jeudi 25 janvier 2018

"Actrice": La conférence des fleurs : danse de vie et de mort.



Texte et mise en scène Pascal Rambert - Avec Anas Abidar/Nathan Aznar (en alternance), Elmer Bäck, Luc Bataïni, Audrey Bonnet, Emmanuel Cuchet, Jean Guizerix/Pascal Rambert (en alternance), Hayat Amiri, Marina Hands, Yuming Hey, Lyna Khoudri, Ruth Nüesch, Jakob Öhrman, Sifan Shao, Rasmus Slätis... 

Grande actrice du théâtre russe, Eugenia va mourir. À son chevet, sa sœur et son beau-frère qu’elle n’a pas vus depuis des années, son mari, ses parents, ses enfants, des acteurs, des metteurs en scène... Il est temps de tout se dire, mais quoi ? Pascal Rambert réunit une distribution cosmopolite autour des actrices Marina Hands et Audrey Bonnet, dans cette pièce où il questionne tout ce qui compose une vie : les souvenirs, la beauté, les déceptions, le rapport au monde, à l’argent, à la foi, à l'art, la passion amoureuse. Que reste-il ? Quelles forces vitales, quel esprit de fantaisie remettre en jeu ? 

Et fleurs et couronnes
Sur la scène jonchée de bouquets de fleurs coupées dans de grands vases, un couple de vieux sur un banc, une jeune femme dans un lit: hopital, maison de retraite? Elle parle, s'exclame dans la pénombre, raconte des hallucinations, l'histoire de Zeus, dieu de la foudre, de ses enfants et la mythologie prend le pas sur la réalité.
Rêve éveillé où éclats de la douleur sous l'effet de la morphine?
Le propos s'éclaire quand se fait la lumière sur le plateau: on est bien dans une chambre d’hôpital où se meurt une femme, une enfant, celle de ses vieux parents qui la veillent et s'insurgent contre l'injustice: ce n'est pas elle qui devrait mourir...Femme et actrice de métier, apprendra-t-on au fur et à mesure des paroles qu'elle déploie, de ce que ses proches vont lui reprocher, lui avouer: sa sœur, Ksénia, jouée par Audrey Bonnet, longue silhouette longiligne, féroce femme d'affaires qui a souffert de vivre la réalité et non la fiction d'une vie sur la scène! 
Son mari, ivre, alcoolique, fou amoureux, son beau-frère si tolérant ...Famille étrange et tourmentée, réunie à l'occasion de la mort proche de leur Eugénia, tous à se reprocher leurs attitudes sociales ou familiales. Un univers sans pitié, cimetière "joyeux" où les fleurs coupées sont autant de reliques sur des tombeaux fictifs. Tombeaux "littéraires" qui racontent leurs vies gâchées par l’égoïsme, l'amour ou la mort omniprésente qui les guettent, les arrêtent, les "loupent" dans leur course contre la montre. L'alcoolisme fait des ravages sur Pavel-excellent jeux furieux, acharné de Jacob Hurman- la mort, incarnée par l'infirmière sans intention de guérir, sans sentiment de compassion, rode et tranche verbalement: sans pitié dans une étrange attitude et un aspect androgyne saisissant: c'est Yuming Hey qui incarne la camarde sans autre forme d'émotion que la blancheur virginale et clinique de ses vêtements immaculés.
Et chacun d'entourer à sa façon la mourante, l'Actrice qui s'est dévouée à son art, mais aurait selon sa soeur, manqué à tous les vrais devoirs humains: vivre et aimer et pas par perfusion de rôles, ni par procuration d'artifices de la scène et du théâtre.
Seule une touche, un brin d'humanité se glisse dans le personnage du professeur d'art dramatique, joué par Jean Guizerix, fameux danseur-comédien, tendre confident attentionné dans cette jungle familiale sans pitié.L'imaginaire qui parcourt le corps et le mental de l'Actrice, la sauve et fait couler les larmes au public: un lac de larmes qui la regarde: car l'écoute, le regard sont aux abois dans ce métier d'incarnation des autres, mais aussi de différenciation.C'est aussi tous ceux qui l'entourent qui jouent au "coq de bruyère", ce volatile que l'on chasse dans le Montenégro, qui fait sa parade mais finalement bat de l'aile, chute et s'écroule; que de miasme psychique et de névrose dans cette famille réunie pour le pire: régler ses comptes avec la mourante. 
