Un 14 juillet, trois femmes vont se croiser sur le seuil d’une maison
isolée, entourée de champs de maïs. À l’intérieur se trouve un homme,
avec ses deux enfants, qui semble seul pouvoir décider qui entrera et
sortira. Mme Diss, sa mère, est venue pour réclamer de l’argent. Nancy,
son ex-femme, vient réclamer la vérité sur le destin de Jacky, le fils
qu’ils ont eu ensemble. France, sa seconde femme, semble vouloir
protéger tout le monde, mais de quoi ? Jacques Vincey met en scène cette
pièce de Marie NDiaye (Goncourt 2009) qui, dit-il, « tient autant du
fait-divers sordide que du conte mythologique ». Quel est le seuil qu’il
ne faut pas franchir, sous peine de se perdre ?
Un décor fait d'enceintes, de haut-parleurs, noir, en fond de scène, des projecteurs de côté en muraille et rang serré. Emprise, enfermement....Presque le décor de Picabia pour Relâche/ Entracte.Ou du Pierre Henry!Les deux personnages qui viennent animer le plateau se présentent, la belle-mère, Madame Diss,stricte, raide, rigide, en tailleur rêche et gris en quête d'argent pour subvenir à ses besoins volages, la belle-fille, France , naïve, entière, généreuse, admirative et dévouée fille de "rien", simple et vêtue d'un short risible. Deux classes sociales en lutte ou en fausse empathie se disputent l'appartenance au fils, un absent constant de la pièce, qui n'apparaitra jamais, mais sera l'objet de toute convoitise, reproche, désir...A la recherche d'un bailleur de fond, la femme extorque à sa seconde et ancienne belle-fille, Nancy, les quelques deniers ou chèque restant. L'autre s'incline, obéit, s'abaisse, se rend.Le pouvoir autoritaire de Madame Diss, sur les lèvres, dans les postures et attitudes de Hélène Alexandridis, se fait envahissant, alors que ses deux proies, Bénédicte Cerutti et Thifaine Raffier, elles aussi s'entretiennent de propos virulents. C'est le 14 Juillet qui fascine, fête populaire que l'on pressent dans le son et l'atmosphère, bordée du chant des champs de mais tout proches. Un paysage se dessine, se pressent et fige les personnages dans des émotions diverses, sensibles, à fleur de peau.Tout se monnaie ici, l'amour, les alliances, les membres d'une "famille" fantoche, artificielle, forcée à se croiser, se fréquenter France est admirative, se défend d'être un être humain digne de considération. Madame Diss l'enfonce, l'accule à se trouver laide et stupide.Féroces relations dignes d'un conte de fée où le maléfice rôde, les sons bordent un drame à venir, le mur murmure, parle, présent, plastiquement impressionnant, râleur, grondeur.Il mugit comme une sirène, une murène aux abois..Acteur à part entière, frontière, coulisse obscène, derrière ce rideau de sons terrifiants, un ogre va surgir du tréfonds des imaginations. Menaces, épée de Damoclès comme dans une mythologie inventée de toute pièce où le destin des personnages, demi-dieux, semble tout tracé! La mise en scène de ces trois corps féminins éperdus d'avidité, de jalousie, de compassion outrageante, est forte et amène chacune à se confronter à l'autre avec avidité, parfois respect et tendresse...Robe de cuir seyante pour Nancy, chevelure défaite et sensuelle femme piégée qui va bientôt troquer ses atours pour ceux de France. Osmose, mélange et confusion des sentiments, terreur de la domination de Madame Diss, omniprésent démon et Lucifer de la partie.Le texte a vive allure, inconditionnel langue qui n'est pas de bois er révèle par son agilité à être émise et prononcée, une verve et des appuis quasi chorégraphiques.On y échange son identité, on y imagine ce fils, ogre ou démon, Minotaure d'un Dédale, derrière le rideau: que se trame-t-il dans cet espace fantasmé qui hurle ou susurre des bruits et de la fureur intense, étrange, inquiétante.Aspirées par ce mur, les femmes s'y collent où y disparaissent happées par une adhésion, une adhérence à leur sort, incroyable.Sacrifice, dévotion, capitulation devant des divinités, feu d'artifice ou champs de mais sacrés, déesse des serpents qui gobent, avalent leurs proie avec compulsion et avidité: le sort, le destin est irrévocable, vipères au poing, peau de serpent en bandoulière...Et quand Madame Diss capitule, chute, s'effondre, c'est tout un univers qui bascule, une prise de pouvoir qui s'inverse, des corps jetés dans la bataille qui perdent ou gagnent au tirage au sort.La soif hante la pièce, le feu d'arfitice carbonise les âmes perturbées et notre implpoorante à genoux, telle une sculpture de Camille Claudel semble de rependre.Au loin, le bruit fait rage, tectonique sonore imposante, puis le mur recule, se tait et laisse place à la voix plaintive de l'une d'entre elles:France, Nancy...? La mégère non apprivoisée, Madame Diss capitule, échevelée, en lambeaux devant sa belle fille métamorphosée dans un vilain manteau noir: finis la chevelure blonde nattée de Gretchen, tout s'éteint, même les traces de sons parsemées.Une pièce entre conte de fée cruel et mythologie implacable, servie par trois comédiennes hors pair, une mise en scène subtile signée Jacques Vincey bordée de dramaturgie sensible de Pierre Lesquelen
Jacques Vincey est metteur en scène et comédien. Depuis 2014, il dirige le Théâtre Olympia − Centre dramatique national de Tours. Le public du TNS a pu voir, en 2009, Madame de Sade de Yukio Mishima. Il met en scène des auteurs classiques – Shakespeare, Platon, Molière, Marivaux − comme contemporains − Arne Lygre, Joël Pommerat, Howard Barker, William Pellier… Écrite en 2004 par Marie NDiaye, écrivaine de romans et de théâtre, la pièce Les Serpents (Éditions de Minuit, 2004), a été créée au Théâtre Olympia en 2020.
Au TNS jusqu'au 5 Mai
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire