vendredi 6 octobre 2017

Ensemble Linéa à Musica: la fabrique du son


Un concert particulier, dédié à la mémoire de Klaus Hubert, décédé très recement, maître et inspirateur de tant de musiciens dont le chef de Linea qui lui rend hommage en préambule: émouvant!
Fondé par Jean-Philippe Wurtz en 1998, l’Ensemble Linea est un habitué du festival. Le concert qu’il propose cette année entretient des liens profonds avec l’Académie de composition Philippe Manoury – Festival Musica, dont il fut en 2015 l’ensemble associé. Son programme réunit en effet les deux professeurs de composition de l’Académie 2017, Philippe Hurel et Daniel D’Adamo (qui en est par ailleurs le coordinateur artistique et pédagogique), à Amadeus Regucera, lauréat de l’Académie 2015. Le festival lui avait alors passé commande... l’heure est venue de la découvrir en création.....mondiale!

"Frontières/Alliages" de Daniel d'Adamo démarre le session, cor, percussions, marimbas en petites touches pour préambule. Ca fuse, ça vrombit en coups de tonnerre,puis selon des volumes sonores changeants: des sons métalliques, de longues tenues étranges et les discrètes percussions, minutieuses, sons de boite à musique, clochettes et grelots, tintinnabulent.Des gouttelettes d'eau suspendues comme dans un conte de fées!Enchantement énigmatique, très subtil à la clef.L'alliance de tous les instruments, vents et cordes en poupe, réactivent le mouvement agité de ses eaux dormantes.Un univers puissant, scintillant en gazouillis vif argent et volubiles. Ca étincelle , miroite et réfléchit le son en turbulences animées, mouvementées Des sonorités plurielles et multiples, les vents embouchés par les sourdines, des baguettes de bois pour évoquer une atmosphère de travail, métallique et terrestres.
"Torso of Air/Flesh" de Amadéus Regucera sera la surprise, bienvenue et fait judicieusement suite .
Tel un atelier de ferrailleurs, une forge en effervescence, des frappements ordonnent et scandent un rythme infernal: celui du feu qui transforme et métamorphose la matière.Des sons inédits se façonnent , entremêlés ou en "solitaires" Une véritable usine, paysage industriel, se dessine, fabrique de sons, grinçants, tranchants: le monde du travail, du labeur s'y installe: c'est visionnaire et très palpable et perceptible. Le travail puise et épuise les forces des interprètes, eux aussi galvanisés par ces triturations et modelages de matière: charnelles, sensuelles et "érotiques" selon l'auteur compositeur.On se croirait sur un port fluvial ou maritime, en partance, sur un chantier en effervescence. D'où proviennent les sons? Il suffit de regarder la musique pour identifier chacun et s'en émerveiller. Corps et graphie, tracés, phrasés sonores forment une syntaxe éloquente, calligraphie qui secoue, remue, le  prolongement des instruments, rivés au corps des musiciens, en fait des sculptures vivantes résonantes. On invente, crée du son à foison vers un onirisme très matérialiste, une mise en valeur par le regard et l'écoute de cet opus singulier, indisciplinaire!
Des claquements de cordes comme des flagellations, des détonations de pétard, des salves lancées au loin, des éclaboussures, ratures et autres"gribouillages" savants en feraient une toile de Cy Trombly!
C'est géant et gargantuesque; des voix, des souffles insufflent vie et chaleur, sensualité et respirations vitales, des murmures sourdent des poumons-vents des musiciens. Les cordes rugissent et cette machinerie des temps modernes, ce mécanique grippé, rouillé éclate en tension-détente comme chez Martha Graham.L'intime/ Extime s'y révèle, rivé au corps dans une véritable énergie Un univers industriel , dynamique de moteurs, de ralentis en compose une atmosphère quasi futuriste, aérodynamique!
 Le corps impliqué dans des postures qui génèrent la facture des sons, en érection,, sons de tôles, d'acier, dignes de Iron Man, poulies et ressorts...
"Pour l'image" de Philippe Hurel, clot ce chapitre et s'inscrit dans ces œuvres "lumineuses" et bouillonnantes comme des eaux qui scintillent et impose un style agité, bruissant, vivant.Les amplitudes et l'envergure sonore, les graves soulignent la présence des cordes et des vents, puissants moteurs de la dynamique. De lents va et vient, avancent, bouillons, émulsion et cuisson exacte et précise des sons, comme en cuisine moléculaire, inventive et inspirée. Deux marimbas, claires et discrètes parsèment les sons, fabriquent des contrastes saisissants.Et couvrent le tout, en éclats et jets de sonorités inédites.Les espaces s'entrouvrent et l'on y pénètre dans cette masse sonore comme dans un laboratoire en ébullition;comme dans une clairière aérée, ouverte d'une forêt de fut et taillis, dense à défricher. Paysage animé, impressionniste, imposant, martial aussi par son architecture soulignée de fondamentaux. Glissades, vagues et remous pour se laisser conduire dans ces avancées, marées montantes et déferlement submergeants.
L'ensemble Linea, toujours performant et "sensible" espace musical ouvert et fraternel réussit une performance toute de ferveur, audace et engagement.

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