mardi 28 janvier 2025

Silvia Gribaudi " R. OSA" : big is beautiful

 


par ZEBRA Italie solo création 2017    "
R. OSA"Avec Claudia Marsicano


Cassant les codes du beau et des silhouettes filiformes, Silvia Gribaudi poursuit son dynamitage en règle des normes. Souvent en scène avec son corps tout en rondeurs (Graces), voilà qu’elle laisse le plateau à Claudia Marsicano. Sa complice interprète une prof d’aérobic pas comme les autres. En 10 exercices, nos préjugés sont battus en brèche, sa technicité sans failles prouvant qu’elle n’a rien à envier à ses pairs aux physiques de podiums. L’humour bravache en étendard, c’est bien le rôle social dévolu aux femmes – conscientisé ou pas ! – qui est remis en question, la grossophobie galopante n’étant que la partie émergée d’un iceberg de clichés tenaces. Le tour de force de ce one woman show italien à nul autre pareil est de réussir à rallier le public à sa fièvre dansante.

Le sol est tout rose, les pendrillons en contraste noir: voici l'arène où apparait une femme, maillot de bain bleu turquoise enveloppant son corps, Vénus callipyge que l'on se prend à ausculter du regard, non par curiosité mais pour y découvrir des formes corporelles inédites. Et la voici qui se présente de profil et se met à chanter d'une voix forte et chaleureuse, un air de country. Elle s'exprime en anglais et s'adresse au public, désormais complice pour lui faire exécuter à l'unisson des gestes simples qu'elle pratique avec aisance. Son corps mouvant comme vecteur et directeur de consignes collectives qui nous rassemblent alors en empathie autour d'elle. Plus tard elle s'adonne à de petites percussions corporelles dont chacun des spectateurs s'empare pour se faire du bien alors qu'elle reprend une chanson traditionnelle. Sa présence est forte et impacte le public. En sous-vêtements noirs, elle se fait sexy et aimable mannequin anticonformiste et inclassable effigie féminine dansante.Silvia Gribaudi confie à Claudia A.Marsicano la tache d'exprimer en toute sincérité sa joie et son bonheur de bouger, de faire des roulades toniques et au final de glisser sur une nappe d'eau comme une sirène enjôleuse. Un splendide numéro de grimaces, de faciès déformé par la tonicité de son visage est un moment de délices et de surprises très convainquant.Question de mouvance d'un corps magnifié par des éclairages moulants et une gestuelle très fine, surtout des bras et poignets, doigts et autres petites articulations. Son sourire et sa bonhomie font mouche , son humour et son détachement autant que son engagement font de Claudia l'idole d'un soir. L'ovation du public comme une reconnaissance et une considération très humaine et joyeuse hors des canons battus de l'esthétique de la danse. Il existe des danseurs "grassouillets" comme Olivier Dubois ou Thomas Lebrun, alors pourquoi ne pas revendiquer ce bel aspect du corps dansant au féminin...

nana de niki de saint phalle

Il fallait R.Oser! Les Nanas de Niki de Saint Phalle ou de Botero n'ont qu'à se tenir à carreaux!

danseuse de botero


A Pole Sud les 28/29 Janvier dans le cadre du festival "L'année commence avec elles"

Marine Colard "Le Tir Sacré": petites et grandes foulées athlétiques

 


par Cie La Petite Foule Production France duo création 2021

Le Tir Sacré


Fascinée par la frénésie qui s’empare des journalistes au moindre match ou ligne droite dans un stade, Marine Colard fait des commentaires sportifs le fond sonore d’une chorégraphie athlétique. La jeune comédienne formée au théâtre physique a recruté pour coéquipière Esse Vanderbruggen. En s’époumonant avec exubérance, elles se lancent dans des postures olympiques, convoquant natation, haltérophilie, escrime ou encore ski alpin. Dans cette recherche autour des liens unissant enjeux chorégraphiques et textuels, les exploits gestuels vont de pair avec la surenchère passionnée des commentateurs, souvent risibles dans leur propension à s’enflammer. Le Tir Sacré tend un miroir à la compétitivité inhérente au capitalisme, celle qui nous enjoint à nous dépasser, à aller toujours plus haut, plus vite et plus fort.
 
