mardi 21 janvier 2025

Chloé Zamboni LA RONDE "Magdaléna": comme Bach....dépouillement et gemellité assumés.

 


Magdaléna  France duo création 2023 

Pour sa première création, LA RONDE s’inspire d’une expérience d’écoute des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Chloé Zamboni poursuit ce qui n’était qu’un laboratoire de recherche avec Marie Viennot pour former Magdaléna : un duo chorégraphique contemplatif, centré sur une exploration somatique du mouvement. Rigidité du dos et lignes de bras fuyantes se manifestent autour d’un travail d’oscillation du bassin concentrant l’attention. Au milieu d’exercices minimalistes et cliniques se déploient des états sensibles, cherchant des échos intimes chez les spectateurs, installés dans une proximité rare. Cette proposition gémellaire appelle une divagation de l’âme dans un florilège d’émotions.

Deus entités se regardent, s'observent, se joingnent dans une sirte d'unisson-mirir déformant: soeur siamoise ou jumelle très inspirées d'un tableau de Chassériau "Les deux soeurs". Ou pas du tout...


Demeure cette gestuelle en posture fragmentée dans un silence que seul l'absence de musique révèle. Les deux corps enlacés, assis, cheveux lissés et raie au milieu, s'assemblent, se ressemblent. Le jeu de mains, doigts écartelés se fait graphique et très plastique. Les gestes précis en "petits bougés" laconiques sont des perles d'un collier qui leur sied à merveille. Tout en noir comme deux reflets d'une même personne doublée de son ourlet fantasmé. "La danseuse et son double" assurément pour mieux se séparer l'une de l'autre esquissant au sol des mouvements et postures aux allures de gisantes animées. Les orteils en éventail, savant jeu délicat et tactile. Elles se relaient l'une l'autre et se retrouvent pour incarner un être hybride, une bestiole fantastique, une chimère évasive et interrogative. Un savoureux duo inspiré de la métrique, des fugues et autres facéties du compositeur le plus exigeant en matière de composition et architecture sonore. Un choeur a cappella où deux soeurs seraient immortalisées dans une matière mouvante, corporelle, sensuelle à souhait .Sobre, épurée, domestiquée par une signature chorégraphique unique et singulière. Un travail d'orfèvre qui séduit et touche par la frugalité et le dépouillement. Les regards s'y croisent ou s'ignorent dans un espace sonore réinventé qui puise aux sources de la vibration. Saveurs délicates d'un opus élégant, réversible à double face.

A Pole Sud les 21/22 Janvier dans le cadre du festival "L'année commencent avec elles"

samedi 18 janvier 2025

Chara Kotsali:" to be possessed": démons et merveille, self controle!

 


to be possessed

 Marquée dès son plus jeune âge par les films d’horreur et les histoires de possessions de sa Grèce natale, Chara Kotsali traque les esprits qui hantent notre langue, nos textes, nos connaissances et le monde matériel dans lequel nous baignons. En solo, elle donne vie à une multitude de rituels successifs, issus de témoignages de femmes d’horizons variés. Histoires de démons, exorcisme religieux, convocation d’esprits… autant de matières qu’elle transcrit corporellement, agitée par des phénomènes extérieurs qui entraînent une sauvagerie subversive. Être possédé par un passé impalpable et un pouvoir inconnu, la performeuse compile des archives de sons auxquels elle ajoute des effets de loop au micro, colle des affiches comme autant d’idoles formant un cadre indémêlable d’attirance / répulsion, dans une mise en abyme du carcan de normes qui contrôlent le corps social, depuis des siècles.

