samedi 11 mars 2023

"Mary Poppins": ciné concert: éblouissante version musicale d'une épopée cinémato-chorégraphique de haute voltige.


Film 
Robert Stevenson (États-Unis, 1964)
Musique Richard M.Sherman et Robert B.Sherman
 


Distribution
Dirk BROSSÉ direction
Lieu
Palais de la Musique et des Congrès les 10 et 11 Mars


Cinq fois récompensé aux Oscars, notamment pour la meilleure musique originale, Mary Poppins reste l’une des références du film musical. Soixante ans après sa sortie, ce classique des films Disney est présenté en ciné-concert : l’occasion de redécouvrir en famille cette comédie musicale aux thèmes intemporels.Un régal de redécouvrir ce chef d’œuvre du film d'animation et d'incrustation de première génération. Avec en régalade l'orchestration magistrale en "live" de la musique originale intégrale. Il faut dire que l’exercice est périlleux et redoutable tant la métrique, le rythme des images imperturbable dans le temps doit être maitrisé au millimètre près! Un métronome et un "mètre-maitre à danser" de haute précision. Défi largement assuré et assumé par l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui semblait ce soir là jubiler et se délecter par cette pratique incongrue et originale. Les séquences se succèdent rythmiquement domptées entre temps du film, images et musique exécutée en direct. On se plait à retrouver la danse des pingouins, entre imagerie très "Walt Disney" et images réelles. De toute actualité graphique qui n'a pas pris une ride tant l'efficacité technique et poétique s'y rejoignent. Avec aisance et sans fard.La danse des ramoneurs reste un chef d'oeuvre chorégraphique acrobatique et virtuose, humoristique et très relevé. Une référence en la matière de comédie musicale de haute voltige :Marc Breaux et Dee Dee Wood pour maitre d'oeuvre.Et la magie opère, la musique inondant l'écran, renforçant la narration et le scénario fort judicieux: pas de morale à ce conte de fée, mais une leçon de savoir être et d'humanité, rare et fondateur pour les bambins et jeunes spectateurs, fort nombreux à assister à ce "ciné-concert" live de toute beauté. Une découverte de l'importance de "la musique de film" à déguster sans modération. Sous la baguette-houlette de  Dirk Brossé, un chef audacieux, généreux. Ainsi les "tubes" du film bien repérables "Chem cheminée", "un morceau de sucre" et "supercalifragilisticexpialidocious" vont bon train et sonnent comme des références de l’inconscient collectif musical forgé par notre mémoire et nos sens! Du bel ouvrage pour un public conquis, fredonnant ces thèmes de choix en chorus à l'issue de la projection! Que du bonheur pour cette odyssée, mélodie intemporelle de notre enfance. Couleurs et costumes, figures et personnages kitsch à l'envi mais si attachants et humains, qu'on s'y retrouve aisément: conte de faits et de fée bienveillante et humble, famille recomposée par miracle par une aventurière de charme gracieuse, lyrique et à la musicalité naturelle sidérante.Julie Andrews fabuleuse nurse et Dick van Dyke en danseur et poète de génie!



"Grand Palais" : un modéle et son peintre. Retour de palais... pour Bacon, la muse, le bourreau et le sibyllin.

"En octobre 1971, une grande rétrospective de l’oeuvre de Francis Bacon a lieu au Grand Palais à Paris − avec, sur nombre de toiles, une figure masculine, celle de George Dyer, qui fut l’amant et modèle du peintre britannique. Le public, qui le découvre via les tableaux, ignore qu’il s’est suicidé deux jours avant l’inauguration, dans les toilettes de leur luxueuse chambre d’hôtel. Grand Palais est la rencontre des écritures de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, habitant chacun les sensibilités et langages si différents de Bacon et Dyer. Pascal Kirsch met en scène, avec trois acteurs et un musicien, ces paysages mentaux peuplés de corps, de sensations, d’images indélébiles par-delà la mort."