 
On croirait Léon Zitrone, le roi des commentateurs de match de foot et autres sports collectifs où le public s'engage comme fan ou houligan. Frédéric Voegel chauffe la foule avec ferveur et enthousiasme en direct.C'est dire le rôle de ce dernier dans le tout début du show annoncé. Commentaires toniques à suspens, rythmés qui s'emballent et débordent de leur cadre. On nous tient en haleine 10 bonnes minutes durant, le temps d'installer une ambiance survoltée de début de match. Le plateau reste vide alors que les deux vedettes annoncées se font désirer. Et oh surprise, les voici apparaitre discrètement, les gestes au ralenti dans une grande modestie, un effacement certain. Leurre ou pas, elles se considèrent modestement, short et baskets, physiquement très différentes: l'une gracile et longs cheveux noués, l'autre forte et robuste, taillée comme une sportive entrainée. Contraste mais gémellité de leurs évolutions, front contre front , leur seul contact qui les guide. Belle démonstration de solidarité dans un monde plutôt voué à la compétition. Tout va de plus belle avec moultes évocations de gestes sportifs, transgressés par la chorégraphie et la mouvance soignée des deux interprètes.On reconnait la décomposition des positions et postures à la Marey ou Muybridge dans une séquence vouée à la vélocité, la vitesse et la rémanence des images . La "locomotion" revisitée en art chorégraphique!Tout va de plus belle dans un rythme effréné, voisin d'un esprit sportif de précipitation et d'efficacité. Les deux compères-complices occupant le plateau à de savantes positions, arrêt sur image comme de très éloquentes photographies de sports. On passe en revue toutes sortes de gestuelles, évoquant tennis, foot et autres disciplines. C'est drôle et rondement mené et questionne de plein fouet les sources gestuelles, l'inspiration mimétique du mouvement.
Marine Colard et Esse Vanderbruggen au top modèle pour la conception  de la représentation anti sexiste du sport et de la danse du coup mêlés sur la surface de réparation bien méritée. Et Sophie Billon pour animer le show en toute complicité. Le tir en ligne de mire sur une cible convoitée, entre intellect et corporéité interrogés.Un tableau de famille au féminin, photo de groupe taillée dans du carton surdimensionné où les heroines prennent place, pour clore dans l'immobilité médusante ce show déglingué.
 
A Pole Sud les 22/ 23 Janvier dans le cadre du festival "L"année commence avec elles"

lundi 27 janvier 2025

Fanny Brouyaux "To be schieve or a romantic attempt": colibri d'argent fébrile et futile.

 


de Too moved to talk Belgique solo création 2024

To be schieve or a romantic attempt

Ancienne violoncelliste passée par P.A.R.T.S, l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker, la Bruxelloise Fanny Brouyaux s’intéresse à l’un des aspects viscéraux du mouvement romantique : la corde sensible. À partir d’un patient travail rythmique plein de maîtrise, allant de la tension physique aux mécaniques des états émotionnels, naît la performance To be Schieve or A Romantic Attempt. Sur une bande son de Caprices pour violon solo de Niccolò Paganini, ce jeu de mot sur « Schieve », signifiant tordu ou fou en bruxellois, explore les frictions entre gestes techniques et mouvements incontrôlés qui la traversent lors de crises de spasmophilie : des gestes-mémoire permettant au corps d’expurger un stress post-traumatique. Spasmes et tremblements pulsionnels anarchiques s’enchevêtrent à une virtuosité lyrique pour détricoter les tensions qui habitent son corps.

Dans le silence absolu, elle divague sur des notes de musique tout le long de son corps, les doigts fébriles agités de petits bougés spasmodiques. 


Doigts et pieds vif argent ou d'acier qui tintent dans l'espace comme autant de petites aiguilles agitées, percutantes,luisantes. Elle façonne et caresse l'espace. Le corps de Fanny Brouyaux devient instrument mimétique, mémoire d'une matière que l'on lui aurait dérobée et dont les formes et les sensations lui seraient encore très présentes. Solo à vif qui tranche l'espace de soubresauts tétaniques, de gestes voisins d'un mime étrange et sans référence, habité comme les solos de Chaplin, d'une malice énigmatique. Les lèvres marquées par un dessin en coeur glacé de bleu. Changement de veste, tout en noir elle danse sur des bribes de sons mélodiques de violon. La musique lui inspire des déplacements, circonvolutions ludiques et fraiches. Comme un colibri ou sphinx qui hésite à choisir sa corolle de fleurs pour butiner et palpite devant sa proie.Oiseau mouche à battement d'aile véloce et rapide.

Puis fend l'air et absorbe son élixir de jouvence. Beaucoup de grâce et de fébrilité dans cette mouvance, éclairée juste au corps, qui navigue à l'envi. La danse hypnotise, captive et marque son territoire en circulant lentement en poses dans les gradins. Moments de suspension du temps, replis vers le silence et la beauté plastique de son corps sculpté par la lumière changeante. Fanny nous livre sa perception et sa sensibilité musicale à fleur de peau, troublante vibration d'un corps en émoi qui se joue des rythmes intérieurs et de leurs répercutions sur le geste organique autant que réfléchi.

 

A la Pokop dans le cadre du festival "L'année commence avec elles" initié par Pole Sud le 27 Janvier