jeudi 21 juillet 2011

Montpellier Danse 2011


MONTPELLIER DANSE 2011 : un festival toujours ambitieux et sous la houlette de Jean-Paul Montanari : le fief de la danse qui se trame d’hier à aujourd’hui!

« P.P.P. » : le dégel ! pas la débâcle !
Phia Menard est un (une) artiste qui joue avec le feu ! Avec « P.P.P. » de sa compagnie « Non Nova », voici la chorégraphe aux prises avec la glace. Sur la scène, et suspendue au dessus d’elle, des boules de glaces comme autant de salves à la verticale, menacent de s’abattre, de tomber sous l’effet du dégel, de la débâcle !Elle évolue comme traquée par autant de signes néfastes qui hantant l’atmosphère. Le spectateur, en apnée, est suspendu , tendu, en attente de chacune des prochaines chutes : cependant la danseuse évolue, se jouant de ces obstacles avec malice, agilité et détachement. Phia Ménard excelle dans cette authenticité du risque, à son corps défendant, comme dans un état de siège ou de bataille permanent. Son corps glorieux, splendide se dévoile peu à peu jusqu’à afficher ses seins de silicone, s’il y avait encore quelque ambigüité sur son sexe. Son genre. Mais la danse échappe à cette catégorisation, à ce catalogue ou l’on confond sexe et érotisme. « Transgenre » : comme la glace la personne transgenre attire et intrigue les regards, subit la répulsion. L’univers froid et hostile de la pièce dénonce cet état de fait et en fait un manifeste ouvert à la rencontre, la discussion, le frottement à une personne « différente ».Jongleuse, plus que danseuse, elle fascine et hypnotise, joue « avec la glace » et s’en fait un défit ; sa « position parallèle au plancher », est inconfortable mais génère respect, écoute et émerveillement.
Genevieve charras

« Brillant corners » d’Emanuel Gat
Cette création est un bain de jouvence, pour le théâtre de l’Agora où les soirées de plein augurent déjà d’une ambiance particulière. Le chorégraphe, israélien d’origine, installé à Istres, y brille par son style fluide, glissé, sans faille où le mouvement obéit autant à la loi du silence, de l’arrêt sur image que du flux et reflux sempiternel. Les interprètes, tous de très haut niveau y frôlent l’indicible avec grâce et quelque chose de précieux, de ciselé de quasi baroque. Pourtant pas d’ornement dans cette gestuelle fine et rehaussée par l’inspiration à partir de la musique de Monk que l’on entendra nullement. Sauf au travers des corps qui s’en souviennent ! La bande son, il l’a signe pour créer de toute part un « véritable organisme chorégraphique » qui pulse émet et chante le geste. Une pièce scintillante, « abstraite » si l’on entend per ce terme l’absence de narration directe. Mais le corps prend sens et espace, singularité et autonomie à travers les forces exercées par l’impact de présences prégnantes, de silences éloquents, de poses salvatrices.
Geneviève Charras

Raimund Hoghe , l’enchanteur !
Artiste associé à la programmation du 31 ème festival, ce chorégraphe, scénographe et ex dramaturge chez Pina Bausch, nous conviait à plusieurs rendez-vous : ces « après-midi » thématiques où il échange avec le public des instants éphémères de rencontres, dialogues, lectures projections d’imlage. Sa dernière soirée est un exercice de style périlleux, dédié à la mémoire de Dominique Bagouet au sein même du couvent des Ursulines, l’endroit de ses rêves pour son centre chorégraphique. Chose faite avec la création de l’Agora de la Danse et le centre chorégraphique de Mathilde Monier. Sobriété oblige dans cette immense cour carrée où le danseur apparait, frôlant et caressant les colonnes du cloitre, encerclant le vide, créant de l’espace là où rien n’existe. Fascinant parcours solitaire, à peine rehaussé par la présence de voix, de son, de la Callas à d’autres chanteurs qui ont parsemés le parcours de l’imagination de Raimund Hoghe. On se plait à y retrouver des citations de ses spectacles précédents alors que ses complices Ornella Balestra, Emmanuel Eggermont, Lorenzo de Brabandere y apparaissent régulièrement. La lumière crépusculaire se joue des ombres, des troubles, du flou et une atmosphère de recueillement comme un cérémonial s’installe lentement.
Des instants de partages uniques, brillants où le sourire et l’enchantement d’un Dominique Bagouet auraient été plus que la marque d’une satisfaction évidente. Merci pour cet hommage si loin d’un mausolée érigé à la mémoire de «  » !!!!
Geneviève Charras

