vendredi 27 septembre 2019

"Noise" Sonic temple volume 1 à Musica: de bruit et de fureur !


On la prononce en anglais : la noise. Le phénomène n’est pas récent, mais son omniprésence sur les scènes expérimentales laisse supposer que la pratique est tout particulièrement en adéquation avec son temps. Peut-être caractérise-t-elle ce sentiment général de la décennie écoulée que l’auteur de science-fiction Bruce Sterling nomme l’« euphorie noire » (dark euphoria). Car là où la noise peut sembler sombre et négative, elle déploie aussi un extraordinaire potentiel de vie – sans compter une profonde réflexion sur le son et l’écoute : construction de masses sonores complexes, jeu sur la perception de l’espace et du temps, recherche sur les champs fréquentiels produits par l’environnement naturel ou social, écoute incarnée et vibratoire où le corps de l’auditeur devient lui-même le lieu de l’expérience esthétique.
C'est dans l'église réformée Saint Paul que s'installe ce soir une étrange cérémonie païenne: au cœur de ce noyau, moelle accueillante, dans la carcasse évidée de ST Paul que déjà vibre des sons étranges...L'église offre ainsi sa matrice à des expérimentations hybrides, et accouche de monstres acoustiques, chimère et autre hydre à deux têtes: c'est médusant; le public, réuni à l'intérieur de la nef voûtée comme autant d'habitants d'une caverne ou d'une architecture éphémère d'urgence, bivouac le temps du concert...

Figure de la musique expérimentale américaine, Phill Niblock offre sa dernière création au public de Musica : Unmounted/Muted Noun pour orgue et bande sonore. Interprétée par l’organiste Hampus Lindwall, la pièce présente des masses sonores mises en vibration par un volume intense, avec pour résultat une propagation de micro-intervalles dans l’espace. Les vibrations de l'orgue Walker, illuminé de rose,sourdent des percussions des  doigts du musicien sur les claviers, sur les pédales ,de dos, comme un long module, un long phrasé ininterrompu, par les tuyaux, jamais essoufflés!

Changement de scène dans l'espace: on se retourne sur un autre artiste performeur.De manière similaire, Erwan Keravec enveloppe l’auditeur dans les bourdons de sa cornemuse qui, progressivement, laissent apparaître les composantes acoustiques d’un spectre, comme d’étranges chants venant tordre l’espace. Lorsqu’il ne conçoit pas des acoustiques de laboratoire scientifique dans le monde entier;Un son régulier, venu d'un homme-corps-cornemuse, assis sur l'estrade près du chœur donne le signal de départ pour un voyage au long cour:lente sirène qui s'étire, geint, se lamente. Le souffle, stocké dans le soufflet de l'instrument "populaire" vernaculaire,, sourd comme une corne de brume, alarme , sirène de paquebot qui n'amarre jamais, ni ne délivre de voyageurs.Passagers d'une aventure sonore, sur le pont ou l'embarcadère. Exercice de "longue haleine" qui pulse une seule fois en apparence. Un flux continu, assourdissant, vibrant qui oscille en interne d'une oreille à l'autre.Les hémisphères du cerveau font la synthèse....Comme un moteur de voiture resté allumé...Les anges, le tableau des cantiques en restent béas, muet et bouche bée, d'admiration!Ces "prières" hypnotiques comme autant d'expression de communion collective, de partage d'écoute.En temps réel! L'officiant, c'est le musicien, prêcheur, face à ses ouailles, attentives et concentrées, recueillie.La musique, comme "office" religieux ou païen, sacré ou profane "retrouvée" après l'oubli, comme les légumes d'antan, remis au gout du jour! Retraite méditative, ponctuée de "breack" pour mieux savourer l'audace de la création contemporaine..
Fondé à Zürich en 1987 autour de Rudolf Eb.er, le collectif Schimpfluch confine à la légende. Sa présence à Strasbourg est exceptionnelle tant il s’est fait rare sur les scènes européennes.
 À cette occasion, Rudolf Eb.er s’entoure de l’artiste anglaise Alice Kemp et de Dave Phillips, membre originel du groupe. Une femme est assise, vêtue de noir, épaules et genoux dénudés: elle se couvre d'une capuche noire qui dissimule son visage.Des babilles, des sons de voix, murmures, chuchotements surviennent d'ailleurs en présence de détonations de cordes. Immobile, pétrifiée, elle nous interroge, nous, fascinés par se présence, sa stature statufiée, muette.
Comme une oeuvre plasticienne sonore, performance à gouter à l'instant même.

La silhouette noire d'un curieux personnage se détache du fond de scène: il est présent par cette lumière rouge, à son cou, dans un capharnaüm de musique; il se déplace , un ballon rouge fluorescent, gonflé à bloc sur lequel il fait crisser les sons... C'est diabolique et surprenant, le performeur. Crane rasé, son corps se balade parmi nous, incandescent comme un souffleur de verre dans l'antre de la cristallerie...Vision démoniaque, sorte de Méphistophélès musicien, lion rugissant,porteur de sons, colporteur de bruits singuliers.Images de bestioles tentaculaires en fond sur l'écran, tableau à la Jérôme Bosh, singulier paysage habité par des monstres fantasmés.


Michael Gendreau applique ses compétences à l’improvisation électronique. Sa spécialité : performer à partir des résonances naturelles et urbaines d’un lieu qu’il analyse préalablement.
Avalanches de pierres au poing, un homme seul dans des secousses et vrombissements s'adonne à un show, amplifié de décibels , comme une révolte des voix dans un tunel de métro, subway underground, bruyant à l'extrême. Sur fond de coeur qui bat. L'éclairage agressif, intrusif, braqué sur les spectateurs, éblouissant. Le cataclysme musical, insupportable, fait mouche, agace, trouble et dérange...Le performeur présente une œuvre nouvelle au cours d’un rituel sonique situé à mi-chemin entre l’actionnisme, les musiques indus et la poésie sonore. Performance physique, épreuve psycho-acoustique et expérience des extrêmes de la vibration interrogent les limites du corps et de la conscience.

Une soirée où le public, perlé dans la salle, va et vient ou se laisse aller, couché au sol, à ressentir les vibrations fortes et salvatrices du chaos musical: une séance de "bien être" au coeur de l'église, un "événement" rare à vivre jusqu'à minuit, l'heure d'aller voir au delà du parvis, ce qui se trame sur les rives de l'Aar...

A ST Paul le 26 Septembre dans le cadre du festival Musica.

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