vendredi 3 décembre 2021

"Lueur boréale":immersion dans le grand nord, boussole au diapason !


Alexandre Taraud fait ses "aurores boréales" ! 

 Des étendues enneigées et des sonorités folkloriques évoquant le halling, une danse populaire norvégienne : le Concerto pour piano écrit par un Grieg de 25 ans est nimbé de la lumière du grand Nord. Cette page n’en possède pas moins des accents romantiques schumanniens, installant un lien avec l’ouverture d’Hermann et Dorothea où retentit une reconnaissable Marseillaise ! Elle entretient aussi un dialogue avec une autre partition de jeunesse : l’impétueuse Symphonie n°1 de Sibelius. Si l’œuvre est à la croisée des chemins, possédant des influences venues de Bruckner, Dvořák, Borodine et surtout Tchaïkovski, l’art éminemment singulier et subtil du compositeur finlandais y est déjà perceptible. 

Schumann "Ouverture de Hermann et Dorothea"

 Aux accents de la Marseillaise, voici une oeuvre puissante en vagues successives, tout en souplesse et nuances.Emphase et puissance de flux pour un thème repris du célèbre chant révolutionnaire, par fragment et mesure, faisant de cette "modeste" mélodie, une symphonie colorée et changeante, comme un leitmotiv en retour, chargé de modifications savantes.Une adaptation" qui s'envole vers la fantaisie rigoureuse, des envolées, transports ascensionnels ou sensible et lente évocation alerte d'une mémoire vivante. 

Grieg "Concerto pour piano en la mineur"

 Œuvre au succès jamais démenti, le Concerto de Grieg fut composé en 1868 par un jeune homme de 25 ans. Virtuose et lyrique, il est conçu dans un style austrogermanique, mais incorpore aussi des éléments de folklore norvégien. On explore l’identité multiple et les caractéristiques de cette partition fascinante, plus mystérieuse qu’il y paraît.

C'est Alexandre Tharaud qui s'en empare, nerveux, efficace dans la célèbre introduction: l'osmose entre piano et orchestre se construit vaillamment dans des phrasés altiers, nobles et très élégant. Comme le jeu du pianiste, doigts déployés et vrillés, plexus offert en fin de phrase à l'adresse de l'orchestre, retiré des bras et recul pour mieux embrasser la musique.Frémissement des cordes, lente introduction du piano en préambule, caresse et coups de pattes félins sur le clavier, pelote et pulpe des doigts au travail, c'est un régal de voir jouer ce démiurge pianiste...Des paysages aériens se détachent de la partition, étendues, enveloppantes face aux soli virtuoses du piano: la grâce incarnée! Vibrations et scintillement de la composition où l'intrusion des cordes immergées donnent naissance à une rencontre mystérieuse entre tous les pupitres.On reste immergés, submergés dans ce premier mouvement allègre. Puis comme pour un choeur vocal, les étirements des cordes chantent, créent un immense espace sonore, étiré, plan, horizontal.Plus bondissant par la suite par l'amplification des volumes sonores, un effet de puissante, une masse sonore nait, nuancée, modulée faisant place à une chevauchée sonore relayée par chacun des pupitres.Méandres enroulés, serpentant, fluide vers l'estuaire de la composition.Suspens et montée en puissance retiennent leur souffle et le notre, comme une danse indolente pianistique, la présence de Tharaud se fait indispensable autant qu'invisible.Une signature gestuelle toujours comme figure de proue d'une gestuelle singulière, fascinante....Un épilogue fameux pour conclure et refermer cette oeuvre magnifique écriture enivrante.On ne pas pas quitter le maestro du piano comme cela: à deux reprises, il nous rejoint, seul pour exécuter un solo vertigineux, beau joueur, puis la version pianistique de la danse des sauvages des Indes Galantes de Rameau: élégance baroque enjouée, sauvage et épurée: un régal généreux, partagé et une ovation pour l'artiste! 

