jeudi 12 octobre 2017

"Le pays lointain" Lagarce-Hervieu-Léger: famille, je vous hais ! Je vous adore!

Le Pays lointain, que met en scène Clément Hervieu-Léger, est la dernière pièce de Jean-Luc Lagarce, aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France. 

Sachant qu’il va mourir, Louis, pas même âgé de quarante ans, décide de retourner vers sa famille pour l’annoncer.
Dans ce voyage, où présent et passé se mêlent, il traverse ce que furent les vingt dernières années de sa vie : la nouvelle famille qu’il s’est choisie, son amant mort, ses amours possibles ou vécus, son travail d’écrivain... Un chemin chaotique, poignant, plein d’humour aussi, vers l’ultime confrontation.
Scènes de chasse en famille
Convoquer les fantômes dans un décor de no man's land, parking peu éclairé par un long lampadaire, voiture abandonnée, défoncée, palissade: tout servira ici une atmosphère de mort, de recherche du passé, composé, d'une famille qui se cherche. Chacun des membres ou proches respire quelque chose de suranné, et le malaise gronde Quatre heures duran t: les onze personnages ne quitteront pas le plateau, jeu d'échecs sans fin où les pions avancent, reculent, sautent et filent comme des fous sous l’œil bienveillant de la mère, la tour et l'absence spectrale du père, le roi.Les cavaliers autour s'agitent, se racontent et dévoile le passé à corps perdu, jetés dans la bataille.C'est la curée dans cette chasse à courre où l’hallali appelle à se rendre, capituler devant les pouvoirs ou faiblesses de chaque membre de la famille qui se déchire devant nous.
La boite de Pandore
Famille, je vous aime, serait-on tenté d'esquisser en commentaire mais aussi , je vous hais, celle que l'on a pas choisie Et même les amis, ceux de Louis, le centre du récit, vont le trahir ou l'acculer à se dévoiler. Des "abandonnés" à leur propre sort...
Ils-les comédiens-campent cette humaine assemblée, agora du verbe, du dire et de la parole avouée; Les gestes sont éloquents, la mise en scène sobre et mesurée: ils gravitent, se tiennent à l'écart-pour les deux fantômes, père et amant-perchés sur la balustrade...La carcasse de l'automobile sert d'écrin à des pulsions amoureuses entre hommes, épave qui renferme comme une boite de Pandore, tous les "mots", les maux de ce microcosme.
On salut les interprétations de Audrey Bonnet, la sœur rebelle, de Nadia Stancar, la mère trop présente, maître de cérémonie,  de cette épopée, digne d'un Molière ou Marivaux
Et bien sûr, la performance de Loic Corbery, un Louis, perdu, égaré, sincère, paumé dans ce jeu de quilles où qui perd, gagne
On songe à la version cinématographique de Xavier Dolan "Juste la Fin du Monde"et le texte de Lagarce prend force et fureur, douceur aussi, des amours interdits ou censurés...Aux "Règles du savoir vivre dans la société moderne" qui inspira Odile Duboc et Françoise Michel, férues de Lagarce: corps impliqués comme dans le travail de cette chorégraphe, aujourd'hui, elle aussi, disparue. "Chercher comment recharger chaque soir un geste de sa vérité du moment ». Un journal intime proche de Lagarce, incarné par un collectif, soudé par la connaissance des textes et la complicité avec toute cette génération d'auteurs sensibles, pétris de culture contemporaine cinématographique.
Pasolini, n'est pas loin avec son "Théorème", son personnage angélique, trublion de famille, vilain petit canard claudiquant, pavé dans la marre familiale!

Au TNS jusqu'au 13 Octobre
sacdac

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