Des hommes et des femmes de ménage intérimaires se retrouvent, chaque
nuit, dans une boucherie industrielle. Entre les mailles de la
précarité, elles et ils déjouent l’aliénation par des actes ordinaires :
prendre un café, bavarder, lire des magazines. Le cycle se répète, sans
s’écarter du cours normal des choses, jusqu’au point de bascule où ces
êtres isolés se rapprochent — trop vite. Avec une sincérité brute et un
humour noir, Alexander Zeldin nous raconte les histoires d’une classe
invisible dans le premier volet de sa trilogie des Inégalités. Montrant
la capacité des gens fragilisés par leurs conditions de travail à
trouver le bonheur dans une situation extrême, l’auteur et metteur en
scène britannique évoque les premiers moments du désir, de l’amitié et
de la solidarité.
Scène de ménage et balai brosse décapants à souhait
Quand le théâtre s'immisce dans la vie sociale, tente de la reproduire, il transcende sa vocation et fait ici galerie de portraits sidérante d'une "classe defavorisee" décadente, stérile, bafouée jusqu'au misérabilisme. C'est une cireyse,broyeuse, une "bête", machine à nettoyer le sol qui fait la sélection irrévocable d'un casting d'embauche pour des postes de techniciens de surface -de réparation- dans une usine , boucherie industrielle où règnent bourreau et victimes. Dans un décor d'un réalisme troublant, cinq personnages vont prendre la scène et incarner cet abatage social sans concession ni détour. Esther, handicapée, Juliette Speck, soumise victime du déterminisme et de sa résignation est convaincante, Louisa, Lamya Regragui,la rebelle qui s'insurge contre le sort fait aux démunis, Susanne, Charline Paul,docile victime d'un système qui broie et détruit les âmes sensibles et coupables. Enfin Philippe, Patrick d'Assumçao,le complice collaborateur de cette tribu incertaine, fidèle intérimaire de service qui fléchit, approuve et épouse sa condition, obéissant à ce Nassim, Nabil Berrehil, petit chef de service, tyran ou bourreau à la solde d'un patron fantôme. Le sort de cette famille improbable , travailleurs nocturnes de l'ombre, s'aggrave, s'assombrit de scènes en scènes et propulse une intrigue esquissée, discrète sans coup de théâtre apparent.Tous simulent parfois l'entraide, la solidarité, le partage d'un sort déterminé par l'appartenance à une "classe défavorisée" qui sombre dans la précarité, le vol, le tragique d"une condition fatale. Comment s'en sortir quand on n'en ni les moyens ni les codes? Un survol décapant pour ces scènes de ménage où Monsieur Propre et Madame Denis font la loi , où la cupidité lave plus blanc, où les tâches sont dégradantes. L'humiliation et la déconsidération de ce petit personnel, technicien de surface, nettoyeur de chair saignante est reine et bafoue, oppresse sans cesse. La mise en scène de ces reliefs de vie est franche, nette et la corporalité du jeu des acteurs, soulignée par le travail de Kenza Berrada est convaincante. Les traces et empreintes de son travail auprès des chorégraphes Elsa Wolliaston, Annabelle Chambon et Cédric Charron font irruption dans l'interprétation très physique et mimétique des personnages: le handicap et la soumission d'Esther, la fragilité de la docile et pourtant charmante et dansante Susanne...Tout un panel d'interprétation humaine, vériste et réaliste de cette pièce signée Alexander Zeldin, observateur, au crible de la condition humaine. L'abattoir ou la bête humaine en filigrane pour ce naturalisme sombre et fascinant.Pas de quartier ni de morceau de bravoure dans cette boucherie sociale où chacun veut tirer son épingle du jeu en piétinant l'autre, en abusant de situation désespérée qui condamne chacun à prendre soin d'un lieu emblématique du sacrifice. Sacrifice de l'être humain au profit de la rentabilité, de l'exploitation, du mépris , du déshonneur et de la déconsidération. Chacun pour soi dans ce décor très cinématographique où les machines dévorent l'homme et le rendent esclave consentant du profit. Prendre soin, de qui? De soi, de l'autre malgré la misère et la fatalité? Soin du mécanisme et de la mécanisation de l'organisation sociale qui empêche les relations et les réduisent à un amas de chair déchiquetée de viande de mauvaise qualité pour des produits bon marché..De quoi réviser notre regard sur ce petit peuple opprimé, pourtant plein de poésie autant que de cruauté. Au pays du travail, martyr incarné, les victimes sont au ban de la société. Même la marionnette de service à la solde du patronat devra se coltiner le boulot dégradant pour survivre...
Texte et mise en scène] Alexander Zeldin
[Avec]
Patrick d’Assumçao - Philippe, Nabil Berrehil - Nassim, Charline Paul -
Susanne, Lamya Regragui - Louisa, Bilal Slimani - Mahir, Juliette Speck
- Esther
[Collaboration à la mise en scène] Kenza Berrada
[Scénographie et costumes] Natasha Jenkins
[Assistanat aux costumes] Gaïssiry Sall
[Lumière] Marc Williams
[Son] Josh Grigg
Pour référence au monde du travail, l'ouvrage et la pièce de théâtre qui magnifie ces petites mains et les fait danser devant l'objectif: un corps de balais pour balletomane prolétaire!
https://genevieve-charras.blogspot.com/2014/11/corps-de-balais.html
Au TNS jusqu'au 17 Octobre
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