Sibelius "Symphonie n°1 en mi mineur"

 Clarinette en solo et grosse caisse pour introduction, pour ouverture à une atmosphère rare et secrète, intime qui ne durera pas!La globalité de l'orchestre enchaine après un silence radieux: vagues et valse hispanisante ponctuées de tourbillons, spirales ascendantes, envolées sonores.La discrétion de la harpe réussissant à enrober les cordes pour un voyage à vive allure, symphonique.Galop, chevauchée directe, droite, cap au port;en précipitations fulgurantes. Initiatrices de surprises et rebonds multiples: évoquant le flux et le reflux marin, ondes qui se répandent soutenues par l'énergie de la direction du chef d'orchestre Aziz Shokhakimov.Rapidité et vitesse hallucinantes comme apogée, au zénith de la composition.Dans cette ère de jeu aérienne, quasi hispanisante, des envolées gaies et joyeuses donnent le ton et l'atmosphère.Un ciel qui se recouvre, menaçant aussi dans un suspens grandissant!Les flûtes traversières comme relais, les cordes en tuilage judicieux, discret pour faire avancer rythme et cadences.Des bribes de harpe dans ce magma intense surgissent, des éclats et jaillissements sonres donnent le ton et l'envergure de l'oeuvre gigantesque fresque sonore.Des bourdonnements sourds de la grosse caisse dessinent un paysage cinématographique sur grand écran à 360° ! 

Et l'on clôt la soirée en bis, par "La valse lente" de Sibélius, histoire de calmer l'ambiance et de rêver à des transports légers pour se rendre dans la nuit aux lueurs boréales.... 

Vendredi 3 décembre, à l'issue du concert Lueur boréale Salle de répétition, Palais de la Musique et des Congrès une expérience originale propice à la rêverie a été proposée à l'issue du concert.. Elle a rassemblé autour d'Alexandre Tharaud le directeur musical et artistique de l'Orchestre Aziz Shokhakimov, le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, le comédien Gilles Privat ainsi que Salomé Mokdad, harpe solo de l'Orchestre. Plongés dans une quasi obscurité, les spectateurs ont été  conviés à un moment méditatif et poétique dans un cadre intimiste. 

frantisek zvardon aurores boréales

 

"Antigone à Molenbeek et Térésias" : deux monologues sans langue de bois!

 


Antigone à Molenbeek
Nouria, une étudiante en droit, qui vient au poste de police réclamer la dépouille de son frère parti rejoindre les rangs de Daech et mort dans un attentat suicide. C'est "Antigone" qui une heure durant va façonner son monde: celui d'être la sœur d'un jihadiste mort dans l'attentat suicide qu'il a commis: situation d'aujourd'hui au regard du personnage légendaire et mythique. C'est Ghita Serraj qui s'y colle, une Nuria douce et aimable, résolue et avec qui une empathie se tisse au fur et à mesure: longue chevelure noire, présence impressionnante et convaincante figure de l'inhabituel, de l'étrangeté de son sort.Destin qu'elle franchit en compagnie de quatre musiciens "virtuels" gravés en vidéo sur des panneaux grandeur nature: c'est bluffant et la simultanéité de leur jeu avec la musique et le jeu de l'actrice sont des éléments virtuoses de mise en scène. Son visage en gros plan, ses yeux écarquillés, la douceur feutrée de sa voix, tout concourt à nous guider dans son cheminement Le quatuor Debussy se jouant des poses, des silences, des image surdimensionnées ou rétrécies...Chostakovitch au poing sur le bout des cordes Intime confession et aveux d'une femme livrée à elle même face à une justice réinventée Le frère et sa filiation et adhésion sans limite de compréhension: sa rage est vitale et sa situation cornélienne, supplice et douleur, souffrance et sacrifice. C'est beau et prenant, tendu et les dessins qu'elle esquisse sur deux cadres de verre diffusent le flou, la confusion existentielle de cette héroïne légendaire méconnaissable Antigone d'aujourd'hui. Les praticables qui la soutiennent en décor et scénographie tectonique tracent et limitent son champ d'action et l'enferment malgré elle dans le carcan du destin tout tracé, comme dans celui de Stephan Hermans, dramaturge.

Tirésias

Un adolescent qui d’homme devient femme, puis prophète aveugle qu’on ne veut pas entendre. Dans le monologue de Kae Tempest, poetesse, se dresse derrière ce portrait d’aujourd’hui une silhouette antique de Tirésias.C'est la pièce suivante de cette soirée Cassiers: Valérie Dréville sera ce personnage d'apparence féminine dont elle garde la douceur, la malice et la tendresse.Dans le même décor elle évolue en phase avec les quatre musiciens sur panneaux-vidéo, se reflète dans les images vidéo simultanées, se dédouble et sème le trouble. Voix enjôleuse et sereine, assurée, attitudes et postures confiantes, très chorégraphique Habitée judicieusement de moult émotions et sentiments , musicale aussi, en dialogue permanent avec la musique.Elle malaxe son destin dans un réceptacle de farine, ses bras s'allongent en gros plan-vidéo comme une plage qui oscille...

