleine"...Prévert et Kosma s'insurgent déjà: "À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d'une voix courroucée
À son fils Prosper, sous l'armoire allongé,
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc ?
Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Qui ne m'a rien fait, papa,
Va la pêpé, va la pêcher toi-même".....


Le danseur et chorégraphe Jonas Chéreau adapte son premier solo à l’attention des plus jeunes. Une « météodanse » burlesque et poétique pour prendre la température de nos humeurs.
 

mardi 5 décembre 2023

Chopinot au "TOP" ! Et pas "KOK" ! Inusable, inoxydable prestidigitatrice...Traversées gymnopédiques et autres morceaux en forme de poire.

 


Régine Chopinot France 7 danseurs + 2 musiciens création 2021

“top”

Pionnière dans les années 80, la chorégraphe Régine Chopinot déclare en exergue de sa dernière création : « top est tout sauf mou, top dépote, fait du bruit et n’a pas froid aux yeux ». Au-delà de cette énergie déclarée, « top » est aussi une pièce de tribu, une mise au plateau d’une jeunesse turbulente, avide de sens et de conscientisation sur fond de percussions et de riffs de guitare. Sept jeunes danseurs et danseuses et deux musiciens nous entrainent dans une course folle, où la singularité de chacun, l’esprit de groupe, les regards et les envolées chorégraphiques se succèdent naturellement. Sculptures éphémères et paysages mouvants se rencontrent et se dénouent. Le regard porté sur l’horizon, le groupe se forme, s’agglutine et se renforce jusqu’à l’épuisement. Virtuoses et libres, chacun des protagonistes participe à la partition généreuse de la chorégraphe. Danses folkloriques, jeux d’enfants, pyramides et pas de deux survoltés s’engagent sous les yeux d’un public complice. Le rythme est permanent, que ce soit celui des baguettes, des voix ou des mains. La scène devient contagieuse quand le rythme atteint les gradins. Fidèle à elle-même et en véritable passeuse d’énergie et d’histoires, Régine Chopinot signe ici une pièce vitale aux mouvements décalés, surprenants et nécessaires.Chopoinot au "Top" !


L'architecture de corps en attente dans des postures, attitudes, immobiles sur le plateau nu, interpelle déjà. Ils nous attendent, les artistes, le temps de s'installer dans la salle de spectacle. Tout se dénoue lentement et chaque caractère de se dévoiler doucement dans sa propre gestuelle: signature de chacun des danseurs, altérité de chaque stature, de chaque facture corporelle: chacun trouve sa trace kinésiologique et la danse s'empare du groupe hétérogène. Pour en distribuer des traversées gymnopédiques en diables, toutes de rythme, de cadence propre et différente pour créer une dynamique horizontale frontale. Comme un jeu vidéo peuplé de petites créatures mobiles défilant sur l'écran à tour de rôle ou à l'unisson. C'est drôle et réjouissant. Des bonds et des rebonds multiples, des dévoreurs d'espace que ces électrons libres livrés dans la lumière. A chacun sa griffe, sa signature dans des solos vibrants, magnétiques, agités de spasmes, tétaniques ou sautillant. Une envolée de mouette à l'envergure fantastique pour le corps d'un danseur dont les épaules se meuvent en ondes sismiques. Des courses à grande vitesse, en accélération. Toute une gamme de mouvements soliste ou d'ensemble pour cette meute lâchée, bruissante. Animale aussi à petits aboiements successifs, à saute frontières de genre. Une once de folklore, une pincée de zapateados pour engendrer une murmuration d'applaudissements du public comme une pluie battante rythmée, vécue en transports en commun! Le batteur et le guitariste répondant en osmose et symbiose à cette énergie compulsive corps et musique à capella, se renvoyant la balle ou se laissant l'espace et le silence pour former des tableaux vivants. Les portés font décoller les danseurs jusqu'alors plutôt dans la verticalité sans oser le sol. Portés plein d'humour et d’icônes animales jouissives.


Les images d'Epinal en poupe pour ces architectures en pyramides de corps assemblés comme un mikado géant. Et pour clore ce feu d'artifice joyeux, des courses folles sur le plateau et une dernière course-poursuite entre deux d'entre eux, sorte de comique de film muet qui s'accélère à l'envi. Régine Chopinot en pleine forme, décapante et inoxydable créatrice bondissante et joviales. Erik Satie en serait friand et épaté tant l'humour et la révolte cohabitent communément dans leur oeuvre respective..


Une partition chorégraphique où la clef de sol navigue sur une portée hors sol emplie de trouvailles et de gestes inouïs de chacun des protagoniste, unique en leur genre. Un peu de frise égyptienne, de folk, de gestes incongrus et volatiles. Du vent dans les voiles pour avancer porté par le souffle de la danse. Et la danse de se tricoter en points de chainette, en trame et chaine savantes dans des déplacements millimétrés, toniques aux directions variables comme la météo.Des costumes, de l’Écossaise en robe, au sultan en jupe vaste et virevoltante. Du training au short.Que Terpsichore en baskets nous offre encore de telles rencontres, de moments de partage, tel que cette assemblée de spectateurs montés danser sur le plateau en fin de parcours. Pole Sud, dance floor contemporain une fois de plus pour le bien être ensemble d'un public conquis et perméable à toute écriture dansante de notre temps. Une auréole de lumière pour border les visages en grappe et tout s'éteint.Régine sur le plateau au final pour remercier cette "compagnie" qui se retrouve au pied levé pour tester si ça "prend" encore, cette énergie partagée au profit du spectacle engagé. Révolution oblige pour ce trublion de la Danse, dans le vif du sujet. Et quand la "musique est bonne."......notre boxeuse de choc se joue des châteaux de cartes et des mikados pour déconstruire et bâtir des univers loufoques ou graves . En figure de proue d'une embarcation en cabotage. Pour un voyage en zig zag au pays de cocagne. Portrait de famille recomposée pour le meilleur de chacun de ses membres.

A  Pole Sud jusqu'au 6 Décembre