Forsythe en majesté : sans artifice !
Alors que précédemment dans la soirée, Yuval Pick s’ingéniait avec « Score » à singer la gestuelle contemporaine usée des touché-poussé et autres gestes kynésiologiques surfaits, sur fond de politique erronée, le public se retrouvait pour une célébration de William Forsythe « Artifac ».
Jamais un ballet ne fut si brillant, réglé comme « sur du papier à musique », en bataillon guerrier sans corps militaire pour autant !
La chorégraphie créée en 1984 contient déjà tous les ingrédients du génie de Forsythe : on y détricote le vocabulaire classique, une maille à l’endroit, une maille à l’envers dans une tonicité et selon les lois du solo où de la danse de corps de ballet, passés au crible d’un tempo et timing d’enfer. Tout roule et se déroule dans une tectonique des plaques digne d’une trombe déferlante de météorites projetés dans l’espace. Les danseurs galvanisés par cette écriture virtuose, défit les lois de l’exécution sont tels des comètes projetées, lâchées au firmament du monde. Les danseurs du Ballet Royal de Flandres y font une performance unique, défiant les lois du possible, inventant sans cesse le temps de la représentation, la vision de l’invincible, de l’inouï. « Bienvenue à ce que vous croyez voir » est son crédo et le public, médusé, transformé pour l’occasion en témoin de cette incroyable mouvance musicale, jubile sous le ravissement. Car le rapt n’est pas loin qui amène celui qui, regarde à faire corps, à épouser l’énergie de l’autre pour parvenir à un état de transe : alchimie ou catharsis, on choisira les termes pour qualifier la danse de ce magicien de l’art chorégraphique toujours en avance sur sa propre créativité
Geneviève Charras

mercredi 20 juillet 2011

La danse comme l'air: libre pensée, libre phrasé! "Cesena" "Unworth" et "trente- trois tours"


DANSE EN PLEIN AIR : libres penseurs, libres danseurs !
Avec « Sujets à vif » la SACD prend ses quartiers au jardin de la Vierge en Avignon. Des quatre premières propositions de cette année on retiendra celle de David Lescot « Trente-trois tours », une belle réussite, humoristique, décalée et pleine de retenue et de distance sur la rencontre entre le danseur de Brazaville, DeLaVallet Bidiefono et David Lescot. Onze pièces de trois minutes pour créer chacune un univers de gestes, de sons, de mots qui s’entrelacent, se tissent ou se défont à l’envi. Un charme fou et débridé opère sur la scène sans fard ni fanfreluche, brut et simple, franc de collier ! Ils s’affrontent, échangent, changent les rôles et se passent le mot dans une authenticité de bon aloi.. Un vrai moment de spectacle partagé par de grands artistes, interprètes de leur imaginaire dans un monde sans mensonge, sans tricherie.trente-trois tours...et puis s'en vont!!!
GENEVIEVE CHARRAS

« Cesena »: à l’aube, au crépuscule de la voix des corps
Anne Teresa De Keersmaeker aime les défis, les batailles, les combats, la musique, le chant à capella, les corps dansant…la musique dans la danse, la danse dans la musique. La lumière aussi, la pénombre de la Cour du Palais des Papes à quatre heures du matin.
Magie de la révélation des images dans l’avancée de la lumière crépusculaire. On passe de l’opaque à la frange des rayons du soleil à l’inverse de son expérience de l’an passé sur le crépuscule du soir avec « En Atendant ». Toujours en compagnie de la musique sacrée des chants à capela  de l’ars subtilior…Pas de régie, rien que le temps qui passe, les corps qui glissent dans le sable qui crisse. Rien que les voix, la danse, les murs du Palais qui réverbèrent le son. Et l’écoute du public, fasciné ou bercé à cette heure curieuse où le chant du coq pourrait se manifester. Une expérience du vécu pour chacune des parties : les artistes autant que les spectateurs qui assistent à la cérémonie œcuménique dans un total respect. L’épuisement gagne les danseurs et chanteurs, galvanisés par l’atmosphère qu’ils créent, dans une dépense et un don digne d’une communauté soudée par la passion et la dévotion. Culte ou spectacle, cérémonie ou représentation, on ne sait plus trop où l’on se trouve, sinon à errer dans Avignon au petit matin en quête de ce bonheur à conserver jalousement !!!
GENEVIEVE CHARRAS