"Montrer le moins" pour être efficace, voici le secret de fabrication de ses comédiens dirigés par Pascal Rambert, auteur du texte. Couper les liens, les racines, la chaleur des aveux, composer un bouquet de fleurs pour cet homme amoureux de la fleuriste du kiosque à fleurs de l’hôpital-merveilleux et pudique jeu de Luc Bataini, émouvant et naïf amoureux qui se confie à Eugénia....
Ici, tout "remue", émeut et déstabilise comme dans une danse de vie et de mort, menée tambour battant par Jean Guizerix, le seul être humain de cette bande de fous allumés. Etre acteur au risque de sa vie dans le silence aussi, territoire cher et possible à l’héroïne. Et puis "disparaître" dans le personnage, louer son corps au personnage, aux fantômes de ce théâtre No, si vrai et noble, évoqué par le maître du jeu: le professeur de rhétorique, d'éloquence et de théâtre qui a formé notre Actrice principale
Et si Marina Hans, hante le personnage d'Eugénia avec tant de justesse, de rage ou de pudeur, ce sont tous des comédiens qui jouent ce soir et jouent leur vie "artificielle" le temps du spectacle."Ecouter, regarder" pour combler ce "trou noir" qui oculte les sentiments, être blanchi par la franchise, comme celle de la mort dans cette magnifique apparition de fleurs blanches rayonnantes de la mort. Incarnée, sans faille, exécutant son devoir, son travail clinique: faucher la vie et ses remords. La rédemption de l'Actrice viendra de la reconnaissance éternelle de son public avec qui elle échange au delà de l'obscurité de la salle, ce "trou" noir, béant sur le vertige du vide. C'est à genoux qu'elle questionne la foi en compagnie d'un ecclésiastique peu convaincant sur le sujet: il ment, détourne et invente ce qu'il ignore: douleur et empathie. 
Au final, c'est une conférence des fleurs" qui sera donnée en hommage à Eugénia, sur sa couche mortuaire: un spectacle burlesque, grandguignolesque, fête de la vie et de la couleur, fête des fleurs coupées: c'est "le bouquet" final où l'on chante et prend une dernière fois le pouvoir.
Fleurs, cou-coupées, comme sur des tombeaux littéraires où le verbe se fait chair et renaît des cendres de la mort, consumée comme une chaleur qui quitte un corps et voyage aux pays des fantômes
Et si les acteurs et les actrices n'étaient que fruit de notre imagination?

Et les fleurs, ce "meilleur de quelque chose" éclosent et leurs floraisons à fleur de peau, sans état d'âme ravissent: et fleurs et couronnes pour cette cérémonie funèbre, ode à la vie, à la mort.
Et si le Théâtre avait vocation de "tuer" la mort, d'éterniser les gestes et les mots...D'en faire des bouquets, des jardins, des parterres de beauté colorée... 
La valse des fleurs nous entraîne.

Au TNS jusqu'au 4 Février


 Apollinaire, Poulenc

"Avant le cinéma"


Et puis ce soir on s'en ira
Au cinéma
Les Artistes que sont-ce donc
Ce ne sont plus ceux qui cultivent les Beaux-arts
Ce ne sont pas ceux qui s'occupent de l'Art
Les Artistes ce sont les acteurs et les ACTRICES
Art poétique ou bien musique Si nous étions des Artistes
Mais si nous étions de vieux professeurs de province
Nous ne dirions pas le cinéma Nous dirions le ciné Nous ne dirions ni ciné ni cinéma
Aussi mon Dieu faut-il avoir du goût.
Mais cinématographe


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