dimanche 1 octobre 2017

"Le Encantadas" de Olga Neuwirth: boire l'ambroisie !


Un concert spatialisé extra-ordinaire au delà des possibles....
Entretenant avec les autres arts une relation toujours féconde et inspirante, Olga Neuwirth, compositrice autrichienne, revient cette année avec Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie (Les îles enchantées ou les aventures en mer des merveilles), créé en 2015 au festival de Donaueschingen par l’Ensemble intercontemporain – qui l’interpréte à nouveau ici, sous la baguette de Léo Warynski. 
On plonge d’emblée dans l'univers aquatique de Venise: dans la salle du Point d'Eau, transformée pour l'occasion en espace ouvert, la cérémonie commence: entourée de six plateaux, estrades; le public est immergé dans le son, au coeur de la fabrique de cette "allumeuse de réverbération" qu'est l'auteure. On rame sur la Lagune, bruits de bateaux, de gondoles, paysage sonore pré-enregistré pour mieux se glisser dans cet univers fluide. Des archets sur du polystyrène, des objets vernaculaires égrènent les sonorités distribuées savamment par tous les autres instruments acoustiques.
Une porte se referme: ambiance étrange et glaciale: serions-nous à présent captifs, capturés, prisonniers? De l'autre côté du miroir, assurément! Dans l'antre mystérieuse, la matrice des sons, la fabrique infernale d'une alchimie de mutation, de métamorphose. Laboratoire "magnétique" et électroacoustique de la musique...
Des sons tournants, un parc sonore, attirail ingénieux, bruitages à suspens. Des trombones éclatent, sonores, martiaux qui distribuent le son en spirale.Vrombissement de percussions et turbulences d'un séisme annoncé. Comme des eaux délivrées d'un barrage qui se fend, le déferlement des sonorités inonde l'espace, en débordements ou retenues ultime résistance aux flux et reflux. Les sons se dispersent ou s'isolent: un drame se profile, une "annonciation" se révèle, des cloches décomptent le temps. L'écho des percussions, la réverbération du son en miroir qui reflète des images très irréelles de Ville d'Ys engloutie par les eaux.Le temps de la course du son, de sa fugue ou fuite à travers la salle, en l'on ressent organiquement ce bain de "jouvence". Le son se répercute et se passe comme un "témoin", qui prend le relais, flambeau de la passation et dispersion du son: le virtuel et le charnel: celui délivré par les 28 musiciens, organisés dans l'espace scénographique au profit d'une écoute "totale".Au tour des violons, des flûtes d'évoquer un niveau d'eau qui monte et submerge; des voix enregistrées, monacales psalmodies, intemporelles, angéliques, sous des voûtes d'abbatiales annoncent une félicité promise: boire l'ambroisie jusqu'à la lie, hallalie de cette messe jouissive.
Partagée par des païens consentants et hypnotisés, ravis par tant d'atmosphère irréelle.Ouverture des digues qui déversent des flots de sons, amplification du volume sonore: on flotte sans surnager: l'étirement de l'espace invite à s'y fondre, s'y répandre comme un corps sonore impliqué dans le processus de création. Glockenspiel, beffroi, menaces des sons graves des contrebasses: tout un réseau de circulation du son s'installe, rhizome, comme un mycélium, ou un champ de végétaux qui marcottent. On ne dérive pas dans cet univers très contrôlé, maîtrise, dirigé, mesuré.
Comme dans une symphonie majeure, gigantesque fresque liturgique profane, comme dans une termitière qui pulse et évacue le son, tentaculaire, grouillant. Une "ville invisible" s'y construit, peuplée de voix de synthèse, électroniques dignes de bulles de manga.Des vibrations telluriques, terrestres pour ce volcan jamais éteint où la lave bouillonne.
Entre eau et feu, les éléments fusionnent .
On est assailli et "charmé", "ravi", subjugué par cette oeuvre dantesque: un ailleurs de zombies, franchi pour accéder à un irrationnel et virtuel monde.Et si le voyage ressemblait à une odyssée de l'espace", Kubrick y retrouverait bien ses petits!
Par la grâce d’un dispositif Ircam permettant de déplacer dans n’importe quelle salle de concert l’acoustique de l’église San Lorenzo de Venise, l’auditeur est installé dans une «arche des rêves» partant de cette église pour voyager, «à travers l’espace et le temps, d’une île à l’autre, et sur les mers agitées...
Bon voyage: l'accostage se fait en douceur cependant et "e la nave va" !
A l'eau, Olga, ce jacuzzi fut salvateur, turbulences garanties!

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