"Peut-on
danser à en mourir ? Giselle, elle, ne le croit pas et passe ses
journées à danser. Elle danse quand elle est heureuse. Elle danse quand
elle est triste. Elle danse pour célébrer l'amour qu'elle porte au jeune
et beau Loys. Mais lorsqu'elle découvre que celui-ci s'appelle en
réalité Albrecht et qu'il est déjà lié à une autre femme, elle sombre
dans la folie avant de rendre son dernier souffle. La nuit suivante, son
esprit est rappelé d'entre les morts par Myrtha, à la tête de la bande
des Wilis. Trahies par leurs amants et décédées avant d'avoir vécu leur
vie de femme, ces ombres inquiétantes se vengent en entraînant les
hommes qu'elles rencontrent dans une danse mortelle..."
"Créée à Paris en 1841 d'après un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier, Giselle est devenue au fil des décennies un classique incontournable du répertoire romantique chorégraphié par des maîtres de légende. Martin Chaix en propose pour le Ballet de l'Opéra national du Rhin une relecture résolument contemporaine, en prise avec des problématiques actuelles. Exit tutus, robes de mariée et chaumières en carton-pâte : les personnages de cette Giselle féministe dansent en perfecto et smoking dans un univers urbain, mais toujours avec la même passion sur des musiques d'Adolphe Adam et de sa contemporaine Louise Farrenc."
Loin de celle que l'on a fréquentée dans le "ballet classique"cette "Giselle" est une épure, une lecture innovante et désacralisée de ce "mythe" de la danse dite classique. Le décor l'annonce d'emblée: une salle sombre, aux murs agencés de briques noires, un "underground" ou "subway" affirmant une ambiance glauque et les "habitants" de cet espace maudit, en sont des convives d'un lieu mal famé. Un bar de nuit, une planque de bande de voyous "de luxe" un repaire, refuge de malfrats? Des affiches éloquentes (style Hains ou Villéglé) en l'honneur du vin "le vin rend fort: buvez du vint"rappelleraient le contexte d'origine des vendangeurs! Quand survient un "ange" vêtu de blanc, innocente créature parmi les rapaces, les vautours qui bientôt s'avèreront ses ennemis. Créature de rêve, dans un costume de dentelles ouvragées,enjouée, qui danse, danse, fluide et voluptueuse gestuelle enrobée qui se déroule et tourne à l'envi.Ana Henriquez en soliste remarquable, inspirée, appliquée pour ce personnage encore discret, secret, en retenue. Survient le groupe, la tribu ou la horde qui peuple l'endroit suspect. Beaux mouvements de groupe à l'unisson, tournoiements, virevoltes au répertoire grammatical de Martin Chaix, clins d’œils complices à Mats Ek pour les pieds en dedans, cassés, au carré. Les portés de six couples "rock n'roll" dans des figures inspirées de danse de salon, sont de toute fluidité, périlleux, virtuoses. L'intrigue se dessine; un amant joueur et volage se partage les femmes du clan, et danse cette supériorité de charme de Don Juan avec allégresse et détermination. C'est à Avery Reiners d'endosser le rôle d'Albrecht: technique irréprochable au service d'une interprétation habitée, engagée dans ce rôle "détestable" de Don Juan irrésistible. Ses sauts, bonds et rebonds seraient dignes d'un Noureev ou d'un Nijinski contemporain. Alors on se régale de la performance de ses envolées spatiales et quasi acrobatiques, de ses tours sans fin qui fascinent et créent l'empathie: celle du risque de faillir à cette "tâche" chère à la danse classique. Virtuosité sans dérapage d'une exécution drastique, fruit d'un travail physique et une musicalité rarissime.La musique,d'ailleurs entraine tout ce petit microcosme dans des valses et autres déambulations fluides et à la perfection géométrique. Athlète et interprète hors pair que ce jeune charmeur de choc qui brise les cœurs des femmes et s'en fait un catalogue mozartien plutôt "antipathique". Giselle se fond dans cet univers et souffre de la concurrence féminine et se bat, combat l'injustice incarnée par cet être fat et épris de fierté, de manipulation amoureuse. Contre elle, sa rivale Bathilde, une Dongting Xing, forte, jalouse et déterminée à conserver sa proie masculine Car ici, les femmes sont déterminées, engagées et les victimes d'autrefois, ne le sont plus. Devant l'infidélité, on se rebelle, on frappe le coupable et la complice Belle leçon d’indépendance et de liberté de plaire, d'aimer. La chorégraphie excelle dans les mouvements et déplacements de groupe, concis ou éparpillés savamment sur le plateau. On se repousse, s'étreint, s'attire dans de beaux et justes appuis efficaces.
Dans la seconde partie, c'est un paysage de nuit, deux lampadaires éclairant les abords d'une forêt en lisière. Pas de Willis en blanc virginal, mais des femmes en proie à la crise de nerf ou la revanche. Giselle est bien là mais ni diaphane, ni sacrifiée sur le tombeau de sa chair et de son esprit meurtri par le sort inéluctable. En noir, cuir et blousons de rigueur. Réglements de compte et disputes à la clef, tous évoluent vers une danse tourbillonnante à l'excès, vocabulaire redondant de cette pièce magnétique, hypnotique à l'envi. La chorégraphie s'inscrit dans une tradition plutôt académique, revisitée pour l'occasion en palette exhaustive de pauses, figures et autres exercices de styles grammaticaux. La syntaxe bousculée par l'interprétation engagée de tous, plongés dans cet univers à la musique légère autant que savante. Galvanisés par cette partition live due à la présence de l'orchestre symphonique de Mulhouse, les danseurs jubilent et vibrent sous nos yeux: on est fasciné par tant de dépense, d'énergie au service de la danse. Giselle perdue et rattrapée par l'universalité du propos: jalousie, désir, amour fou et solidarité féminine qui en ces temps de harcèlement et de violences faites aux femmes, dégenre le ballet en un opus contemporain fort édifiant. Rêve et utopie au placard, radicalité et vérité au poing.
En contrepoint la "Giselle" de François Gremaud, histoire et conférence dansée sur le "personnage" décortiqué de la Giselle de référence du livret original.
A l'Opéra du Rhin jusqu'au 20 Janvier
GISELLE
Chorégraphie : Martin Chaix
Musique : Adolphe Adam, Louise Farrenc
Direction musicale : Sora Elisabeth Lee
Dramaturgie : Martin Chaix, Ulrike Wörner von Faßmann
Dramaturgie musicale : Martin Chaix
Décors : Thomas Mika
Costumes : Catherine Voeffray
Lumières : Tom Klefstad
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire