jeudi 14 décembre 2023

"Péplum médiéval": jeu de mains, jeu de vilains. Jeu de massacre. Farce et trappes aux oubliettes...

 


Fresque truculente et merveilleuse, ce péplum médiéval exprime toute la fascination de son metteur en scène pour le Moyen Âge. De cette époque souvent réduite à un sombre mélange d’obscurantisme et de cruauté, Olivier Martin-Salvan se concentre sur le déclin, lorsque la guerre de Cent Ans et la fin du monde féodal constituent aussi le décor d’un incroyable foisonnement culturel et artistique. Ce n’est plus l’Antiquité du cinéma qui se dresse sur scène, mais un vrai château fort et ses environs. 


Toutes et tous, du Roi au bouffon, partagent une langue aussi vivante qu’étrange, polyphonique et poétique, composée par l’auteur Valérian Guillaume en tressant les mots du présent et ceux du passé. Pas moins de 15 comédien·ne·s dont ceux et celles, en situation de handicap, de la troupe Catalyse, habitent ce monde haut en couleurs, inspiré de Brueghel l’Ancien et de Rabelais, qui puise dans les contes et les farces de l’époque. Avec ce jeune héraut nouvellement arrivé, nous sommes invité·e·s à le parcourir.

C'est comme un magasin de friandises, de sucre d'orge, une boutique fantasque animée de petits personnages tonitruants. Un château "en Espagne", château de carte pour décor, un arbre où poussent des artichauts, et une foule de petits pions de jeu de dames ou d’échec pour faire vivre le plateau. Un roitelet de pacotille Ubuesque avant l'heure, des cavaliers montant des animaux de carnaval. C'est dire si l'ambiance est relevée, le ton pas toujours flatteur et rehaussé par des mots affriolants, néologismes ou virelangue, calembours ou jeu de mots d'un langage peu châtié. Les costumes de cette cour des miracles sont dignes d'un Philippe Guillotel, d'un jeu de cartes où les jokers, roi, valet et reine sont tête bêche et font des galipettes pour nous émerveiller, nous ravir le temps de la représentation quasi circasienne.Du quasi Decouflé où tous ont des airs de bestioles, pattes et griffes dehors, queue ou prolongements, extensions du corps burlesques et satiriques. Dignes de Clédat et Petitpierre ainsi que la scénographie Quant à la musique fanfare ou populaire de Vivien Trelcat elle enchante ce microcosme bigarré à l'envi.Et les comédiens de la compagnie Catalyse de brûler les planches, de se jeter à l'eau avec talent et savoir être sur scène. Se mêlant aisément aux autres interprètes, faisant figures de bouffons, comiques et autres farfadet volubiles et généreux à souhait. "Avec l’invitation que je fais à la Troupe Catalyse (7 interprètes), nous sommes nombreux sur le plateau, quinze acteurs ! Je dis souvent que les acteurs de Catalyse sont imbattables sur le Moyen Âge. C’est-à-dire, dans l’idée que je me fais de la culture médiévale, il y a quelque chose de très direct et de très intense dans leur manière de s’exprimer. Avec eux, les mises en abyme, enchâssements, digressions et intrigues ou théâtres simultanés m’apparaissent comme une évidence. Nous construisons de grands tableaux collectifs et sommes pour la majorité présents au plateau de façon quasiment ininterrompue, formant des fresques dans lesquelles on découvre, en s’attardant, des miniatures, comme des événements soudain plus intimes au cœur du nombre." dixit Olivier Marmin Salvan . Et le texte signé Valérian Guillaume de traduire cet amour du monde Médiéval, bien loin d'un scénario "péplum" cinématographique réduisant l'époque à un fatras chaotique désopilant.

guillotel

.Entravés, empêchés dans ces oripeaux de luxe, chatoyants leur donnant des aspects enfantins, naïfs, comiques Grotesque aussi. Rabelais et Brueghel au rendez . Et pas que: on songe à Fortunato Depero et son ballet plastique, à Oskar Schlemmer avec ses formes géométriques et monstrueuses...

