samedi 11 janvier 2020

"Regards croisés": Ligeti, Malher: de l'audace toujours de l'audace!

Programme 
Ligeti : Concerto pour un violon et orchestre.
Mahler : Symphonie n°4 en sol majeur.
 Distribution
Marko LETONJA : direction, Charlotte JUILLARD : violon, Genia Kuhmeyer : soprano

"En rassemblant le Concerto pour violon de Ligeti et la Symphonie n°4 de Mahler, Marko Letonja installe un élégant dialogue entre les deux compositeurs à travers des partitions profondément lyriques. S’y côtoient des climats contrastés, allant de la joie à la violence, en passant par l’ironie. Le Final de la quatrième symphonie – avec le Lied Das himmlische Leben (La Vie céleste) – demeure néanmoins une conclusion en forme d’apaisement intérieur d’une intense pureté dans laquelle se dissout tout sarcasme."

Beau programme devant un parterre comble pour ce premier concert de la rentrée: 2020 tisse des liens, franchit des passerelles entre siècles et esthétiques...Comme à l'accoutumé désormais mais encore avec panache et surprise, décalage et déphasage en poupe.

Ligeti surprend, étonne, décale avec cette oeuvre pour violon et orchestre qui démarre avec une étrange introduction, prélude à ce qui suivra: dissonances, inconfort de l'écoute secouée par un anticonformisme de l'écriture musicale: de juxtapositions de timbres audacieuses à des surexpositions de fréquences qui vibrent et s’immiscent dans le champ sonore avec audace et curiosité. Vous avez dit "bizarre" pourrait-on affirmer ou glisser à l'oreille de son voisin: les cinq mouvements s’enchaînent, solo de violon en exergue pour magnifier une syntaxe étonnante, bordée de touches impressionnistes comme un tableau vibrant de sons et de timbres, comme une toile distendue, froissée: couleurs sonores aiguës, stridentes, rehaussées par l'intervention du basson, du cor: les cordes s'affolent, le rythme aussi: ça frôle l’inouï, ça bruisse, ça se frotte bizarre dans des sons irritants quasi désagréables à l'écoute.Dans "l"imparfait", le "défaut", le décalé" de ce qui dans une série ou collection atteste de la difficulté de la composition, de la fabrication. Les sons sortent de l'ordinaire et brisent les conventions de l’ordonnance.Une écriture extrême, complexe, savante, sophistiquée, portée par l'orchestre réduit qui excelle dans l'interprétation toujours pertinente de l'opus au programme. Dérapages contrôlés par la main de maitre du chef et la soliste violoniste adorée du public. Le troisième mouvement plus enjoué, volubile, volatile transporte par sa fulgurance, crescendo, dans l'ensemble ascendant d'un effet très court, bref et pertinent. Retour à l'ordre et au calme dans un filtre de musique infime, ligne sonore distinguée, sur le fil des cordes du violon solo: filet de son sans fin qui s'étire à l'infini. Du grand art d'interprète pour Charlotte Juillard, en robe longue fleurie, silhouette fine et attentive, comme l'oeuvre qu'elle incarne avec brio.Suspens dramaturgique, éloquence des cordes tendues dans une atmosphère singulière. Puis c'est la tempête des vents, la liesse des cordes qui atteint des sommets , dessinent une mélodie éphémère, fragile dans le froissement des alti. Des contrastes saisissants intriguent, déroutent, séduisent aussi une écoute tendue, intranquille. Au final, un solo rageur du violon, insistant, fervent, virulent, obstiné: exercice virtuose dans la durée qui épate et conduit vers des univers sonores inédits. La soliste excelle et déclenche des applaudissements remarquables!

Deux rappels pour cette artiste hors pair qui associe ses pairs pour interpréter un "Chant de Nouvel An" de Bartok: un duo charmeur de deux femmes violonistes, nymphes inspirées par ces deux voix lointaines, ces cordes "vocales" qui dansent littéralement ce morceau empreint de folklore sautillant, enjoué, altier, quasi celtique, comme le son de cornemuse.
Le second rappel lui aussi inspiré de traditions dansantes, remue et fait vibrer les cordes des deux interprètes, homme et femme habités par la grâce du jeu musical, de la dextérité, du doigté: très distinguée passade légère, glissades et révérences, échos, réponses enjouées de l'un à l'autre dans une complicité remarquable. Danse, cadence endiablée qui déclenche encore un flot d'applaudissements.

L'effet clochette
A Malher, d'imposer à présent une écriture symphonique, un voyage en "calèche" clochettes et grelots en motifs récurrents pour une épopée brillante, puissante sur fond de succession de citations, de reprises de leitmotivs: ça tourbillonne allègrement, dans des transports enivrants qui ne laissent pas insensibles au "romantisme" d'une écriture savante pour grand orchestre.Une "marée" de violons comme un flux de dos de baleines, visions dantesque et visionnaire de tempête, des montagnes infranchissables au dessus des nuages, dans la fluidité d'un courant d'air salvateur...La musique transcende le climat, ça virevolte en valse fiévreuse, légère, endiablée, ça tangue en relevés, rehaussés de notes égrenées au fil d'une composition orageuse: une voix s'y glisse, comme un instrument à part entière, se fond dans l'orchestre, douce et tendre, insistante et convaincante: elle raconte une histoire, celle qu'on aurait jamais soupçonnée, celle des mots, alors que la musique transporte bien au delà et fait de cette soirée un enchantement.

Au PMC le 10 Janvier

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