lundi 13 janvier 2020

"Jusqu'à l'os" de Caroline Allaire (Kilohertz): Corps os-tensiblement radiographié !


"Comme un inventaire à la Prévert, Caroline Allaire investit le corps humain, la connaissance du squelette, le temps d’une surprenante leçon d’anatomie. Dans Jusqu’à l’os, la précision de la science côtoie l’imaginaire des gestes. L’écriture ludique et déliée de la danse se teinte d’accents enchanteurs.
À propos de « l’architecture du corps humain », la danse a sans doute bien des choses à nous conter. C’est ce qu’a entrepris Caroline Allaire pour la création de son solo Jusqu'à l’os. Des planches anatomiques anciennes, issues du célèbre ouvrage de médecine anatomiste que l'on doit à André Vésale, De humani corporis fabrica (Bâle, 1543), ont été mises en couleur.
Projetées sur grand écran en fond de scène, elles font écho au corps vivant de l’interprète, à sa drôle de danse qu’un squelette miniature, posté dans un coin du plateau, semble observer avec un air goguenard. Tout comme ces illustrations, à la fois scientifiques et artistiques - elles ont été réalisées dans l’entourage du Titien, peintre de l’école vénétienne - Caroline Allaire y expose, décline, entre jeu et mouvement, les formes, la mobilité et l’usage des os. Des pieds au crâne en passant par les hanches, sa danse ludique, sensible et précise est rythmée par des univers sonores spécialement agencés pour chaque partie du corps. Un étonnant voyage anatomique dans la poésie du corps."

 Os'court !

Un tout petit squelette nous attend sur le tapis de danse du studio de Pole Sud , deux ombres démultipliant son ossature en autant d'exosquelettes architecturaux.
L'énumération des os en voix off démarre le cours d'anatomie, bien vivant car devant nous fait apparition un étrange bibendum cagoulé, capuchonné qui ne délivre rien de l'intérieur mystérieux de notre corps: bien en chair au contraire, tout en noir...Des images simultanément projetées sur écran, nous indiquent la partie qui va être auscultée: les os du pied; et le curieux personnage d’ôter ses bottes et d'entamer une savante danse des pieds, focalisée par un éclairage bien ciblé Danse des orteils, des chevilles, classique ou en dedans....Articulations et mobilité convoquées pour montrer, expliquer sans les mots toutes les possibilités de fonction légitime et naturelle du corps en mouvement.
"Les pieds en éventails, les pieds sur terre, dans le plat..."
Au tour de la jambe de se dévoiler, en tailleur, en compote, jambes en l'air ou belle jambe: le bas en collant rouge pour mieux désigner la partie du corps concernée. Une pédagogie didactique offensive et poétique, directe et abordable pour tout un chacun.
Sur fond de mugissements étranges, la vélocité des gambettes s'affirme, genoux et postures curieuses, rieuses.Prendre ses jambes à son cou, jambes en l'air sur musique brésilienne pour hausser de couleurs cette démonstration sympathique et ludique de la structure, charpente corporelle: le squelette.
Puis notre curieux personnage revêt un short brillant pour illustrer le bassin, très méditerranéen de la danseuse.Petit et grand bassin comme à la piscine, nous murmure une voix d'enfant...Des grincements d'articulations déclenchent des éclats de rire dans le jeune public: vent, porte qui grince, se lamente. C'est drôle et décalé à souhait.Le bassin de notre lutin danseuse se balance, se tortille, expressif, jouyeux.Musique de music-hall à l'appui histoire de faire la part belle au divertissement.Au tour des mains d'être radiographiées, mains vertes, un poil dans la main, la main dans le sac et le tour de passe-passe est joué dans un halo de lumière: langage des signes, mimes des métiers qui utilisent la main comme outil, langage des cultures qui s'expriment avec les mains, au delà des mots.
En ce qui concerne les bras de fer, angulaires sur une musique répétitive, c'est un univers de la force, qui brasse, embrasse et fait le moulin à vent à l'envi.Les bras ballants laissent la place au tronc, thorax et cage qui protège les poumons, le coeur. Et l'abdomen, siège des viscères est à l'abri, ainsi. La colonne vertébrale prend le relais, en trois courbes qui interdisent désormais de dire "tiens toi droit"! Ce n'est pas possible kinésiologiquement, anatomiquement parlant.lLe corps de la danseuse est à présent bien visible et l'on scrute son anatomie avec interet et plaisir: sa stature, sa sveltesse délivrant plein d'indices et de détails pour une exploration visuelle en direct. Au sol elle se repose, danse, reptile invertébré, histoire de tout contredire; de dos, le corps parle, la colonne s'anime et délivre ses mystères de torsion, de verticalité.
Reste le capuchon qui va bientôt tomber pour évoquer le chef, le couvre chef, caput, tête de mûle ou de gondole. Elle entasse ses vêtements, s'en fait un pouf, fatboy de danseur
Le crâne est évoqué, boite à outil, couvre chef qui commande et régit les mouvements.Tête en l'air, tête à queue, tête bèche dans une focale de projecteur pour bien montrer de quoi il s'agit. De quoi il s'agite...
La musique s'empare de sons de nature, oiseaux et autres évocations pastorales.Grimaces des machoires, puis véritable danse qui s'empare de toutes les parties de ce corps animé de bonnes intentions et attentions vis à vis de son public."Une leçon d'anatomie" rêvée, vivante, percutante que tout enseignant devrait montrer, au delà du figé de notre célèbre Oscar ou écorché vif. Morcellée, vive, mécanique ou fluide, la danse est intégrale sans discontinuité, légère: en chaine ossseuse, mécanique bien huilée, os et muscles convoqués pour mieux scéller notre architecture, charpente originelle. Tandis que de splendides images abstraites de squelette colorisées parcourent l'écran et démystifient l'intérieur du corps: poésie et danse pour comprendre et apprendre sans se lasser que la plante corps est loin de nous indiférer.
Eloge de la mobilité bien en chair et en os, corps et graphie réunie pour ausculter en se réjouissant les mystères de la vie.
Valentin le désossé peut aller se rhabiller sans honte et les danses macabres ne nous en apprendrons pas plus sur nos fondations et fondamentaux mécaniques.
Mise en cage thoracique pour ne pas ronger son os...La peau et les os pour légende et narration naturelle de la science vivante.

A Pole Sud jusqu'au 13 Janvier

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