« UNWORT » de William Forsythe
Il ne manquait plus que le grand Willi pour s’associer au projet de Boris Charmatz : le voici avec une expérience singulière  en l’Eglise des Célestins « Unwort ». Un jeu sur les lettres, les mots, manipulés comme des sculptures vivantes par trois danseurs. Des « objets chorégraphiques » inédits qui font réfléchir, fléchir la pensée et le corps vers d’autres aventures de corps. Citant œuvres musicales et littéraires françaises du XXème siècle, Forsythe désarticule chacune pour en proposer une version, libre adaptation dans l’espace et le temps. Au spectateur-promeneur de s’y déplacer pour changer son point de vue et détricoter l’ordinaire. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, il n’y a que Forsythe qui m’aille ! Et c’est bien vrai pour les esprits curieux en quête de décalage. De décadrage ! De décodage et d’appétit de détournement d’œuvres !
GENEVIEVE CHARRAS

"Enfant" et "(M)imosa" : Qui est là? dans le "in" en Avignon


LA DANSE DANS LE "IN" en Avignon
Boris Charmatz avec « Enfant » lâche la plus belle horde de gamins qu’il soit dans la Cour du Palais des Papes. Inertes, baladés, balancés, ballottés au début , jamais « manipulés » par les adultes-danseurs, ils gisent, font et défont l’espace. Ils fondent dans le sol, se répandent comme des fluides, puis prennent pieds dans ce monde, s’en font les agitateurs, animés par leur énergie palpable. Ils tracent diagonales et courses folles à travers ce plateau immense qui jamais ne les dépasse. Rois et reines, sereins, présents, ils s’affranchissent de machineries complexes, celles qui font un festival, qui aident aussi en coulisses à bâtir un proscénium. C’est une œuvre collective, une danse chorale qui s’ignore tant elle est spontanément généreuse. Alors Charmatz une fois de plus échappe aux règles et outrepasse par sa conduite irraisonnée et déraisonnable, les lois de la discipline.. « Indisciplinaire » en diable, comme il sait l’être pour son projet « Ecole d’art » ou « Musée de la danse ». Un édifice en Avignon à la gloire des autres, de la danse, de ses joutes et batailles hors la loi pour mieux « lever les conflits ». Aatt enen tionon, il gagne son pari pour mieux  relever les défis « à bras le corps »
Dans le genre et dans « la famille », Cecilia Bengolea et François Chaignaud calent un « (M)imosa » touchant et désopilant à la manière d’un grand fatras déballé, de danse, de chants de postures et attitudes déjantées, chères à leur esthétique du chaos et à celle du « voguing » qui un beau jour aurait rencontré ceux de la Judson Church !!!!.
Bienvenue chez eux, au paradis de la transformation et de la métamorphose. Qui est qui, qui sommes-nous, interchangeables ou identiques, façonnables ou façonnés par nos idéaux, nos entraves, nos désirs, nos rêves. Ils ont des corps « canoniques », superbes et glorieux mais au service d’autre chose qu’une beauté  assumée et rassurante. Le temps du spectacle, les quatre compères assouvissent leur faim d’humour, de détachement, de danse qui les parcourt de partout. Au final, on en sort ravi, agacé tendrement et stimulé par toutes ces formes qui se heurtent, se catapultent, s’entrechoquent pour mieux rebondir on ne sait vers où.
GENEVIEVE CHARRAS