dimanche 4 janvier 2015

Vollmond, "pleine lune" de Pina Bausch

Vollmond © LAURENT PHILIPPE
C’est un motif éminemment poétique qui inspire cette pièce. L’eau, source de vie, de danse : eau de pluie ou de rivière, eau dont on s’abreuve ou que l’on recrache, eau dans laquelle on s’ébat, on célèbre, on jouit… L’eau irrigue le décor. La scénographie sublime de Peter Pabst constitue un paysage scindé en deux : au fond du plateau, un rocher bordé d’un lit d’eau et irrigué par une pluie intermittente ; et, au premier plan, à l’ombre de la pierre, un espace nocturne dépouillé.

L’eau imprègne aussi la dramaturgie. Chaque scène donne à voir une métonymie de l’élément liquide : bouteilles, verres, bassines, jus, sève, gouttes. En dehors de ce « fil », il n’existe aucune continuité narrative. Des solos qui concentrent la danse et des séquences théâtrales cocasses se succèdent, s’écoulent. Dès l’ouverture, deux hommes répètent le même geste du bras avec des bouteilles vides à la main : ils rendent tangible (audible et visible) le vent, sa forme, sa musique, avant d’être chassés par un troisième individu qui fouette l’air avec un bâton. Tous les éléments qui relèvent de la danse – l’énergie, le mouvement, l’espace, le rythme – se trouvent ainsi exposés et liés au thème de l’eau, de la nature. L’homme au bâton entame alors un solo époustouflant, une danse-transe hypnotique, fluide, sur une bande-son qui prend les spectateurs aux tripes.

Les scènes qui suivent, théâtre ou danse, parlent des rituels quotidiens des femmes et des hommes, de leurs jeux de séduction sensuels et ludiques (se dévêtir, adopter des poses, courir vers l’autre, s’effondrer), de l’espace entre les êtres, du temps qui coule. Une femme espagnole explique par exemple que la nuit sera chaude et met sa ceinture de chasteté. Une Ophélie glisse sur l’eau. Des Néréides nagent. Deux hommes disputent âprement un match viril, qui ressemble à un numéro de cirque, avec des cailloux ou des verres d’eau. Deux femmes aux longues robes et chevelures sensuelles et mouillées minaudent et désarticulent leur corps comme des poupées.

Ces saynètes, parfois gratuites, qui mêlent les registres absurde, pathétique ou lyrique, représentent l’humanité. En effet, les douze interprètes de la compagnie ne sont pas des personnages. Ils incarnent l’être humain, avec ses passions, sa solitude, sa violence, ses larmes, sa tendresse. Les générations, les origines culturelles ou les nationalités sont donc confondues sur scène.

Tous ces artistes sont engagés dans un travail sur l’inconscient, sur la représentation d’expériences intimes à partir du corps, sur une danse qui vient de l’intérieur. D’ailleurs tous se « mouillent » avec jubilation et fureur dans Vollmond, notamment dans le déluge final, qui constitue une sorte de mise en abyme du spectacle : improvisations, solos exceptionnels, mouvements d’ensemble. En d’autres termes, performances théâtrales et chorégraphiques se fondent pour former un baptême de la danse inouï, un hymne puissant à la vie. Tant d’esthétisme inonde le cœur. Merci, Pina. 

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