Petite histoire, grande histoire
L’Université de Strasbourg accueille Fanny de
Chaillé en résidence d'artiste de décembre 2023 à mars 2024. Ce projet
interroge les enjeux de l’archive, du document, de la copie dans le spectacle vivant,
outils de travail essentiels des œuvres de la chorégraphe, performeuse
et metteuse en scène, notamment dans trois pièces récentes : Désordre du Discours (2019), Le Chœur (2020) et Une autre histoire du théâtre (2022).Il s’agit d’appréhender comment le travail
artistique permet de porter un regard nouveau – délinéarisé et
dé-numérisé – sur l’archive ou le document, et comment ce matériau
permet de construire de nouveaux récits, tracer des horizons critiques entre passé et présent.Cette résidence se déploie autour d’un axe théorique qui prend la
forme d’un cycle de conférences, en présence de l'artiste, sur les liens
entre histoire individuelle et histoire collective, un
axe pratique organisé en workshops et cellules de recherche par Fanny
de Chaillé, et, enfin, un axe artistique avec la représentation de ses
œuvres.
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Le Chœur
Mise en scène Fanny de Chaillé
Inspiré du poème Et la rue extrait de l’ouvrage divers chaos de Pierre Alferi (P.O.L.)
Avec la promotion 2020 des "Talents Adami Théâtre"
Distribution : Marius Barthaux, Marie-Fleur Behlow, Rémy Bret, Adrien
Ciambarella, Maudie Cosset-Chéneau, Malo Martin, Polina Panassenko, Tom
Verschueren, Margot Viala et Valentine Vittoz
Création 2020 Talents Adami Théâtre, à l’Atelier de Paris / CDCN, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
représentation | lundi 19 février 2024 | Aula du Palais universitaire | 20h30
Sur scène, dix comédiens et comédiennes forment un chœur. Une unité.
Un corps. Pas de protagoniste identifié ni d’incarnation individuelle,
chacun existe dans l’expérience collective. La metteure en scène Fanny
de Chaillé fait du chœur autant le sujet que la forme de ce spectacle,
proposé dans le cadre de Talents Adami Théâtre. Grâce à ce dispositif
déjà expérimenté par des artistes tels que Gwenaël Morin, Joris Lacoste
ou tg STAN, elle transmet sa pratique à de jeunes interprètes et
interroge avec eux les liens entre le plateau et la parole. Fanny de
Chaillé travaille à partir de l’œuvre du poète Pierre Alferi en
explorant le poème Et la rue, extrait de son ouvrage divers chaos.
Cette écriture, véritable partition musicale, mêle la force du geste
politique à la cadence métrique d’un flux poétique. Une forme polymorphe
naît sur le plateau et donne à l’acteur une véritable responsabilité :
celle du collectif.
→ Le ChœurEt ce choeur de battre sans cesse, de croiser des récits qui s'emboitent, s'entuilent à la volée, sans cesse. A coeur joie dans une verve, une tonicité, un punch inégalé. Histoire des deux tours où chacun aurait perdu des membres de sa famille, épopée du colon de vacances qui croise John Lennon et devient la risée de ses interlocuteurs, histoire d'une cour d'immeuble incarnée par une des locataires...Le verbe et le corps en accord, en complicité, en alternance ou dissocié. Il faut les voir, les entendre ces dix comédiens hors pair qui se jettent à corps perdu dans le vide, se donnent et possèdent leur sujet avec engagement et ferveur. Très physique, le spectacle est performance et mise en espace fort judicieusement, distribuant emplacements, positionnements et changements à l'envi. Des mutations et métamorphoses de formes et structures corporelles comme architectures mouvantes à l'appui. Tout bascule, oscille dans le doute, tout se transforme au gré des attitudes, poses et postures pour mieux définir un espace, du mobilier, les interstices, des failles. La mise en mouvement est perpétuelle, riche en surprises, décalages, échos, ricochets. Chacun y tient le devant à tour de rôle, y prend la vedette comme ce médiateur arrogant et envahissant qui tente de prendre le dessus. Mais le choeur veille et joue son rôle, sa mission de régulateur qui commente, répond interroge. De plain pied, cette performance tient en haleine, portée par une meute, une horde disciplinée. Parfois sauvage et délivrée de ses fonctions de tampon, de médiateur. C'est jubilatoire et très professionnel, chorégraphié au cordeau, faisant place nette aux corps "buvards" jamais bavards. Le "portable" présent dans les sons des corps, les poses de selfie et autres repères sociétaux incontournables dans nos comportements d'aujourd'hui. Une interprète d'origine russe y fait un numéro traduit en direct pour nous immerger dans la différence qui bien vite se révèle leurre. Son français y devient impeccable et bluffant. Ces jeunes interprètes font chorus solidaire et intègre, où l'identité est préservée, l'altérité revendiquée dans de beaux textes scandés, rythmés, valorisés par ceux qui les portent, les transportent dans l'espace. La qualité gestuelle travaillée de main de maitre par Fanny de Chaillé, "experte" du dialogue et de l'échange pour bâtir des contrées extra-ordinaires. Simples pourtant en apparence, mais complexe dans la construction. Un plaisir qui ricoche et prend toute son ampleur dans l'aula du Palais Universitaire, lieu atypique, résonant et répercutant le son vivement. Réverbération et résonance de concert. Un choeur plein d'atouts, à cappella sans ornement ni excès, battements et pulsations pour credo. Au final un précipité récapitulatif condensé fait merveille ! On retricote les maillons de la chaine avec délice.
«Être en résidence à l’Université de Strasbourg
c’est prolonger dans ce lieu mon travail artistique car je crois aux
vertus de la transmission et du partage et que je défends un art du
théâtre qui s’appuie sur le regard actif du spectateur, sur sa
sensibilité et son intelligence, sans le surplomber. Un art du théâtre
sans a priori d’héritages et de sources, avec des artistes qui
réagencent des univers, pour raconter autrement, pour renouer avec la
puissance de l’ici et maintenant de la scène.
Un art du théâtre qui ne se pose plus la question
des disciplines, qui nourrit un dialogue ouvert avec la recherche, les
sciences humaines et politiques. Persuadée que la pensée se fabrique
dans le lien aux autres, l’université me semble être le lieu idéal pour
créer des dispositifs de rencontre et de recherche qui fabriquent des
ponts entre différentes disciplines.
S’emparer de textes philosophiques ardus, réactiver
une leçon inaugurale ou rejouer une scène mythique de Pina Bausch…
Revenir de l’absence de traces, ou au contraire copier des documents
très scrupuleusement, je souhaite interroger l’Archive dans la
perspective d’un présent de l’expérimentation, et proposer des ateliers
de pratique, des conférences, et des journées d’étude afin de faire
émerger une série de problématiques offertes autant à la recherche qu’à
l’enseignement.»
Fanny de Chaillé