Quoi de commun entre ces figures, ancrées dans le présent politique comme dans le passé mythique ? Une voix du refus d’un ordre étouffant, des assignations identitaires, culturelles, sociales, sexuelles, celle qui affronte le silence froid de l’institution en affirmant la nécessité vitale de l’empathie. Celle qui oppose un « je veux » à un « tu dois ». Guy Cassiers nous fait entendre ces paroles en miroir, dans un spectacle qui fait se rejoindre la technologie visuelle et la musique de Chostakovitch, enregistrée par le célèbre Quatuor Debussy.. Un diptyque qui est bien plus qu’une simple actualisation de la tragédie dans le présent : il révèle dans le présent la permanence du tragique.

Au Maillon jusqu'au 3 Décembre

jeudi 2 décembre 2021

"Les petites vertus": ça balance au berceau du "grande" du "piccolo bello" !

 


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LES PETITES VERTUS cie MELAMPO

Inspiré des Petites vertus de Natalia Ginzburg (ypsilon éditeur)

Sur scène trois générations dialoguent : le grand-père, la mère et l’enfant. Dans cette création à destination de la petite enfance, Eleonora Ribis se penche sur la construction du lien parent / enfant. Elle passe ici par un travail autour des mains, symbole de transmission par excellence. Dans un dispositif qui serre le public et la scène comme les bras du parent entourant l’enfant, un tout-petit du public est invité à chaque représentation à participer à la pièce dans un dialogue fait de silence et de mots. Ces derniers, tirés d’extraits de textes de la romancière italienne Natalia Ginzburg, sonnent comme une évocation sensible, une caresse touchant nos oreilles. La metteuse en scène convoque tout un vocabulaire personnel qui touche à la gestualité de l’Italie, puisant aussi dans la langue de signes, sa symbolique dans la peinture, les mudras et les danses orientales.

Dans la salle du Palais des Fêtes, une enclave: une arène en spirale, tout en rond, des parois tissées pour mieux encadrer, protéger, inventer un espace d'accueil propice à la petite enfance...Des praticables à bascule accueillent les corps de nos deux protagonistes : ils tournoient, basculent, la roue tourne et le plexiglas floute les silhouettes. Bercements apaisants, déséquilibre permanent: le premier danger face au monde mouvant? En résonance avec les impulsions, le mouvement se déclenche et respire, flotte. Des sons, voyelles "grande", piccolo" parviennent pour colorer l'atmosphère chaleureuse.Tendresse, bien-être, bien-naitre au monde, enveloppe douillette et joyeuse.Des sons organiques aussi rythment les silences, distribuent l'univers sonore et l'enchante.Un langage en onomatopées, une niche pour un corps recroquevillé, habitacle confortable et rassurant.Ici les deux personnages se taquinent, se chamaillent, avec un beau doigté, du mime et de la simulation de gestes nourriciers.La becquée, relais des sens, du gout, des grimaces et rugissements pour être au coeur de l'univers des enfants.Des jeux d'ombre aussi avec les mains de mudras, un trône pour diversifier l'origine d'un petit discours, des dialogues dans le fauteuil tête à tête des deux comédiens-danseurs.Le langage des signes sourd de leur corps, simplicité des sens en éveil.Une inspection de tout l'espace pour mieux l'appréhender, le reconnaitre! A genoux, au sol, ils touchent, frôlent et balayent la surface de l'ère de jeu.De belles accolades, étreintes et petites manipulations de l'un par l'autre pour égayer le propos.Et la forme concave du berceau pour reposoir et inciter les enfants à s'y risquer! Madone en offrande, piéta, de belles images surgissent, oniriques et poétiques On y picore les gestes de ci de là, on partage la nourriture virtuelle: l'amour et la douceur, à foison! C'est juste et beau, bien dosé et les bambins d'envahir l'espace libéré pour pirouettes et bascules!

Au TJP jusqu'au 3 Décembre