Le plateau est habité par un mur-miroir réfléchissant, mécanique de la déformation, de la métamorphose. La lumière diffracte cette surface lisse, quatre panneaux pourraient déjà évoquer les toiles de Bacon, souvent exposées en triptyque à la verticale...Le personnage qui se profile sur ce tapis rouge en frontal qui crisse sous ses pas, est celui du peintre qui s'interroge sur le phénomène des images, des icônes. Son travail en quelque sorte.Une silhouette s'invente comme un spectre dans cet univers étrange traversé par l'évocation des peintres mentors de Bacon. Appuyés par des images surdimensionnées en vidéo de leurs oeuvres. Hanté par ses maitres, le voilà aux prises avec son modèle, amant turbulent qui fait irruption dans son monde fantasque et pervers.Ce n'est pas vraiment de l'empathie que l'on ressent à son égard, homme farouche, implacable maitre et autoritaire artiste démiurge. Ne pas "déranger" son ordre de perversion, de flatterie face à un être qui souffre, qui se meurt dans l'âme et qui hurle sa douleur et son manque d'amour.Arthur Naucyciel s'y colle à ce tyran toxique qui jouit de son pouvoir, de sa célébrité au détriment de sa muse.Dahlias à la boutonnière et autres atours séducteurs en main.Bourreau de coeur et d'âme à l'envi. Ses gestes sont pourtant calmes, ouverts à l'abri de tout soupçon, libres et quasi gracieux...Alors que près de lui ou dans l'ombre se meut son amant Georges Dyer incarné par Vincent Dissez, perturbé, en déséquilibre inquiétant. Le corps accueillant la chorégraphie tranquille signée Thierry Thieu Niang qui comme a son habitude respecte morphologie et capacité des comédiens pour accentuer leurs qualités de gestes, les conduire vers un inconnu insoupçonné de leur talent, de leur présence Ainsi un pas de deux frontal, duo sans contact, parallélisme où la gestuelle diverge: l'un gracile et ondoyant, à l'aise, l'autre encore crispé par la certitude d'être le meilleur, le célèbre au firmament,de la critique . Convoquant sempiternellement son maitre Eadweard Muybridge pour ses recherches sur la "Locomotion" ce qui émeut et met en marche, en mouvement, tout corps humain ou animal. Des images en vidéo projetées pour illustrer cette obsession artistique, modèle ou référence redondante.Le texte pour souligner cette dichotomie, cet écart entre les deux personnages, tissé à quatre mains par Julien Gaillard et Frédéric Vossier: composition quasi musicale où les deux écritures se mêlent et se confondent.Quant à un autre personnage, la musique, elle se fait discrète autant qu'omniprésente sous les doigts d'une guitare cachée, dissimulée aux regards du spectateur. C'est Richard Comte qui improvise ou se colle aux failles rythmiques du texte pour s’immiscer dans cette atmosphère glauque, ce chant de douleur ou d'amour. Avec mesure ou démesure, lyrisme dissimulé ou élégance convoquée comme une danse à fleur de peau. La scénographie magnifie la métamorphose des corps en reflets mécaniques sur la surface concave ou convexe de la paroi miroitante. Comme les corps des personnages peints de Bacon qui mutent, assis sur des socles ou "cabinet" eux aussi aux formes molles improbables supports d'appui.Danse et mise en mouvement singuliers pour ces acteurs imbus de leurs personnages parfois agaçants, odieux. Pascal Kirsch opérant pour le flou, la galbe des courbes plastiques et picturales, le trouble qui se déplace et se transforme à l'envi sous nos yeux. Ce "grand palais" comme un retour en bouche, un gout , des saveurs amères ou acides, une atmosphère loin de la fête même si beuverie et extravagance, excès et bavures illimitées jonchent l'univers de ces créatures pas toujours de rêve Un Sibyllin, Guillaume Costanza comme pour commenter à la façon du choeur les us et coutumes de ces deux protagonistes du "mal" être. Un Sibyllin est un adjectif utilisé pour définir un discours ou un texte qui est difficile à comprendre. Cela peut être mystérieux ou trop complexe ...Une pièce extra-ordinaire comme son propos où évoquer Bacon est un challenge, un exercice de style et de forme à la limite de l'impossible...De l'incertain de ses compositions picturales, triptyque insaisissable de la matière corporelle jouissive.Gravir les marches du Grand Palais: un pari gagné sans dérouler le tapis rouge.

 Aiguiser le Palais et lui ôter son voile pour mieux chanter!

Julien Gaillard est auteur, poète, acteur et metteur en scène. En 2017, les spectateur·rice·s du TNS ont pu voir, mis en scène par Simon Delétang, Tarkovski, le corps du poète, dont il a écrit la troisième partie. Frédéric Vossier est auteur, conseiller artistique au TNS et dirige la revue PARAGES. En 2021, Anne Théron a créé sa pièce Condor. Pascal Kirsch est metteur en scène. Il a dirigé le lieu Naxos-Bobine, situé à Paris, de 2014 à 2016.