depero

Ca va tambour battant à un bon rythme alors que l'histoire nous est contée et animée par les interprètes tous galvanisés par ce "vivre ensemble" très prégnant. Le Moyen Age comme univers où tout semble trivial, rustre, entier et franc de collier L'imagerie d'Epinal ou de Wissembourg surgit parfois tant les sketches ou saynètes parlent de postures, d'attitudes, de comportements du quotidien, de caractère. Le mime parfois s'ingère, la danse macabre, Camarde tendre et affolée se profile. Et la matrice avale chacun dans son tunnel évocateur de l'Origine du Monde de Courbet. On s'amuse, on sourit devant cette communauté de biens ou réduite aux acquêts, on s'émerveille du jeu des acteurs tous égaux sur le plateau, égaux à eux-mêmes et farceurs , arroseurs arrosés dans ce monde tonitruant. Chanson de geste et monde mystérieux au poing.

Au Maillon les 14 et 15 Décembre

"Spécificité de la danse sur le territoire alsacien": d'un mouvement dansé à un mouvement adapté: Christiane Leckler en majesté

 


La Faculté des sciences du sport avec Pierre BOILEAU, Artiste danseur chorégraphe Performer de la Cie L’UnDesPaonsDanse
Accueillent Jeudi 14 décembre 2023 à 16h en salle d'évolution Christiane LECKLER, Présidente de L’association Danse Ma Joie Bas-Rhin et Pédagogue du mouvement dansé
Pour aborder la spécificité de la danse contemporaine dans le territoire alsacien
Pour évoquer le mouvement dansé tourné vers des publics variés et particuliers
Pour discuter de cette danse promulguée à l’École, à l’Université, en Maison de Retraite, dans des Structures d'accompagnement pour personnes en situation de handicap…
Vaste domaine où le corps sensible est au cœur du débat.
 

Une femme libre, enjouée, une "cinquième" âge qui n'a pas d'âge ou qui le porte si bien qu'on a envie de la prendre par la main et de danser. Christiane Leckler c'est la modestie incarnée, la sobriété et la sobre ébriété de la danse en Alsace. Après un bel exposé "à sa façon" sur l'histoire de la danse moderne et de ses protagonistes, la voici embarquée dans le récit de son "vécu" de son expérience de danseuse, apprentie, et de pédagogue invitée par la vie à rencontrer toute sorte de public. Pas venue de "nulle part" notre héroïne du jour: des rencontres avec Rosalia Chladek et d'autres pionniers de la danse libre pour fonder sa "maison" avec Denise Coutier: "Danse ma joi" ou "Demajik danse".... Du Diaconat où, infirmière elle s'occupait des "corps à soigner", aux enfants et parents, tout semble lui convenir comme terreau de recherche, de rencontre toujours dans un esprit de respect, de considération de l'autre. Son travail acharné, son caractère pugnace autant que doux et attentionné la rendent populaire, accessible et charmante. Cette rencontre fertile et de bon aloi fut un moment de partage à part égale avec son public étudiant. La voir assise à une table en compagnie de Pierre Boileau fut un instant d'étonnement: Christiane se lève sans cesse pour montrer, s'exprimer avec joie et jubilation. 
 

Un profil d'artiste singulier, porté par l'enthousiasme et le côté pionnière défricheuse de bien des expériences au regard de Terpsichore. Une science infusion des relations humaines, instinctives et profondes compréhension des corps, de tous les corps en leur mouvement propre et identitaire. Du "social" avant l'heure pour le bien-être de tous se sauvant par la pratique du mouvement dansé. 
 

Merci à Sabine Cornus de nous avoir concocté ce moment "historique" où l'on remet les pendules à l'heure en partage équitable et durable. Et toute simplicité.




mercredi 13 décembre 2023

"Evangile de la nature" : un planétarium prémonitoire, un manifeste sacral d'une cosmogomie en marche.

