mardi 28 janvier 2020

"Muyte maker": panique distinguée au poulaillier !

Flora Détraz / Cie PLI


Muyte Maker : "cages à oiseaux", "faiseur de troubles" , "soulèvement"

France, Portugal / 4 interprètes / 50'
Tableaux grotesques, chansons triviales, rien n’arrête le défilé des métamorphoses dans Muyte Maker. La pièce de Flora Détraz fait exulter les corps. Inextricablement liés, chants et danses s’y accordent et désaccordent au gré d’une sidérante bacchanale. De quoi est faite notre joie et quelles sont ses manifestations ? s’est demandé Flora Détraz en abordant la création de Muyte Maker. Chanter à pleine voix, éclater de rire à plusieurs, danser à l’aveugle, papoter avec volubilité, la joie serait-elle faite d’excès, de corps désobéissants et irrationnels comme en témoignent ses illustrations ? Au cœur de ce spectacle interprété par un quatuor d’interprètes féminines, danseuses et musiciennes, la joie est aussi force de résistance et de création. A la suite de ses précédentes pièces, Peuplements, Gesächt et Tutuguri, Flora Détraz explore la relation entre la voix et le mouvement, la danse et la musique, en immergeant sa recherche dans l’imaginaire médiéval et ses polyphonies, mais aussi « en abordant les corps dans une logique d’hybridation où sacré et profane se mêlent de manière incohérente et déroutante ». Véritable machine célibataire, cette pièce qui emprunte son titre à une ancienne expression flamande signifiant « mutinerie », questionne aussi la représentation de la féminité et la place du corps dans nos sociétés.

Quatre paires de gambettes bien éclairées nous attendent sur scène, comme des personnages sans tronc dans des positions diverses.. Une chorale de "coucous", koukou's klang , horloges suisse démarre une joyeuse ligne mélodique, en canon, comme un jeu de pendules anciennes coiffées d'ornements décoratifs kitschs et désuets.
Sur un fond de rideau bien vert, les quatre personnages énigmatiques sont attachés au bout de leurs nattes aux cimaises par des crochets de boucher. Tel un "méli-mélo" ou des figures de jeu de cartes, elles -puisqu'il s'agit de femmes- entonnent un chant choral, à cappella, poétique: un "cucu!" du XV ème siécle, trouvaille musicologique fort belle !
Des mimiques très fouillées évoquent sorcières et chimères, volatiles ou poulettes suspendues aux cintres du volailler...Basse-cour pour basse danse contemporaine, jeu théâtralisé, une once.L'air mutin et malin, espiègle et bon-enfant de ces quatre poules dans le vent de la dispute augure d'une  prochaine panique au poulailler.
Musique de doigts sur table, ce long étal qui accueille leurs ébats devient la scène supérieure d'une "cène" biblique, quasi christique quand l'une d'elle semble planer en piéta ou vierge Marie au dessus des autres. Icône frappante, esthétique très travaillée, picturale, peinture de référence d'une époque courtoise et chevaleresque.
La gestuelle dérape, se perturbe, poulettes ou cocottes gloussant de joie. Des "elles" aux épaules, volatiles ailées, zélées: comme des corps de poulets ou chapons suspendus aux crochets de la boutique: "gibier, volailles, etc..." Prêts à être sacrifiés sur l'autel: des galops de bras, des caquètements sourdent des superbes mélodies médiévales référencées dans un choix judicieux et inédit.
 Débandade vocale, rigolade et autres émissions de voix, orchestrées, ficelées au cordeau Comme des figures immobiles de cathédrale,elles posent impassibles, pour l'éternité et nous regardent, nous contemplent.Les jambes ourlées d'éclairage rougissant, flamboyant. Ca glousse en toutes langues, comme des sirènes digne d'une composition musicale contemporaine....Qui divague, défaille, s'évanouit dans l'espace -temps.
A distance, elles s'interrogent: un superbe jeu de jambes les réunit à nouveau et focalise l'attention; au cabaret des volatiles, l'ambiance est bonne et ludique Des rires fous, voisins des "Ha Ha" de Maguy Marin, trahissent les affinités avec la danse-théâtre et régalent nos appétits de burlesque tragique ou absurde.Qui sont-elles ces créatures fantasmées sorties tout droit d'une BD ou d'un conte fantastique?
Et c'est au finale, la grande inversion, tête en bas, jambes en l'air dans une partie surprise de tête bêche, de jeu de carte. Bestiaire fantastique résonnant de ces chants de Janequin et d'autres auteurs-compositeurs du XVI ème siècle renaissant.
 Hors du temps et des frontières, voici un spectacle qui balance et suspens ses proies aux cimaises d'une volière pleine de charme, de courtoisie amoureuse, de clémence et de réjouissances très sensitives. A l'écoute, ce concert choral a cappella sur les voies et routes romanes frise  le gothique et le jeu très corporel de ces cantatrices hors normes: danseuses de toutes leurs voix , sur la bonne voie des sentiers de l'âne où il fait bon brouter le sauvage, le décalé, l'incertain de la découverte.
Ce quatuor à corps, à cordes vocales est d'une grande distinction et préciosité, déjantée, décalée!
L'année a vraiment bien commencé avec "elles", femmes, danseuses, engagées, choisies pour leur incongruité, leur insolente démarche au regard de la danse.
 

A Pole Sud le 28 Janvier .

 


 

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