Au TNS du 10 au 16 Mars

vendredi 10 mars 2023

"L'eau douce": bain de jouvence ou "aquatic show" ? Nathalie Pernette fait un "tub" !

 


Nathalie Pernette Cie Pernette France solo création 2021

L’Eau douce

De la nature à l’imaginaire, Nathalie Pernette invite les plus jeunes à voyager dans les mondes fantastiques de l’eau. Sur le plateau, roche, nuage et lueurs bleutés accueillent ou révèlent d’étranges personnages interprétés en solo par une danseuse. Images et corps conduisent cette rêverie chorégraphique comme une vague légère oscillant entre mystère et découverte.

 


Selon la chorégraphe, l’eau – tout à la fois sombre et limpide, douce et furieuse, joueuse et ténébreuse, peuplée d’êtres fantastiques, réels ou imaginaires – offre toutes les qualités pour faire l’objet d’un spectacle. Dotée de consistances variées : liquide et imprévisible, solide comme la glace ou nuageuse comme la vapeur, elle se métamorphose et garde encore tout son mystère. Qui plus est, l’eau a de tous temps inspiré des figures de légendes qui inquiètent ou rassurent selon les cas.
Hanter des espaces particuliers, comme ici celui de l’eau, est l’une des spécialités de Nathalie Pernette. Immergée dans l’infinie puissance évocatrice de cet insaisissable élément, la chorégraphe agence ces variations aquatiques en trois temps et mouvements : d’emblée sombre, l’eau se fait douce puis festive. Elle manifeste des humeurs et des émotions, vogue du chagrin à la colère et ses tempêtes. Elle s’amuse enfin en renouant avec les jeux de l’enfance auxquels elle nous invite. Ainsi Nathalie Pernette fait du langage de l’eau une réalité poétique en prise directe avec les corps et leur environnement.

Ambiance venteuse et glacée sur le plateau: serait-on au "Pole Nord" dans le froid devant un glacier bleu, une sculpture de séracs craquants sous la pression atmosphérique? Une sorte de géométrie en volume, relief gigantesque d'une tectonique archaïque...Une banquise, un iceberg échoué à la dérive.. En costume bleu-gris, chevelure en extension cendrée un étrange oiseau mécanique s'ébat en mouvements vifs, saccadés, mécaniques. Drôle de bestiole ou d'être mi pantin, mi marionnette sous la neige. L'ambiance serait celle d'une grotte avec les craquements et sons de goutte à goutte cavernicoles: petite balade spéléologique humide et fraiche, très "sensible" et sensorielle. Des cris, des halètements sourdent de nulle part comme une respiration retenue. Notre étrange créature hybride se meut à l'envi, mouvements tétaniques ou fluides selon l'humeur. Gestes décomposés, fragmentés, à angle droit comme la sculpture à la Xavier Veilhan. Le plan géologique se fait couvercle, nuage, cocotte en papier géante dans une lumière bleu-vert glaçante. Le bruit de l'eau qui goutte en fond musical obsédant.Puis retirant sa chevelure tressée, notre être vivant plonge dans le bac à eau, le "tube",sorte de bassin rempli de fluide. Elle-il se mouille, se trempe s'immerge dans ce bain de jouvence, éclabousse de jets d'eau son espace et jaillit avec grâce et volupté de son milieu aquatique. Les bras et les mains en forme de cou de cygne, le corps allongé baignant dans le liquide. Nid ou niche aquatique de bon aloi. Être amphibie, dans des giclures de perles de pluie. C'est très esthétisant et beau, plein de charme et de plasticité. Cette archéologie du corps baignant dans un liquide amniotique fait rêver. Notre petit "monstre" salamandre ou reptile des temps anciens se fait grotesque dans des mimiques suggestives. Muette, notre créature se fond dans son environnement, mimétisme à l'appui. Et la clepsydre du temps se fait sablier, compte goutte . Beaucoup de poésie pour ce solo , monologue déroutant d'une âme quasi butô, spectre vivant et luciole des temps anciens. Une plongée salvatrice au coeur des strates en palimpseste du temps et de l'espace fossilisés. Nathalie Pernette en chercheuse d'espèces d'espaces à conquérir par une danse sobre, mesurée, parfois grotesque et inspirée des éléments fondateurs: l'eau, l'air et les sons: une vie d'ange céleste et fluide!

A Pole Sud jusqu'au 10 Mars