vendredi 26 janvier 2018

" A la trace": en quête de vérité et d'amour.


CRÉATION AU TNS - Texte de Alexandra Badea - Mise en scène de Anne Théron - Avec Liza Blanchard, Judith Henry, Nathalie Richard, Maryvonne Schiltz. Et la participation filmée de Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad, Laurent Poitrenaux. À la mort de son père, Clara, 25 ans, retrouve dans la cave le sac à main d’une femme contenant une carte d’électeur au nom d’Anna Girardin. Qui est-elle ? Pourquoi Clara se met-elle en tête de la retrouver ? Elle part à la recherche des femmes portant ce nom. Bâtie comme une enquête, la pièce - issue d’une collaboration étroite entre la metteure en scène Anne Théron et l’auteure Alexandra Badea - convoque trois générations de femmes, interroge leur rapport intime à la filiation et à la société : que signifie être mère ? Une femme peut-elle rompre ce lien ? Qu’est-ce que la transmission ?

On l'avait rencontrée avec "Celles qui me traversent", chorégraphie singulière et rebelle, voici Anne Théron, génitrice d'un texte et metteur en scène d'une histoire: celle de la quête d'une jeune femme sur un passé qui ne la "concerne" pas, celui de son père. Mais qui résisterait à savoir la vérité, à se libérer de la torture psychique d'un "mensonge" familial, héritage et passation d'un malaise, physique aussi, qui ronge et détruit peu à peu l'âme de celle qui est visée.
Dispositif architecturé grandeur nature d'un immeuble, tranché pour y voir sur trois niveaux, les va et vient des personnages qui vont habiter ces espaces réels, face aux espaces virtuels d'images vidéo enregistrées, surdimensionnées. Espace de plain pied avec la réalité, à terre, au sol avec deux rangées de sièges: salle d'attente, de repos d'aéroport ou de médecin: va savoir...Et cela détermine le jeu de cette femme, en quête du passé de son père, à la recherche de Anna Girardin, fantôme très présent dans sa chair perturbée par "l'ignorance" d'un épisode amoureux de la vie de son père.
Ici, c'est la technologie nouvelle qui engendre des comportements sociaux nouveaux encore peu explorés pour la scène et le spectacle vivant, qui tient en haleine et orchestre le jeu des comédiennes Trois femmes, toutes différentes vont croiser le destin de Clara, fougueuse et inquiète, en quête de résolution d'une énigme qui la tarabuste et taraude du coup le spectateur, pris dans cette filature singulière: une détective qui arpente dans le doute des territoires dangereux qui ne la concernent pas. Face à elle et tour à tour, défilent de singulières icônes féminines avec lesquelles elle dialogue: une chanteuse de cabaret qu'elle piste amoureusement, une avocate insensible aux fautes du monde mais qui sauve ses clients coupables du "péché" mortel, une chercheuse en orthophonie de pointe...Autant de partenaires qui vont la mener à repenser l'Amour et la dépendance. Alors qu'une femme, blonde et belle créature parcourt le monde et rencontre sur les réseaux sociaux, des hommes en quête eux aussi, en demande de reconnaissance. Ces derniers seront filmés et apparaissent sur un écran, virtuels créatures qui causent, écoutent et questionnent Anna, celle que cherche Clara, à son insu. Pas dupe, le spectateur scrute ces mondes de communication, rendus sur la scène de façon troublante et pertinente. En dialogue avec les images animées, sans âme, Anna se torture, s'imagine dans une réalité qu'elle ne côtoie pas, où elle ne se frotte pas. Vivant par procuration, par séquences d'images projetées. Il est question des femmes, de procréation, d'amour filial, de "mensonges" , ceux que l'on s'accorde pour préserver notre "intimité".
Les partenaires d'Anna, tous des hommes singuliers se heurtent à son indifférence, à son égocentrisme exacerbé: joué par Nathalie Richard, froide et attirante femme fatale, inaccessible proie des hommes attirés par sa présence fantomatique désincarnée par la technologie réductrice d'icônes, le personnage séduit, intrigue et aspire nos désirs vers l'appropriation. Désinvolte et perturbatrice, face aux questionnements sempiternels de Clara -une Liza Blanchard émouvante et perspicace détective - jeune et frêle proie de son destin qu'elle croit maîtriser.
Judith Henry, personnages multiples, incarne de façon percussive, des attitudes, postures sensibles pour dialoguer avec cette frêle jeune femme opiniâtre et déterminée. "Sur la trace", sur la piste de la vérité, Clara rencontrera in fine, la mère d'Anna, recluse, tentant de panser les plaies du désamour .
Une épopée contemporaine très touchante, une course poursuite lente et contre la montre pour démasquer le temps qui passe et renforce nos erreurs au lieu de les libérer. "Ne me touchez pas" sur ce terrain des liaisons dangereuses.... Et pourtant l'enquête mène à l’obtention de la vérité: la rencontre enfin avec la personne tant désirée!
Anne Théron porte et appuie les textes avec pertinence et se joue des niveaux, dimensions d'espaces avec l'agilité d'une chef d'orchestre, entre plaint pied et tranches de vie aux étages, multipliant les pistes, les traces pour mieux défier la distanciation, l'incompréhension ou tout simplement la pudeur de nos vies, mise à mal par la curiosité déplacée. Une métaphore de l’indécence, de la lisibilité, une version obscène -derrière le rideau- de nos existences qui masquent la vie, la véritable incarnation du vrai.Celle qui nous traverse irréversiblement!

AU TNS jusqu'au 10 Février

pour mémoire:


http://genevieve-charras.blogspot.fr/2017/04/anne-theron-celles-qui-me-traversent.html

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire