"Pour composer ce spectacle, l’autrice et metteure en scène Caroline
Guiela Nguyen a réuni des interprètes professionnel·le·s ou non, de
divers âges et origines, parlant différentes langues. Pendant une grande
éclipse, la moitié de l’humanité a disparu. Que sont devenues les
personnes absentes ? L’action de la pièce se situe dans un des Centres
de Soin et de Consolation qui ont ouvert partout sur la planète. Les
femmes et hommes réunies dans ce lieu ont en commun la perte d’êtres
chers : enfant, parent, amour, sœur ou frère… Une microsociété se
reforme et s’organise, des gens venus de tous horizons, unis par
l’incompréhension et la douleur mais aussi l’espoir et la nécessité de
tout mettre en œuvre pour voir un jour réapparaître les personnes
aimées."
Un centre de soin, décor non équivoque relativement neutre, petit box transparent où vont se dérouler ces "soins" extra-ordinaires: dans la salle des messages, vitrée, parler aux absents, leur dévoiler émotions, regrets et autres sentiments, aveux multiples: ce que l'on n'a jamais dit ou demandé de leur vivant. Beaucoup de tact et de délicatesse dans cette fresque polyglotte où l'on circule sans encombre parmi ce petit peuple bigarré, polymorphe dont les destins convergent vers le partage d'une expérience inédite. Trois heures durant, l'embarcation navigue à vue; additionnant des personnalités singulières toutes très attachantes. Révolte ou soumission à cette "machine" à relier le temps, l'espace entre les absents et ceux qui vivent et dépendent du souvenir. Nostalgie et dépendance, petite cuisine simple ou savante de savoir être en communauté et accepter d'être critiqué, conduit, aidé par l'autre. De toutes nationalités, de toutes "langues" traduites ou pas à l'écran. Peu importe, la musicalité des voix et corps de chacun, opère dans le sens de la valorisation de la différence. Une adorable petite bonne-femme asiatique confie la rédaction de sa "lettre au président de la République de demain" à une scribe, écrivaine publique qui transforme et magnifie ses mots en direct à l'adresse de ce dernier. Un slam fulgurant pour exprimer sa colère ou sa rage, des mots qui sourdent de ces lèvres polyphoniques et le tout va bon train: déplacements de foule des treize comédiens, petite chorégraphie timide en danse chorale du groupe soudé par ce destin incroyable. Douleurs ou rires parfois à demi-mots pas toujours intelligibles.Mais le langage de tout un chacun doit-il être la langue de Molière énoncée dans la perfection du professionnalisme?... .
Car la moitié des acteurs ne le serait pas "professionnels"qui pour autant rivalisent de pondération, de maitrise du plateau au bénéfice d'un jeu sobre, abrupt et ciblant net le vif du vivant en direct. La metteur en scène aux commandes d'une palette sur la toile de personnalités à gérer dans leur enthousiasme débordant ou leur timidité lointaine sur scène. La fragilité du comédien est ici convoquée, preuve que donner sa chance à celui ou celle dont le chemin n'est pas orthodoxe, fait mouche et opère. Gagner la confiance de soi, se mettre à nu avec tant de sincérité, émeut, trouble et invite à se pencher sur le sort de l'autre qui n'est pas inscrit dans un déterminisme à la J.J Rousseau. Geste politique et poétique que cet opus dédié à la fraternité. Sans omettre l'égalité et la liberté de circuler dans ce décor, huis clos, laboratoire d'une expérimentation "robotique" où l'on "garde" ou efface ses aveux, confessions ou demandes à l'envi. Enregistrer le meilleur de nos propos adressés à ceux qu'on aime. Lumières et musique pour border cette narration sauvage en direct, travail très élaboré de Jérémie Papin et Antoine Richard. Sans oublier les relations des acteurs avec les vidéos, témoignages ou images en gros plans des protagonistes. Le coeur au centre des préoccupations de ces médecins de l'âme qui se soucient de l'autre, désireux ou pas de formater dans une médecine clinique sophistiquée, la vie organique et spirituelle de son partenaire. Caroline Guiela Nguyen signe ici une mise en espace qui respire la fraternité, qui "s'opère aujourd'hui pour le passé et donc pour le futur". En bonne compagnie, cum-panis, ce pain que l'on partage en écoutant parler l'autre dans sa langue: langue du quartier, langue qui sourd de son corps comme émission sonore, blessure ou partition improvisée de l'émotion: e-motion, ce qui nous émeut, nous fait bouger sans soucis de réflexion, hormis celle qui reflète envies et désirs, statu social, rituel comportemental brassé par une société pas toujours égalitaire...
Au TNS jusqu'au 20 Janvier
Caroline Guiela Nguyen est autrice, metteure en scène et réalisatrice. Diplômée de l’École du TNS en 2008 (section Mise en scène), elle a fondé, la compagnie Les Hommes Approximatifs. Elle est artiste associée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à la Schaubühne à Berlin, au Théâtre national de Bretagne à Rennes, à la MC2: Grenoble et au Piccolo Teatro à Milan. Les spectateur·rice·s du TNS ont pu voir SAIGON en 2018.
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