lundi 26 septembre 2016

"Les Misérables" avec Jean François Zygel: sur l'écran, les touches du piano résonnent étoilées


S'il est un spécialiste du genre "ciné concert" c'est bien lui, ce pianiste si passionné qui avoue avoir eu la révélation de sa vocation à la vision "des misérables", un film muet des années 1925, celui de Henri Fescourt; adaptation cinématographique du roman fleuve de Victor Hugo qui fera date dans l'histoire du cinéma
En noir et blanc, restauré, le film fleuve de 6 heurs fut montré en deux séances au festival Musica à l'UGC Cité Ciné de Strasbourg
Film scintillant de contrastes, images saisissantes où les corps racontent la dramatique histoire de Jean Valjean, ce forçat, libéré mais victime de la haine et de la méfiance des autres: ce monstre rebelle qui tente de se transformer en être bon, en "belle personne" par l'intermédiaire des destins qu'il va croiser: celui de Fantine, de Cosette, de l'évêque
Bref: l'histoire est bouleversante et la version pianistique que nous délivre Jean François Zygel, est de toute beauté, de toute sensibilité, à fleurs d'images, à fleurs de corps: ceux des acteurs qui se donnent à l'écran, qui vivent aux delà des mots absents, leur gestuelle éloquente, quasi dansée!
En direct, la performance est artistique et physique: il sent et devance le découpage des plans, anticipe ou accentue l'intrigue. Il nous rend les personnages vivants et présents, tel celui du diabolique Favert, fabuleux Jean Toulout ou Fantine, troublante Sandra Milowanoff
Parfois en contrepoint: musique discrète sur un plan de rixe sauvage, ou musique vive et rapide pour une séquence tendre ou amoureuse


Musique improvisée, inspirée, l'un soir à l'autre, inégalée: La séquence où le commisaire Javert perd ses repères, est semé de troubles est extraordinairement accompagnée par le pianiste: petits touches, percussions curieuses pour évoquer cette bascule, ce grand chambardement chez cet homme qui cède, craque et se rend.Beaucoup d'inventivité en direct, in situ pour livrer une lecture, une interprétation personnelle du tempo, des images.Et le film revêt des tensions inédites, des soupirs ou des pauses salvatrices; parfois triturant l'intérieur du piano pour en délivrer des sons de percussions inédits
Un régal, des instants privilégiés d'écoute et de regards pour cette oeuvre phare qui se révèle expressionniste parfois dans ses tons et contrastes appuyés, ses mouvements de foule coordonnés comme dans les chorégraphies d'Harald Kreutzberg pour Murnau.
Merci au festival de nous éclairer sur cet aspect de la musique de film et de nous donner envie d'en savoir plus aux côtés de Jean François Zygel!
Pour faire chanter la toile pour illuminer l'écran de la brillance de sa musicalité très kiné-mathographique: cinéma: l'art de l'image en mouvement, en son et frissons.
La preuve par z, s'il le fallait que J.F. Zygel est bien l'homme de la situation: improvisateur de génie, de fantaisie, respectueux et iconoclaste berger du patrimoine du cinéma muet: on en reste sans voix!

Musica dominical: musique et Chambre et "Mririda": de la "petite forme" à la "grande forme": que de talents!


A l'auditorium de France 3 Alsace, par une belle matinée automnale, le "brunch":"Aimard/ Simpson/Amestit, un trio flamboyant, virtuose pour interpréter un chois judicieux d’œuvres croisées de Schumann, Kurtag et Marco Stroppa.
En prologue, le pianiste expose les fondements de cette belle union: les complicités, influences et affinités de ces trois compositeurs à travers le siècle.
Alors, c'est un programme qui s’enchaîne, sans "coupure" pour mieux faire comprendre les liens musicaux qui président à cette présentation.
On sent la passion qui anime l'interprète: partager aussi la connaissance de la musique, en jetant des ponts et passerelles pour une fois de plus pointer qu'on ne vient pas de nulle part.
En avant donc pour un concert fleuve où l'on glisse d'une oeuvre à l'autre: elles semblent s’emboîter en gigogne, tellement leur proximité musicale se révèle limpide, naturelle, évidente, ainsi présentée.
La mise en espace dans le cyclo blanc souligne la sobriété, l'intimité de ce programme de musique de chambre à trois: violoniste, pianiste et clarinette.
Parfois isolé, parfois se penchant sur le piano, ou trio dispersé dans l'espace: ils habitent leur musique et cet écrin net et simple où se distille dans un calme serein, les œuvres des auteurs choisis.
Gyorgy Kurtage avec son "Hommage à R.Sch. opus 15 d" de 1990 et deux autres pièces se taille la part belle, auprès de Schumann avec "Bunte Blatter" 1841 et "Marchernerzahlungen" 1853
Des clins d'oeils se tissent entre les œuvres et "Hommage à Gy. K." de Stroppa serait le lien, ce qui fait prendre l'osmose et la symbiose de cette musique romantique dans le fond, contemporaine dans la forme ou les intentions
Un beau maillage où l'on se laisse conduire, de l'une à l'autre en navigation libre, emporté par la finesse, la richesse et la préciosité du programme
Une initiative "éducative" sans didactisme en toute intelligence: "interligerer": relier, avancer, comprendre pour rebondir et découvrir les origines des sons d'aujourd'hui.

