samedi 29 septembre 2018

"The Lips cycle" :au "grand palais", les atours de Babel !


Dans l’imaginaire collectif, les lèvres sont le siège de la sensualité. Mais The Lips Cycle est plutôt dédié à ce double appendice capable à la fois de modeler le son émis par les cordes vocales comme de produire lui-même des bruissements porteurs d’une musique subliminale.
Daniel D'Adamo songe les miracles de l'émission, de la voix et de tout ce qui fait que le voile du palais, le larynx ou le pharynx, la colonne d'air et tous les autres mécanismes créent du son, de la vibration!
ORL, orthophoniste, otorinolaringo pharyngiste, le voilà, sorcier et manipulateur de bruits insolites, de résonances inouïes et singulières!
Nez, gorge, oreille: les organes sont ici convoqués pour une médecine douce, chirurgie du son, dissection des techniques vocales au profit de l'imaginaire fécond qu'on lui connait.
En cinq mouvements, ponctués d'écoute d'une transition électronique, mais d'un seul bloc, l'oeuvre est un bouche à bouche qui se transmet d'une phrase à l'autre.
Grandes et petites lèvres, origine du monde, musical bien sur, mais la maïeutique opère en un accouchement fertile et fécond de timbres, durées, hauteurs de notes et surtout d'ambiance propice au décollage
Sur le tarmac, on met sa ceinture et on décolle!
Inspiré par Pascal Quignard et d'autres auteurs pour ses textes parlés-chantés, la conférence des oiseaux démarre: texte articulé comme des membres corporels , la langue investie de percussions au contact du palais, toute une palette de sources d'émissions qui donne lieu à des sonorités étranges, drôles ou simplement à écouter pour leur rareté.
La richesse du matériau sonore est sidérante et jamais on ne se lasse d'effets spéciaux ou de combines stylisées.
La cantatrice susurre, la langue claque en clapotis, sifflements ou chuchotements imperceptibles, à peine audibles.
Gargouillis, exclamations étonnées en écho, amplifiées par l'électronique, qui prolonge les sons, les tapisse en couches et la voici polyglotte, récitante, conteuse de peurs et de frissons.
Le chant est profond, la voix sensuelle avec une texture chaude dans l'énonciation, la scansion, les articulations.
Puis la flûte fait irruption, en dialogue, souffle-voix. La colonne d'air de la chanteuse et la colonne vertébrée de l'instrument font la charpente du morceau: déchirure des sons, cinglants, tension de cette architectonique sonore, tourbillon, tempête en autant de démultiplications, répétitions, retours ou accélérations. Moteur!
La dynamo est au point, l'énergie motrice fait rage.
Des crissements de cigales, des grains de sable dans les engrenages, les matières sonores très riches, minérales ou éoliennes s'ajoutent, se superposent. Filtre à son, la voix s'égaie, des essaims d'abeilles traversent l'espace sonore; le son fuse, froissé, frissonnant, canalisé et se fraye un chemin étroit.
Atmosphère cosmique, spatio-temporelle garantie pour une pluie de comètes, étoiles filantes du son fugace, frisson!
Traversée de toutes ses sources sonores: voix, flûte, violon puis harpe.Un feu d'artifice, des paysages défilent dans ce véhicule lancé à très grande vitesse: inouï !
Quand la musique se fait quatuor au quatrième mouvement les cordes "vocales"du violon, les cordes "à sauter" de la harpe donnent encore plus d'envergure et d'ampleur à l'atmosphère, univers multiples déployés dans un imaginaire narratif possible; des entrelacs de sons tournent et se répandent, murmures, gouttes de voix, frottements et chaos s'entrechoquent en un joyeux capharnaüm.
Flux et reflux de sons aquatiques, maritimes, emportant dans le courant fluide, ce petit monde animé de très bonnes intentions et attentions sonores.
Chacun a son mot, sa note, à dire dans cette foule effervescente, bruissante de sonorités.Morceau final pour voix et harpe en-tuilées de sifflements, babils, balbutiements et babillements réjouissants à l'oreille; la chaleur de la voix, épanouie en toute liberté donne sa pleine beauté: la mezzo soprano Isabel Soccoja, troublante de présence et de puissance.Elodie Reibaud à la harpe, complice de cette osmose en dialogue, muse inspiratrice du pygmalion D'Adamo, en diable! La magie des amplifications sonores, de l'électroacoustique de Daniel D'Adamo et José Miquel Fernandez opère à l'envi.
Ils ouvrent des espaces infinis qui s'effacent, disparaissent, brossent des paysages oniriques fantastiques, fugitifs, éphémères, furtifs, volages et futiles
Nicolas Vallette à la flûte donne le la, Laurent Camatte donne les répliques, le trèfle à quatre feuille fait des miracles et porte bonheur à la musique d'aujourd'hui
On reste "bouche bée" devant ce cycle "Lips", les lèvres en béance, ouverture d'une mise en bouche, qui mettrait les bouchées doubles pour une dégustation sans modération du gout du son, sur le bout des lèvres...
Langues de bois et bouches cousues s'abstenir!

A la Salle de la Bourse ce vendredi 28 Septembre

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