 


Le philosophe-poète Lucrèce (né et mort vers 97 – 55 av. J.-C.) a environ 35 ans quand il écrit les six livres composant De rerum natura (De la nature). Reprenant dans ce grand poème antique les théories de son maître Épicure, il y expose la puissance scientifique de l’atome à l’origine de la création de l’univers, exaltant la nature sans dieux ni maîtres comme devraient l’être les hommes et les animaux. Le metteur en scène Christophe Perton met en scène une traduction inédite de l’autrice Marie NDiaye, avec l’acteur Stanislas Nordey. Il envisage le spectacle comme un « pur festin de poésie ». Une création musicale et visuelle accompagne la générosité et la modernité de ce texte millénaire invitant les humain·es à se soustraire aux dogmes et à la peur, pour aller vers les lumières de la connaissance.

Dans un espace quasi en trois dimensions, trois écrans portent des images mouvantes évoquant des formes végétales, peintes, esquissées comme de la calligraphie japonaise à l'encre de chine... Le plateau est une plaque tournante arrondie, inclinée qui laisse entrevoir des mouvements de lente rotation quand le protagoniste conteur chavire avec les mots, le texte. Prémonitoires en diable déjà se révèlent les écrits ainsi racontés, murmurés en direct au creux de nos oreilles par le fabuleux comédien-musicien du rythme parlé, Stanislas Nordey. On a peine à croire qu'ils ne nous sont pas contemporains tant le propos est d'actualité: l'inversion climatique pressentie, les virus inconnus vecteurs d'épidémie, le trop plein d'eau ou de chaleur...Et le comédien de nous conduire dans des sphères scientifiques et philosophiques accessibles, compréhensibles dans une écriture forte et une syntaxe musicale évidente. Alors que le décor évoque un planétarium, un ciel étoilé ou un parc végétal riche et plein d'arabesques tracées. Stanislas Nordey, pieds nus bien ancré dans le sol autant qu'aérien se livre, se donne corps et âme comme conteur-lecteur, vecteur d'un texte lyrique et audacieux. Son jeu est émerveillé, solaire et lumineux, à l'image de cette philosophie iconique si bien incarnée par images, dessins et socle penché comme une scène glissante où le corps s'adapte pour préserver son équilibre. Une performance digne de ce cosmos, cet univers évoqué, les atomes, la construction du monde avant le christianisme étouffant la connaissance au profit de la croyance. Notre homme, Lucrèce incarné se débat librement: chant et poème pour tissus et matière à jouer sans en faire obligatoirement une histoire d'aujourd'hui.. La nature chante et le son environnant épouse la musicalité des mots. La musique additionnelle apporte une touche émotionnelle persistante et hypnotique, se fondant aux mouvements des images glissant sur les trois écrans. L'adresse au public, le "tu" comme partenaire d'élocution renforce la proximité et l'adhésion à ce manifeste total: vidéo, lumière, musique, voix et corps.Et le costume de notre génial penseur comme celui d'un magicien brillantissime, pantalon large noir anthracite, brillant, pailleté comme un ciel étoilé.Une approche de rêve d'un texte mythique trop peu connu. Christophe Perton de mettre en scène ce corps céleste, cet atome comme un électron libre inspiré par Vénus, femme autant que planète dans la constellation lumineuse du plateau. Un anneau comme univers clos et mouvant, un socle périlleux incliné pour mieus se pencher sans faillir.

D'après
De rerum natura 
de Lucrèce
Traduction
Marie NDiaye
Christophe Perton
avec la collaboration
d’Alain Gluckstein
Adaptation, mise en scène et scénographie
Christophe Perton
Avec
Stanislas Nordey


Christophe Perton est metteur en scène, réalisateur et scénographe. Il a dirigé la Comédie de Valence − Centre dramatique national Drôme-Ardèche (2000-2009) et dirige depuis la compagnie Scènes et Cités. Passionné par les écritures contemporaines, il a notamment mis en scène Pier Paolo Pasolini, Lars Norén, Bernard-Marie Koltès, Marius Von Mayenburg, Peter Handke, Marie NDiaye, Thomas Bernhard… En 2023, il a créé une version musicale inédite du Bel indifférent de Jean Cocteau.

Au TNS jusqu'au 21 Décembre