La réflexion est prolixe, le mur d'affiches à l'inverse de la pratique d'arrachement à la Hains Rotella ou Villeglé, bordé de coupures de photographies qui vont se rejoindre et former une nouvelle image. Collages, décollage sur ce tarmac à la verticale que la performeuse va recouvrir de colle à tapisserie à l'envi. Trois plots pour accueillir les accessoires "utiles" ou "inutiles" pour cette performance percussive où l'artiste, soliste nous interroge sur le son, les mots de la folie. Ce qui passe par le vecteur corporel quand on est atteint de syndrome de "danse de saint guy" ou autre possession chamanique et rituelle. Les mots du corps, les maux de cette femme, longs cheveux éparpillés, jean et baskets communs. Elle déploie son talent unique et singulier en une danse diffractée, déséquilibrée, en miette comme cabossée ou inspirée par des esprits proches ou lointains. Ce solo énigmatique ne délivrera pas tous ses secrets: sa voix bordée en direct par une reproduction artificielle de ses paroles indistinctes. Jeu de malin, jeu de vilain, jeu de sorcellerie qui touche, inquiète et nous projette dans une étrange atmosphère de mystère. Douée d'une présence forte et ancrée, la performeuse use et abuse de cette physicalité qui lui est propre, de son regard inquisiteur. Chara Kotsali est intrigante et fascinante.Trompette de la renommée, percussions de secrétaire sur son clavier informatique, elle oscille entre danse et théâtralité, passe furtivement de l'une à l'autre, offrant des paysages harmonieux, des ambiances troublantes. Déséquilibrée, folle et lascive, elle s'empare de cette danse de Saint Guy -on se souvient des danses d'épidémie de 1518 de Strasbourg- avec passion et distanciation.

A Pole Sud les 17/ 18 Janvier dans le cadre du Festival "L'année commence avec elles"

Akiko Hasegawa : "Kanashimi " efleurage à pétales. Lamentations distantes et distendues. Bonjour, Adieu tristesse !

 


Kanashimi

Après avoir exploré le corps en joie dans un premier solo (Haré Dance), Akiko Hasegawa sonde la tristesse (Kanashimi). La danseuse strasbourgeoise, installée en France depuis le milieu des années 1990, poursuit un voyage intérieur autour de moments clés de son existence. Solitude et éloignement familial, danse au bord des larmes de Marta Graham, rencontre avec la tragédie Grecque sous un soleil de plomb, perte d’êtres chers… Autant de montagnes russes d’émotions qu’elle traverse au son du violon d’Aline Zeller. Sur une note tendue, redescendre là où le cœur se serre, avoir besoin de lumière et retrouver la brûlure de vivre poussant à remonter la pente. Mêler la danse, la présence et l’absence, l’ici et l’ailleurs.

 Sa silhouette se dessine à peine dans la pénombre... Seule dans l'opacité du noir, dessinée en contours imperceptibles. On la découvre en jogging, cagoule ou capuchon tendu, veste également outrancièrement distendue comme une seconde peau qui tente de muer, de se déchirer. Hommage à Martha Graham dans "Lamentation", clin d'oeil à l'histoire de la danse et de ses femmes "pionnières".  Sans doute..Elle insiste pour détendre et relâcher de toute sa peau cette pelure artificielle et sous cette plissure, des clochettes s’égrènent au sol, tintinnabulant. Son corps, massif, s'expose et vibre. Sa seconde doublure apparait: une violoniste qui l'accompagnera durant ses cinq tableaux successifs. Instrument qui prolonge le corps de son interprète qui prend le haut du plateau. Deux pour un solo dansé où les formes du corps de Akiko Hasegawa prennent de l'aisance, se déploient sous les lumières et couleurs de pastel à la Rothko qui la teintent de douceur, de flou évanescent. Noire, sera sa tunique, longue et seyante pour exprimer la douleur, l'intimité de la tristesse. 


Puis un long voile rouge en fera une Willis égarée, spectrale traversant elle aussi l'histoire du ballet: ces êtres diaphanes qui hantent les fantasmes du XIX siècle. Reine ou ectoplasme naviguant sur le plateau à la recherche d'une identité. La danseuse sème le trouble, isolée de toute influence, droite et directe, poétique et fluide, le corps asservi à ses désirs de calme, de tranquillité, de jubilation intérieure. Pour les transmettre et communiquer à un public attentif bercé par les sons, les vibrations de l'instrument à cordes, rivé à Aline Zeller.Fleur de tulipier ou magnolia en couronne qu'elle effeuille doucement, pétale après pétale: une façon bien à elle de faire de l'effeuillage discret et poétique, couronné par ce végétal symbolique à la japonaise.

Ce solo en pleine éclosion fertile est un bon signe de l'évolution du travail hypnotique de la danseuse au coeur généreux, à la plastique bien ancrée et solide.


A Pole Sud le 17/ 18 Janvier dans le cadre du festival "L'année commence avec elles"