A la Manufacture, trois spectacles au programme entre autres pour un petit panorama de la danse hip-hop et un opus décapant signé Hillel Kogan
"Thisispain" de Hillel Kogan
Après le succès international de We Love Arabs, Hillel Kogan revient à Avignon et se présente avec son nouveau spectacle THISISPAIN, en touriste issu de la danse contemporaine israélienne qui visite l’univers du flamenco. Dans un duo provocateur et humoristique avec Mijal Natan – danseuse de flamenco, ils confrontent leur monde respectif et abordent la danse non seulement comme un langage artistique mais aussi comme un lieu de débat riche en construction de sens sur la société. Un dialogue subtil entre genre, culture et identité qui nous renvoie à cette phrase de la théoricienne de la pensée queer Judith Butler « l’identité n’est pas une essence mais une performance. »
On en sort plus "intelligent", plus à même d'apprécier une fois de plus la verve, le verbe et les propos de Hillel Kogan sur le monde, notre rapport à l'identité, la différence, l'autre dans son altérité. Ils sont deux sur le plateau dans cette "souffrance" ce "pain" gravé en fond de scène qui bientôt deviendra l'Espagne rêvée ou douloureuse, porteuse de légende et de souffrance.Du flamenco bien sur au menu, belle prestation précise de Mijal Natan qui accompagne le chorégraphe-conférencier de ses frappements et autres démesures rythmiques légendaires. Du discours, il y en a : bref, humoristique, décalé et juste. Comme à son habitude Kogan se fait dérisoire caricature et miroir de lui-même et de ses pairs. Sa confession juive, son pays, les frontières à saute mouton et la poésie sonore de l'accent ou de la langue espagnole. Tout est dit dans ce manifeste dansé-parlé avec rudesse sans complaisance, décalé et toujours d'actualité. Performance où les accessoires ont un rôle précis et signifiants: les robes à froufrou et multiples plis et replis se font parures et parodie de costumes folkloriques. Un taureau à la Picasso, des références au maitre du cubisme, tout est joyeux et grave à la fois: Carmen est convoquée bien sur: un opéra espagnol par un français bon tain, Bizet fait office de machine à remonter le temps et le rythme. Du bel ouvrage pour "inter-ligerer" les genres, les époques et tenir un discours corporel édifiant, lucide et plein d'audace.
"Fibram" de la compagnie Chriki'z
fiBraM convoque au plateau 2 danseurs, 1 soprano et 1 joueur de Oud pour un quatuor virtuose, sensible et poignant. Des ampoules suspendues guident leur chemin dans un voyage où les langages se mêlent. Les chants classiques latins viennent rencontrer la langue arabe. Un quatuor qui convoque ceux qui ensemble, pourrait-on penser, dissonent. La complicité des corps, des sonorités arabo-andalouses et d’un chant lyrique qui fusionnent pour un voyage au-delà du tangible.
Du chant, de la danse pour un quatuor virtuose qui tisse des passerelles entre musique vivante et danse vibrante. Les rencontres de corps opèrent , le hip-hop fait sa mutation, chrysalide en gestation qui éclot au fur et à mesure et se libère des codes. Amine Boussa et Jeanne Azoulay en maitre de cérémonie parviennent à construire un monde solide et transversal où chacun se répond, s'observe et émet son et gestes au plus près de l'émotion. Joueur de oud, chanteuse et danseurs dans un quatuor, trèfle à quatre feuilles soudé, libérant un souffle novateur sur le métissage des genres.
"Motion" de Brahim Bouchelaghem
Dans cette pièce chorégraphique hip hop pour 9 bboys et bgirl créée à l’origine pour des danseurs ukrainiens à Kiev au Théâtre d’Opérette, Brahim Bouchelaghem associe l’énergie stupéfiante du breaking (danse hip hop, nouvelle discipline des Jeux Olympiques Paris 2024) et la poésie qui lui est propre. Les nouveaux interprètes franco-belges, tous issus du monde des battles nationaux et internationaux investissent un terrain de jeu restreint, un carré blanc de 7 mètres sur 7 mètres parcouru de projections vidéo réalisées par Monsieur Nuage créant des espaces graphiques en perpétuelle évolution évoquant les écrans numériques contemporains.Ainsi, Brahim Bouchelaghem fait défiler les mouvements, le temps du jeu, sur une musique de R.ROO aka Andrey Rugaroo, compositeur ukrainien. L’espace de plus d’une heure les danseurs vont écrire leur film en mouvements et transmettre leur énergie dans cette aire de jeu.Une métaphore habile et envoûtante de la danse actuelle.
Quelle énergie déployée une heure durant pour ce collectif, meute, horde savamment agencée pour produire le meilleur de l'écriture dynamique de Brahim Bouchelaghem. Des unissons précises, des marches en danse très rythmées, de la dépense, de la perte à foison pour ce groupe soudé où quelques échappées belles donnent à chacun un espace d'expression et de gestuelle propre. Ça tourne à plein gaz, à fond et on en perd pied à perdre haleine tant tout passe en rémanence sous notre regard hypnotisé. L'écriture hip-hop revisitée, précise et pertinente nous entraine dans un univers urbain implacable Les bandes de lumière défilant au sol comme autant de plages, d'endroits glissants, éphémères pour ne jamais se figer au sol. Graphisme ludique, lumineux, passages à niveau, passasges cloutés à traverser sans modération ni limitation de vitesse. Cross road move....movie !
"Phénix" de Mourad Merzouki compagnie Kafig à la Factory théâtre de l'Oulle
" Cette pièce bouscule une nouvelle fois les codes entre musiciens et danseurs.
