"Les Corbeaux" à Avignon m'avait fasciné par la hardiesse de la prouesses physique et mentale de l'interprétation et de la performance d'improvisation.
Chapeau bas à cet illusionniste de la danse;
Un magicien philosophe.
Nadj chorégraphe et Akosh Szelevényl saxophoniste et multi-instrumentiste signent devant le public abasourdi, une performance « noire », sous le signe d’un oiseau singulier, porteur de bien des messages controversés. Un événement qui a bouleversé le dernier festival d’Avignon 2010.
« Chez moi, en Volvodine, les corbeaux ont une grande importance: ils symbolisent la sagesse, la liaison entre la surface du monde et celui du mystère qui nous entoure, largement invisible. On représente souvent le corbeau avec un anneau sur le bec, parce qu’il possède la clé de l’unité du monde: il a un regard sur le cycle de la mort et de la vie, du réel et du rêve, du mystère et de son interprétation ». Nul doute que la rencontre de l’oiseau et du danseur fut un curieux hasard: lors d’une tournée à Tokyo, Nadj « rencontre » sur le toit du théâtre derrière les baies vitrées où il répétait, cet oiseau noir. Un curieux dialogue débute entre les pas de l’oiseau en mouvements tournants et conjoints, lui comme dansant et l’autre saisissant dans un regard l’oiseau qui venir d’atterrir. Ceci créait une « sorte de communion, une fusion entre l’homme et l’animal, une harmonie des gestes et des attitudes. Telle une illumination entêtante, cette vision est revenue souvent dans ma mémoire; j’ai voulu la fixer et la visualiser pour la revivre en la dessinant d’abord, en la photographiant, puis aujourd’hui, en la dansant » confie le chorégraphe. En France, le corbeau, c’est l’animal vaniteux de la fable de La Fontaine; dans les pays de langue anglaise, c’est l’aspect diabolique qu’on retient surtout, d’après les poèmes de Poe; en somme un animal à mauvaise réputation, au croassement lugubre alors que chez Nadj, il est lié à l’initiation, au savoir, figure de sphinx, secret, lié aussi à l’inquiétude. Pour se rapprocher de l’oiseau, le danseur, par des dessins préparatoires, par l’observation précise, par l’imitation attentive du mouvement, du vol, de l’atterrissage et de sa démarche au sol, s’est rapproché au maximum du corbeau. « J’ai découvert en moi une proximité très forte avec cet oiseau particulier; il a fallu ensuite mettre cela sur le plateau: passer du dessin de l’oiseau ou du corps humain au spectacle proprement dit. Comme une sorte de performance, j’ai dansé mes observations picturales, j’ai chorégraphié mes heures de proximité avec lui. Comment devenir un corbeau ?». Puis il lui a fallu partager un autre espace: l’espace musical qui lui est cher. Il a imaginé se rapprocher de la démarche et de la vision du monde de Akosh S. « Nous partageons une même terre, une même culture, nous avons décidé d’être tous les deux sur scène, en duo, d’êtres les corbeaux du spectacle, partant de l’étude de leurs cris, de la terre où ils se posent, des arbres depuis lesquels ils s’envolent. C’est à la fois précis, écrit, annoté et très ouvert: les variations improvisées trouvent toute leurs raisons d’exister ».
Métamorphose en direct
La fin du spectacle est étonnante et Josef Nadj précise qu’il a senti devoir aller au-delà de lui-même, de son corps: il devient corbeau, pinceau, dessine avec son corps, comme un envol nécessaire, lors duquel il évolue vers le stade animal. C’est aussi l’acte pictural définitif, quand le corps humain se fait le sujet et l’instrument même de l’art. Un lien se tisse entre son dernier spectacle avec Miquel Barcelo « Passo Doble », où son corps là aussi devenait matière et objet d’art. Il pénétrait dans l’univers visuel et la matière du sculpteur, l’argile et devenait sa sculpture. « Dans les Corbeaux, se sont mes dessins, c’est mon noir, c’est mon animal. Je prends davantage cela comme un retour à mes propres origines de dessinateur, un geste pictural qui m’est propre. Comme si je me métamorphosais en mon pinceau, en l’une de mes miniatures à l’encre de Chine. Je suis l’animal, mais également la matière picturale. »
En résultent des images saisissantes, une mutation hallucinante où se sculptent le son, la lumière, les « couleurs et variations » de noir, les textures, comme un bain d’huile, d’encre, sous les coups de pinceaux d’un alchimiste peintre. Et Nadj d’ajouter pour l’avenir qu’il voudrait « fusionner et équilibrer mes travaux visuels et mon expérience chorégraphique: mettre sur le plateau, une exposition, une installation, une performance, une chorégraphie, des documents filmiques, sonores, visuels, où mon travail pictural, les monochromes noirs que je dessine par exemple, voir la scène comme un atelier où l’on danse, vit, peint, compose, parle dans le même mouvement! ». « Les Corbeaux » sont comme un chapitre de ce grand atelier là ! »
Geneviève Charras
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