dimanche 1 décembre 2019

"se mettre dans la peau de quelqu'un" : habiter, endosser le monde et s'en vêtir !!


patrick meyer – dimossios
ergasia : 
textes - lecture
emmanuelle konstantinidis : danse
louis michel marion : contrebasse



Une expérience de poésie opérative

Textes :
christine orizzonti : inventaire
anna magdalena compleano : fig leaf -

marcus dive :questions pour le rite des petits riens - 
van thi than : la recension des morts 
élisabeth errigal : petite cérémonie -
eliot irgendwo : géographie - 

bmw / berislav mitrofan wyschnegradsky : spamfighter - 
calool sha : estomac
costumes : léa schüttelbirne 

vidéo : ingeborg bîra

Changer de peau
C'est au MAMCS que se termine le cycle de quatre performances singulières, signées conjointement par Patrick Meyer, poète plasticien et Emmanuelle Konstantinidis, danseuse performeuse  De toute sa peau elle va irradier les séquences qui vont s'enchainer au coeur de l'architecture, des salles et espaces communs du musée. Les oeuvres, parfois en écho, parfois pas du tout; mais là n'est pas le propos. Lui, verbalise, éructe, psalmodie textes et poèmes, joue avec les mots, les sonorités et les opportunités acoustiques. Chaque étape, chaque pause ou station de ce chemin de croix jubilatoire se ponctuent d'attitudes, postures ou poses du récitant, conteur animé des plus nobles intentions et attentions au regard de la danseuse qui s'immisce, discrète dans ce paysage textuel et sonore, plastique et architectural. L' "Inventaire" en amuse bouche, mise en bouche d'une atmosphère légère, le public réuni nombreux autour de ce quatuor , performeurs et musicien,niché au fond de la grande nef du musée parmi des installations plasticiennes , tente de nomade ou abris de SDF des loques de vêtements jonchant le sol...Elle apparaît, silhouette gracile et précieuse, semblant doubler ou contredire, contrecarrer les paroles de cet escogriffe en veste et marcel blanc, travailleur du verbe, colporteur d'images sonores, de sensations poétiques.Elle danseuse, statuaire plastiquement parfaite, corps lisse, modelé,les muscles galbés, le costume seyant, juste au corps moulant, dévoilant des formes sculpturales idéales. Un corps émouvant au regard de la banalité de celui qui s'exprime, les yeux grands ouverts, haranguant la foule, tenant en haleine comme un bateleur l'écoute de la masse compacte vivante réunie autour d'eux.Scène remarquable dans le champ muséal consacré à  Hans Arp où le comédien continue sa causerie, alors que la danseuse, à l'extérieur du musée, se colle à la vitre, déformant son visage, devenant une autre en se sculptant d'autres formes molles qui se répandent sur le vitrage! Au dehors des visiteurs intrigués s'arrêtent, s'interrogent; au dedans on vibre avec cette femme qui danse la transformation, l'inversion des genres, trans-mutante, se métamorphosant en miroir déformant....Etre dans la peau de quelqu'un d'autre en se dépassant !Puis c'est la montée au ciel par l'escalator et la naissance de la rencontre entre danse et poésie: elle s'accroche à la rembarre de la passerelle qui orne la nef, prend ses appuis sur le corps de l'autre qui résiste ou se rend : duo de chair et de mots, de contact et de frôlement de peaux: peau sur peau, érotisme discret et volupté garantis. Sensuelle, Emmanuelle n'a rien d'un ange et séduit, contourne son corps, l'enveloppe, le conquiert: je t'ai dans la peau !
On voyage avec eux, suivant le guide qui brandit un petit ours en peluche rose brodé de ce mot magique "peau", objet transitionnel qui ne le quittera pas! La peau de l'autre, la peau du monde, celle de la danseuse, de ses pores qui exhalent le souffle, l'eau et la vie, la transpiration, comme chez Jan Fabre....Je suis peau, je suis acteur de cette cérémonie aux accents paiens, détournés, inversés, dégenrés. Lui en peau d'ours, elle en nuisette à la Pina Bausch, ou en short sexy pour une danse délicieuse, exotique au sein d'une salle étroite du musée. Dans l'oeuvre installée comme une cabane bardée de chaines, de cliquetis et autres barriques de bière, elle fait office de cariatide, alors que les trois autres compères opèrent une danse agitée. On les suit vaillamment dans une ambiance festive de cavalcade, de défilé carnavalesque au sein d'une institution sérieuse! Danse et verbe pas sages du tout, passages dans l'espace qui résonne avec les socles des installations, le phylactère déroulé de photographies caressées par la femme qui danse à travers ce monde imaginaire, rehaussé par la présence des oeuvres. Comme un léporello qui s'ouvre à l'infini et trace un chemin de l'âne, juste pour le plaisir d'aller là où l'on veut!
Belle prestation inventive où même Barack Obama s'illustre par son incongruité singulière et s'invite démultiplié par des masques confiés aux spectateurs!
C'est drôle et décalé, surprenant et désopilant.La danse toujours fluide et présente.
Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué !
Cette peau dans laquelle chacun voudrait se glisser pour être un autre est bel et bien au centre du questionnement: alors pourquoi ne pas clore ces chapitres par un petit bal perdu sur la cursive du musée, chacun invité à se mouvoir tout près, proche d'un autre!
Se glisser dans la peau d'un autre, expérimenter l'impossible, rêver d'être à leur place, ici et maintenant, dans la grâce et la félicité de la danse, dans la rudesse des textes, dans la bouche et sur les lèvres du conteur récitant: être pour de bon, une fois "dans la peau de quelqu'un d'autre" !

Au MAMCS le 1 Décembre

1 commentaires:

Unknown a dit…

Chère Geneviève
Merci pour ce beau texte émouvant, à la fois précis et vivant, poétique et analytique qui sans hésiter colle avec justesse à la peau des personnages.
Tu as sans hésiter saisi leurs démarches et leurs soucis et le plaisir qu’ils en tirent.
Chaque Musée aura donné de son jus et de sa pertinence.
Merci de t’être mise en exégète des mots, des mouvements et des sons dans l’œil du cyclone.
Patrick

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