Phénix
est né d’une rencontre inattendue et singulière entre la viole de gambe
et la danse, où quatre danseurs dialoguent avec cet instrument à cordes
très en vogue au XVIIe siècle. Au plateau, les artistes évoluent
également sur des musiques électro additionnelles d’Arandel pour
renforcer la puissance de cette association inattendue.Poursuivant ma démarche d’ouverture et de confrontation entre
les
esthétiques, j’ai voulu réunir des disciplines que tout oppose, pour
créer une forme légère et singulière. Dans une ambiance intimiste, les
artistes croisent leurs univers pour présenter une pièce inédite,
sublimée par leur alchimie ! " Mourad Merzouki
Un bel exemple de réussite de métissage culturel, ethnique et chorégraphique que cet opus débridé où le hip hop dérange et côtoie le violoncelle avec autorité, respect et inventivité.Il faut les voir arpenter la scène sans gêner cette petite estrade mobile où se niche la musicienne quelque peu "statique" parmi cette population mouvante. Chaise à porteur ou trône majestueux qui rend la scénographie lisible et performante Le plateau se peuple au fur et à mesure des évolutions des danseurs autour de Garance Boizot.au violoncelle.Association inattendue qui fait mouche et catapulte la chorégraphie dans un cosmos sonore très opérant.
"Ustium" de Hubert Petit Phar à la Chapelle du Verbe Incarné
Ustium est une pièce traitant de la lutte des consciences. Une recherche
liée à des questionnements sur la masculinité dans les Antilles, sur la
représentation du corps noir, ses stigmatisations et préjugés.Une
pièce impulsée par une recherche sur les danses LGBT, dans un
clair-obscur, pour nous plonger dans des lieux clandestins, des huis
clos étouffants et libérateurs.Fatalisme, déterminisme, humanisme, c’est ce rapport aux autres qu’interroge le chorégraphe.
Cette
création d’Hubert Petit-Phar ouvre un nouveau cycle sur sa recherche
nourrie par des thèmes forts : la mort, le sens de la vie et la
liberté.
Un trio pétri de sensibilité, de vérité et d'intensité pour incarner la force de la vie, les caractères, les différences entre chacun d'entre nous. La danse est limpide, le message clairvoyant.Trois personnages bien vivants, dansant et pertinents de musicalité. L'ambiance n'est pas toujours sereine pour eux aux destins croisés de fortune. Les rencontres sont hasardeuses mais aussi prometteuses d'acceptation de l'autre. Tous semblables, tous différents, alors les regarder c'est aussi apprendre à les connaitre, les reconnaitre et les considérer!
"Le bestiaire de Madame Arthur" au Théâtre du Roi René
Madame Arthur, cabaret mythique parisien, aspire à convertir le monde à son culte travesti. Créé en 1946, des artistes tels que Bambi, Coccinelle ou Serge Gainsbourg ont fait les belles heures de ce cabaret où a toujours existé un vent de liberté artistique. Ce lieu a continué de séduire nombre d’artistes de tous horizons et est devenu aujourd’hui une référence artistique qui crée le trouble entre les genres et libère la création autour de la musique en français. Cinq artistes du cabaret - Androkill, Charly Voodoo, Diamanda Callas, Lola Dragoness Von Flame et Tony Blanquette feront d’Avignon leur terrain de jeu, sous la direction artistique de Clara Brajtman. Préparez vous à un spectacle, créé pour l'occasion, dans lequel ils oscilleront du profane au sacré, du caricatural au sérieux, du commun à l'extraordinaire.
Des bêtes de scène pour un bestiaire coquin, malin, mené de main de maitre par un dompteur de cérémonie digne de Cabaret de Bob Fosse ! C'est un festival de costumes, de strass et de paillettes très rythmé qui laisse s'épancher les corps, délie les langues et laisse place à des interprétations de chansons mythiques impressionnantes.Magie d'une mise en scène cocasse o^les saynètes et sketchs s'enchainent à foison. Un opus qui décape les conventions et idées reçues tout en gardant une esthétique traditionnelle du cabaret travesti de Madame Arthur de la rue des Martyrs à Montmartre. Car si "martyr" signifie "travail" voici du bel ouvrage de Dames qui se dévore sans modération.Les interprètes, proches du public en délire au top de la grâce et de l'émotion. Du grand art artifice et feu d'artefact pour une salle enthousiaste invité à danser à l'issue de la prestation de charme nostalgique.
"Flow" de Liu I-Ling et LIN TingSyu à la Condition des Soies
FLOW interroge la façon dont, à l’ère de l’accélération de l’information et du melting-pot culturel, aspirés par le tourbillon de l’époque, nous parvenons ou non à formuler des choix conscients. Plongés dans un environnement saturé d’images racoleuses et d’informations sensationnalistes, à la bande-son poussée à plein volume, peut-on encore en tant qu’individus, uniques par définition, préserver nos croyances spirituelles, nos convictions et points de vue personnels, nos propres valeurs ? Le spectacle est formé de deux grands volets : …and, or… et The Subsiding World. Le premier étend à la danse des réflexions sur l’articulation entre le système dans lequel nous vivons et nos choix personnels. Le second se focalise sur le sens de l’existence individuelle dans la société contemporaine : la société étant ce qu’elle est, vaut-il mieux se laisser porter inconsciemment par le courant ou au contraire aiguiser sa conscience pour mieux en suivre le fil.
Bel exemple de lyrisme chorégraphique que ces deux opus extrêmement bien dansés sur le fil de l'imagination des deux chorégraphes très inspirés par les interprètes. Portés, sauts, duos de charme, mouvement de groupe sidérants d'exactitude et de technicité. Des jeunes virtuoses au service d' une écriture sobre et passionnée . Les corps épris de musicalité se plient sans céder, épousent les contours musicaux rarissimes mais convaincants. Un panel original de l'écriture chorégraphique à Taiwan
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