"Mririda": un opéra contemporain, en construction
Soulignons ici, la "jeunesse" de l'oeuvre ce jour interprétée par  l'Ensemble orchestral du Conservatoire et de l'Académie supérieure de musique de Strasbourg/HEAR, les artistes de l'Opéra Studio de l'Opéra national du Rhin et les élèves comédiens du cycle à orientation professionnelle du Conservatoire de Strasbourg
La valeur n'attend pas le nombre des années, une fois de plus ceci se confirme!
Un opéra contemporain de Ahmed Essyad sur un livret de Claudine Galéa, mise en scène et décor de Olivier Achardet sous les directions de chaque chef d'ensemble
Du beau monde pour cet opus inédit qui met en scène des hommes et des femmes en prise avec la guerre en Haut Atlas
Évocation sonore d'un ailleurs, exotisme perméable aux sonorités de la musique du Magreb, servie par de jeunes chanteurs très convaincants
On remarque d'emblée Francesca Sorteni et Colline Dutilleul, l'une en Mririda, héroïne saisissante d'une histoire tragique et l'autre en vieille femme aguerrie aux malheurs du monde
La guerre, bien campée dans un décor vidéo signé Julien Laurenceau: images de ruines, arbre déchiqueté, pandrillons blancs pour dissimuler ou révéler l'action.
On suit avec intérêt l'intrigue à rebondissement, les convictions de Mririda, femme légendaire, engagée, investie d'un message de paix dans ce contexte de guerre idiote et stupide
Les conflits d’ethnie, de race et d'origine sont fortement évoqués et la musique souligne, guerre, accalmie et inquiétude avec brio et justesse
Servie, par les chœurs de l'Opéra du Rhin, cette oeuvre prendra de l'ampleur et toute sa dimension à force de rodage et la générosité de l'engagement de tous en fond un modèle "participatif" d'union de compétences et talents, un rassemblement de jeunes pousses et valeurs sures qui peut atteindre de jolis sommets: ceux du Haut Atlas pour sur, terre refuge, ou terre de rébellion.



dimanche 25 septembre 2016

"Munchener Kammerorchestrer et Rias Kammerchor: Cathédrale et baldaquins pour Musica


Musique de chambre dans la nef, le chœur de la cathédrale notre Dame de Strasbourg: les bras en tombent et le pari, gageure de pouvoir encore donner ce concert dans le berceau de notre chrétienté alsacienne est gagné Musica. Quel beau challenge: salle comble, longue file d'attente sur le parvis; on est sur le qui vive, impatient de découvrir dans cet écrin, les œuvres d'aujourd'hui.

Pour nous enchanter et sous la direction d'Alexander Liebreich, une oeuvre de Salvatore Sciarrino, "Responsorio delle Tenebre" de 2001
Le chœur d'hommes sur les bas côtés de la nef font résonner, voix et écho, splendide entrée en matière pour cette "sacrée soirée" musicale; L'ambiance est plantée comme un décor spirituel pour la pièce qui va suivre, celle de Pascal Dusapin, pilier du festival  Musica, comme celui des anges protecteurs qui ornent la crypte de notre monument gothique. C'est "Disputatio" de 2014


Voix de femmes, murmures doublés par les cordes: flamboyance de la musique, oscillant entre graves et aigus en alternance, un gong pour perturber les longues envolées vocales qui s'étirent.Cristal des voix, fragilité des sons d'un magnifique harmonica de verre, comme une corne d'abondance en or.
La dramaturgie s'installe avec ses stridences inaccessibles sons aigus, transport liturgique ascendants.Lignes fuyantes des voix comme une fugue, élévation spirituelle, bordée par les percussions, cordes et voix d'hommes.Une puissance sourd sans écraser ni submerger: on reste libre et avisé dans cette oeuvre qui convoque choeur et instruments, en nombre.Au firmament, au zénith, on plane dans la légèreté, l'impalpable grâce de cette musique si lyrique, si riche et porteuse de joie.
Jeu sur le verre pour être fragile, discret, vulnérable. Orpailleur du sublimé, de l'onirique, visionnaire et spirituel Pascal Dusapin façonne le son comme de la porcelaine blanche translucide, frêle mais pleine de mystère.Musique de sable fin, ajourée comme un marli d'assiette de collection dans un vaisselier fragile et massif à la fois.Précieuse, ciselée, en dentelles, pure et désincarnée.Le son de petites timbales pour ajouter de la précision, de la finesse et ponctuer ce rituel païen, si œcuménique
La musique avant toute chose, la félicité pour credo.
Dusapin de toute sa carrure vient modestement saluer, se penchant humblement devant le public et les interprètes. Un très grand compositeur.

Après un entracte, reprise du concert, le temps d'écouter, recueilli, le zehnerglock de la cathédrale: écoute de l'intérieur de ce célèbre repère résonnant pour les strasbourgeois. Un instant de grâce aussi avant d'entamer le "Requiem opus 9" de Duruflé, daté de 1947
Chœur, orgue, voix en solo, tout est là pour transporter l'auditeur dans un univers universel, laissant libre cour à l'imagination:messe des morts jamais tragique ni pathétique, jamais théâtralisée pour effrayer ou asservir ceux qui partagent son écoute
On sort de cette "sacrée soirée" requinqué, averti, enchanté, les ailes au bout des pieds.